- 3 - Dissociation entre lieux d'habitat et lieux de travail

Culturellement et historisquement, les villes des pays en développement et les villes d'Asie en particulier sont compactes ou très denses. Une caractéristique de beaucoup de villes en développement, voire de certaines très grandes villes, est leur forme spatiale monocentrique. Richardson (1989) croit qu'elles retiennent cette forme dans le temps, en partie parce que des infrastructures de transport et d'autres infrastructures sont spatialement concentrées et en partie parce que les résidents à haut revenu (qu'on pense faire un déménagement vers la banlieue) décident de rester près du centre ville et n'ont ni incitation ni opportunité à décentraliser). On ne sait pas si l'hypothèse de Richardson est bien fondée mais il est clair qu'à la différence des zones urbaines en Amérique du nord et en Europe, la spécialisation des CBD, zones industrielles, quartiers résidentiels en banlieue en général n'a pas considérablement eu lieu en Asie du Sud-Est.

La situation a un peu changé à l'heure actuelle. Les études sur les villes jusqu'à maintenant montrent qu'il y a une tendance marquée de décentralisation de l'emploi, la proportion des emplois en centre ville tombe dans le temps et la plupart des emplois se trouvent en dehors du centre (Meyer et Gomez-Ibanez, 1981). Les emplois dans l'industrie ont tendance de s'éloigner du centre ville (K.S. Lee, 1989; Lee et Choe, 1989; Y.J. Lee, 1985). Une récente étude de 11 grandes villes européennes trouve semblablement que la longueur moyenne de déplacement domicile-travail augmente de 8,1 km en 1980 à 9.6 km en 1990, soit une croissance de 18,5% (Newman et al., 1997). De longs déplacements ont contribué plus à la croissance du trafic routier en Europe que la hausse du nombre de déplacements. Il en est de même pour l'Asie.

D'ailleurs, l'emploi est typiquement plus centralisé dans une zone urbaine que la population. C'est-à-dire, si on trace une ligne à une distance arbitraire du centre ville, la zone précisée contiendra une plus grande proportion d'emplois urbains que celle de la population urbaine (Hamilton, 1982). Cela signifie que le banlieusard typique dans une zone urbaine fait une distance entre sa résidence plus éloignée du centre et son travail moins éloigné du centre. Cependant, l'emploi n'est pas lourdement concentré dans le centre des affaires (Central Business District) (Meyer et Gomez-Ibanez, 1981). Dans des pays en développement, le CBD dans de grandes villes a des chances d'avoir entre dix et vingt pour cent de l'ensemble de l'emploi métropolitain mais ces pourcentages sont rapidement en baisse lorsqu'une grande partie des emplois sont situés en dehors du CBD (K.S. Lee, 1989; Lee et Choe, 1989; Y.J. Lee, 1985).

A Manille les zones centrales qui étaient avant très densement peuplées avec une mixité de développement commercial et résidentiel ont changé progressivement. Les citadins déménagent en zones périurbaines lorsque les affaires ou le commerce se développent parce qu'ils veulent un environnement de vie moins dense et moins dégradé. Manille a connu ce changement depuis les années 1980. Plus en plus de ménages optent pour habiter hors des zones intra-muros, leurs lieux de travail ou d'école s'éloignant du centre ville (GEF, 2001). Il y a des zones à faible densité comme les villages autour du CBD de Makati et Centre Ortigas (Ville de Pasig). Ces villages ainsi nommés ont été construits depuis que les Américains sont arrivés. Aujourd'hui il y en a plus de 1.800 où habitent les riches. Les autres couches sociales doivent s'établir plus loin et mettre deux à trois heures pour aller au travail (Roth, 2002).

A Bangkok, cette dissociation entre l'emploi et l'habitat s'explique simplement par le fait que le prix foncier plus le coût de transport est moins élevé que le prix foncier en ville (De Souza, 1997). Le bas prix relatif de la voiture particulière par rapport au prix foncier motive les ménages à acheter du logement à bas prix à la périphérie même si cela signifie plus de distance à parcourir. Les prix fonciers élevés à Bangkok non seulement encouragent les résidents riches à vendre leur immobilier et déménagent dans les nouvelles zones plus excentriques mais aussi obligent les habitants de taudis en zones centrales à se réimplanter en périphérie. Ces développements conduisent à des déplacements de plus en plus longs entre Bangkok et ses environs. Depuis les années 1950, les zones résidentielles se trouvent de plus en plus loin du centre de Bangkok et on se déplace plus loin pour aller au travail (De Souza, 1997).

Les migrations résidentielles vers les périphéries et les délocalisations d’activités ont évidemment des répercussions profondes sur la mobilité quotidienne, et plus particulièrement les déplacements domicile-travail. La décentralisation d'emplois et de résidence signifie une densité moins dense du centre ville et des distances plus longues. Selon Newman et Kenworthy (1999), la densité de 10.000 personnes par km² ou plus est typiquement associée aux "villes piétonnes", certainement pas aux villes fortement dépendantes de l'automobile. Si la motorisation dans des villes s'accroît pour atteindre le niveau de l’Australie et des Etats-Unis alors que les infrastructures routières urbaines resteront inadaptées, la congestion urbaine atteindra des niveaux record.

Les villes de l’Asie du Sud-Est, malgré les similitudes observées plus haut, ne sont pas homogènes pour autant. Plusieurs auteurs ont tenté de les catégoriser et de proposer des typologies de villes.