- b - Bangkok : une notoriété mondiale de la congestion

Si Paris est symbolisée par la tour Eiffel, Bangkok est bien connue par la congestion du trafic. La ville est bien connue au niveau mondial pour la situation terrible de la circulation. En fait, ceux qui ont eu de l'expérience à Bangkok sont d'accord sur cette remarque. Quelles en sont les raisons ? La dépendance de l'automobile tandis que la forme urbaine de la ville ne le permet pas explique en grande partie la situation.

L'augmentation du revenu des habitants favorisée par la croissance économique pendant les trois dernières décennies leur a permis de se reporter du motocycle à la voiture particulière tandis que les autorités n'appliquent pas de mesures de restriction vis-à-vis de l'usage de ce mode "noble". Le parc automobile est toujours en hausse rapide. Jusqu'en 1999, il y a eu 1,6 millions de voitures particulières à Bangkok (Angkana Chairatananon, 2003). Quant au transport collectif, sa part modale était faible. En 1995, le bus transportait seulement 41% du total des déplacements (environ 5,2 millions de passagers de bus par jour). Bien que cette proportion soit assez élevée sur le plan international, elle était faible pour une ville avec un tissu urbain dense et un manque d'infrastructures routières comme Bangkok. La part du transport collectif diminue encore en 2000 malgré la mise en service de plusieurs lignes de transport de masse car l'accessibilité apportée par le transport privé est 4 fois plus grande que celle du transport public (Rujopakarn, 2000).

Le taux d'équipement en voiture particulière était de 283 véhicules par 1000 habitants en 1999. Ce taux n'est pas loin de la moyenne européenne. Il est le double de celui de Singapour beaucoup plus riche qui a seulement 143 véhicules en 1990 et même plus élevé que celui de Tokyo avec 261 véhicules par 1000 habitants (bien que la voiture représente 86% du parc de véhicules (Kenworthy, 1995). En 1985, il y avait seulement 59,38 voitures par 1000 habitants tandis qu'en 1993 on comptait déjà 141, soit une hausse de 138% en 8 ans. Cette augmentation était la plus rapide parmi les pays en Asie. A l'heure actuelle la tendance ne semble pas se stabiliser. Si on y ajoute le chiffre de 293 motocycles par 1000 habitants, les habitants de Bangkok ont sans doute un niveau de motorisation plus élevé que les Européens.

Illustration 2 : La congestion chronique à Bangkok malgré des voies aériennes
Illustration 2 : La congestion chronique à Bangkok malgré des voies aériennes

Malheureusement, la forme urbaine de Bangkok n'est pas compatible avec un tel niveau élevé de motorisation. Comme la plupart des villes asiatiques, le nombre de kilomètres de route de Bangkok n'a atteint que 0,7 km par personne bien que le Gouvernement ait fait de gros investissements dans les infrastructures routières depuis les années 1970. Cet indicateur est faible par rapport à la moyenne européenne de 3,3 km par personne et très petit par rapport aux villes américaines. La densité urbaine élevée à Bangkok (153 personnes par hectare) a fait que l'effort d'augmenter la densité routière est très difficile. Historiquement les villes asiatiques, y compris Bangkok étaient très denses.

D'ailleurs, le développement urbain typique de Bangkok ou le développement des petits "sois"12 avec le lotissement de terrain sur une grande échelle a créé une densité résidentielle très forte. La faible densité du réseau de voirie par rapport à la forte densité urbaine explique largement la congestion persistante à Bangkok (Senter, 1998; Kenworthy, 1995). 80% des terrains de la Région de Bangkok Métropolitaine sont des propriétés privées et la possibilité de développer les infrastructures routières est faible. De plus, le nombre insuffisant de ponts traversant des rivières et canaux aggrave la congestion du réseau de transports (Kubota, 1996).

La situation critique de la circulation à Bangkok est en partie imputée à la politique en faveur du transport privé. Les gouvernements successifs n'ont envisagé aucune mesure restrictive jusqu'ici mais ils ont créé par contre les conditions favorables à l'usage de l'automobile.

Graphique 1: La part importante de routes dans les investissements de transport urbain
Graphique 1: La part importante de routes dans les investissements de transport urbain

En 1990 le nombre de places de stationnement par 1 000 emplois à Bangkok était 338 qui dépassait la moyenne australienne et était seulement un peu moins que la moyenne américaine de 380. Ce chiffre était beaucoup plus grand que 67 places à Singapour, Tokyo et Hongkong (Barter, 1999). Outre les places de stationnement en ville, le gouvernement a toujours essayé de répondre à la demande du transport routier. La plupart des plans de transport de 1982 à 1997 consacrent une part importante à la construction des routes et autoroutes13. Même le plan le plus récent (1997-2001) a également envisagé la construction de 1.000 kilomètres de routes et d'autoroutes.

Mais ce qui est plus important, c'est qu'en 1991 la Thaïlande a enlevé l'interdiction d'importation des voitures complètement montées et avec des petits moteurs et réduit fortement les taxes d'importation sur de petites voitures qui étaient d'un niveau très élevé de 300%, à un taux compris entre 20% et 30% (Poboon et al., 1994). D'ailleurs, l'Etat a aussi subventionné le prix de carburant. L'essence à Singapour coûtait 2,80 US$ par gallon, soit deux fois plus qu'au prix à Bangkok (Du Pont et Egan, 1997).

Il n'y a presque rien dans la politique du Gouvernement qui permettrait de stabiliser et diminuer la tendance. En revanche, les relations étroites ont été renforcées avec les constructeurs japonais d'automobile et de motocycle avec de l'aide financière du Japon et d'autres institutions pour des projets de route. Ces relations, les bas prix d'une voiture et le faible paiement des frais liés à la propriété de la voiture font que la croissance élevée de l'automobile continuera (Kenworthy, 1994; Mallet, 1994)14.

Par rapport à Kuala Lumpur, la congestion à Bangkok est catastrophique car l'usage important de la voiture n'est pas compatible avec sa forme urbaine. On a prévu qu'en 1995 la congestion à Bangkok conduit à une perte de 91,461 milliards de baht (Tangpaisankit, 1998), malgré l'investissement par le gouvernement d'un milliard de baht dans la construction des autoroutes et des routes principales. Jusqu'en 1999, il y a 1.000 kilomètres de routes principales, 2 825 kilomètres de routes locales et 100 kilomètres d'autoroutes qui représente au total 10% de la surface urbaine (Wiroj Rujopakarn, 2000).

La politique des transports pour remédier à la congestion se focalise uniquement sur l’augmentation de capacité de la voirie (routes et autoroutes urbaines) alors que la gestion de la demande de transport est peu développée. L'importance des mesures d'utilisation du sol n'est pas prise en compte dans les Master Plans et les plans régionaux. Dans une ville importante comme Bangkok, les mesures dans le transport ne peuvent qu'apporter des solutions de court terme. Les améliorations durables ne peuvent être atteintes que par le biais de la planification à long terme de l'utilisation du sol et la restriction du transport privé motorisé.

Notes
12.

"Soi" est une route résidentielle au bord de laquelle la plupart de Bangkok a été construite est très étroite avec 6 à 8 mètres de largeur. Cette forme de développement a commencé en début 1970 lorsque l'urbanisation se dirige vers la périphérie. Des grandes étendues de terre, parfois dépassant 500 mètres de longueur, ont été mises en lots pour les constructions résidentielles. Par conséquent, des centaines de "sois" ont été reliées à des routes principales à voies multiples sans passer par des routes de raccordement et routes de distribution, ce qui ont formé des quartiers extrêmement grands. Un bon exemple de développement désordonné de "sois" est des quartiers carrés de 8 km de long formés par les rues Lad Prao, Paholyothin et Ramintra. (Senter, 1998)

13.

Le cinquième plan (1982-1986), le sixième plan (1987-1991), le septième plan (1992-1996)

14.

cité par Jeff Kenworthy dans "Automobile Dependence in Bangkok" pp. 31-41, World Transport Policy and Practice 1,3 1995