Des films plus engagés et présentant mieux les réalités de l’Afrique

Ils essaient de montrer l’Afrique des traditions avec un regard scientifique et aussi les réalités politiques et socio-économiques. Ils sont peu nombreux mais ils font souvent des constats audacieux pour l’époque et sans concessions pour la présence européenne. C’est la raison pour laquelle ils ne passent généralement pas dans les circuits commerciaux à part quelques films de fiction américains, mais dans les ciné-clubs. Les animateurs avaient pour objectifs, de programmer des films qu’on ne pouvait pas voir ailleurs, des films plus novateurs sur le plan artistique et plus engagés sur les problèmes du monde. Ils accordèrent ainsi une place relativement importante aux films sur le Tiers Monde. Ils ne dissimulaient pas leurs convictions anti-colonialistes, leur intérêt pour d’autres cultures et leur désir de faire progresser la prise de conscience des problèmes de l’Afrique. Mais il est difficile d’en évaluer l’influence. Elle a sans doute été très limitée puisque ces films touchaient un public restreint et, le plus souvent, déjà convaincu.

Les films documentaires sur l’Afrique apparaissent à Chambéry à partir du début des années 60. Ceux de Jean Rouch sont programmés au ciné-club de Chambéry, dès qu’ils sortent : en 1961, Moi, un Noir, en 1962, La pyramide humaine, en 1967, La chasse au lion, à l’arc, avec un public très restreint. Ce n’est pas le cas du moyen-métrage de A.Resnais, Les statues meurent aussi. Réalisé en 1953, il est interdit pendant plusieurs années, parce qu’il dénonce, avec beaucoup de violence, la destruction des cultures africaines par la colonisation. En 1961, il est programmé, en Savoie, dans les circuits commerciaux, en première partie, avant un film de J.P.Le Chanois,  qui est le type même du film de bonne qualité, tout public, qui évoque les relations parfois difficiles entre parents et enfants. Quelle impression le film de A.Resnais a-t-il pu faire ? Est-ce que les spectateurs en ont compris le message, dans cette année 1961, si difficile pour la décolonisation française ? Ce qu’on constate, c’est que la presse, « Le Dauphiné Libéré » en particulier, se contente de présenter rapidement le film de J.P.Le Chanois, sans faire allusion à la première partie, ni avant la projection, ni dans la semaine qui suit. La même année, Come back Africa, réalisé clandestinement par Lionel Rogosin, dénonce l’apartheid et est présenté par la presse catholique comme « un exposé bouleversant du drame racial » .

Les films de fiction sont américains, anglais ou français. Le principal thème abordé concerne les rapports entre colonisateurs et colonisés. En 1957, dans La plus belle des vies, tourné en Guinée, un jeune instituteur français essaie de rétablir le contact entre Français et africains. En 1958, Le carnaval des Dieux de R.Brooks, met en scène, sur fond de révolte mau-mau, deux amis, un noir et un blanc. Pour la presse catholique, c’est « une œuvre forte, qui pose avec conviction des problèmes de morale coloniale ». Il dénonce le mépris, la répression dont sont victimes les Africains mais aussi les violences du mouvement mau-mau. En 1962, le film anglais, moins connu, de M.Audley, La marque du faucon évoque l’accès des populations à l’indépendance et les affrontements entre colonisateurs et colonisés. Il essaie de présenter, avec impartialité, les différentes tendances, aussi bien chez les noirs que chez les blancs. Les troubles seront jugulés, le bon droit triomphera grâce à la croyance chrétienne en l’égalité des hommes et en la fraternité. Tourné au Nigeria dans des villages, il donne aussi une vision intéressante des mœurs et des conditions de vie en Afrique. L’apartheid est également dénoncé dans Pleure, ô mon pays bien-aimé, tiré du roman d’A.Patton.

Les problèmes de développement économique apparaissent aussi épisodiquement. En 1959, Les paysans noirs de G.Régnier, se passe en Côte d’Ivoire, évoque des scènes pittoresques, présentant avec sympathie des musiciens, danseurs, conteurs et un jeune administrateur français, qui essaie d’aider les paysans à développer leur agriculture. Mais il reste de ce film l’impression que le modèle occidental est le seul valable et que les Africains ne sont considérés comme « évolués » que quand ils sont sensibles au message de l’Occident.

Le dernier thème évoqué par le cinéma est celui du déchirement entre l’Afrique des traditions et la nécessaire évolution ; ce sont Liberté 1 d’Yves Ciampi en 1961 et Dingata le sorcier, en 1965.

Quelle influence ce cinéma des années 50- 60 exerce-t-il sur les représentations de l’Afrique ? A cause de la priorité du cinéma commercial, l’image dévalorisée de l’Afrique que donnent beaucoup de manuels scolaires, est prolongée, chez les jeunes, par les effets du cinéma : les ciné-clubs qui essaient de battre en brèche cette image sont trop peu

fréquentés pour la contrebalancer. Ce cinéma reste un cinéma d’étrangers jusqu’au début des années 70. Le premier film africain programmé à Chambéry est « Le mandat » de Sembène Ousmane, en 1970. L’apparition de films de metteurs en scène africains, ouvre une nouvelle étape. Le public savoyard a la possibilité de découvrir des artistes africains et à travers eux, une vision de l’Afrique, de l’intérieur.