Hypothèses de recherche

L’hypothèse centrale de la thèse au départ, que nous avons cherché à vérifier, est qu’un "modèle" de transport urbain est susceptible d’émerger dans les villes vietnamiennes, avec des variantes d’une ville à l’autre, grâce à la conjugaison de plusieurs facteurs endogènes et exogènes.

Nous précisons ici ce que nous entendons comme modèle vietnamien de transport urbain.

Ce concept se réfère implicitement à la dynamique des systèmes de transport urbains observée dans les pays en développement et à l’interrogation sur la convergence ou non des systèmes de transport, au départ très hétérogènes d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre, vers un "modèle" dominant. Par exemple, lorsqu'on évoque le modèle américain de transport urbain, on pourrait penser à deux composantes : un taux très important de motorisation en voitures particulières, un réseau de routes et autoroutes suffisant pour satisfaire une telle grande demande de mobilité en modes individuels motorisés. Quant au système de transport urbain observable dans les pays d’Europe occidentale, on trouve en général un bon équilibre dans la répartition modale entre les modes publics et les modes privés et une prise en compte de plus en plus importante des modes "doux". Certes, la définition d'un "modèle de transport urbain" d'une ville n'est pas évidente et dépend quelles composantes à mettre dans le modèle.

S’agissant plus particulièrement des pays de l’Asie, il a été mis en évidence des convergences d’évolution des formes urbaines et des systèmes de transport dans les années 90 comme le démontre Paul Barter, sur lesquelles nous reviendrons au cours de cette thèse. Singapour et Hong Kong émergent comme un modèle désirable en Asie avec un système de transport public moderne et un usage bien maîtrisé des modes individuels motorisés. Bangkok est souvent évoquée comme un modèle à condamner avec la congestion chronique de trafic. Chaque ville est attachée à un "modèle". Cependant, la Chine et le Viêt-nam ne sont pas pris en compte dans les typologies dégagées dans cette recherche.

Or, les villes chinoises et vietnamiennes en période de transition vers le marché semblent manifester une évolution similaire à celle des autres villes d'Asie du Sud-Est en matière de croissance économique, urbanisation et motorisation. On peut alors s’interroger sur la question suivante : au vu des évolutions observées depuis la transition vers le marché, les villes chinoises et vietnamiennes s'orientent-t-elles vers tel ou tel "modèle" observé dans d’autres pays asiatiques ? Ou bien les transports urbains dans les pays socialistes d’Asie, le Viêt-nam en l’occurrence, suivent-ils une dynamique propre avec des similitudes mais aussi des singularités tenant à l’histoire urbaine du pays, la culture, les pratiques urbaines héritées du passé, les rapports de force ou de pouvoirs entre les acteurs qui façonnent les villes, entre les décideurs au niveau central et ceux au niveau local ?

Parler de "modèle vietnamien", c’est faire l’hypothèse que l’évolution des systèmes de transport dans des villes comme Hanoï ou Hô Chi Minh Ville n’empruntera pas nécessairement un "modèle" obligé. Il s’agit ici d’un "modèle" d’évolution qui peut emprunter des caractéristiques proches de celles observées ailleurs.

Notre thèse consiste à montrer en quoi les villes vietnamiennes sont différentes des autres villes de la région en matière de transport urbain. L'émergence d'un "modèle" vietnamien permettant d'échapper au scénario "Bangkok" sans pour autant reprendre celui de Singapour est encore possible.

La mise en place d'un tel modèle qui se traduirait par une répartition modale plus équilibrée entre transports privés motorisés et transports collectifs suppose la résolution d'options de développement contradictoires comme par exemple celui d'un développement urbain "durable" et une politique d'industrialisation du pays basée en partie sur l'industrie automobile. La plus grande autonomie des villes par rapport aux instances nationales peut contribuer à l'émergence d'un modèle vietnamien adapté à chaque situation au niveau à la fois des orientations générales (options de plans de déplacement urbain par exemple, schéma de transport collectif…) et des mesures de politique intégrée de transport et d'aménagement (incitations à l'usage des transports collectifs, politique de stationnement au centre ville, par exemple).

L'expertise étrangère à travers l'aide bilatérale ou les projets financés par la Banque mondiale ou la Banque asiatique de développement peut avoir une forte influence dans l'orientation des politiques de transport urbain et les projets retenus. Cela ne signifie pas pour autant que le Viêt-nam devrait nécessairement adopter un modèle "importé". Les modalités de transferts de savoir-faire des consultants étrangers, la formation d'experts vietnamiens dans des équipes mixtes et dans les pays étrangers sont des facteurs potentiels pour l'émergence d'un "modèle" vietnamien de transport urbain qui intègre les atouts et les contraintes socio-économiques, culturelles, sociologiques du Viêt-nam, le particularisme de ses villes, et rende en définitive plus acceptables des mesures de politique de transport, comme par exemple celles visant à décourager le recours systématique au transport privé motorisé.