- d - L'évolution du système de transport des villes de l'Asie du Sud-Est

Cette évolution, que nous analysons ici, est largement basée sur la thèse de Paul Barter sur les villes du Sud-Est asiatique.

Tout d'abord il importe de rappeler que les villes européennes sont passées de la ville piétonne à la ville de transport public moderne avant la motorisation tandis que les villes asiatiques sont au stade de la ville de bus très dense lors du commencement de la motorisation. Les systèmes de transport collectif dans les villes asiatiques ne peuvent alors pas concurrencer les transports individuels, même après la réalisation de lourds investissements. Ce point est essentiel pour comprendre les implications sur les choix faits par les villes de l’Asie du Sud-Est et de Chine en termes de transport. Le schéma présenté (voir Figure 1) permet d'avoir une vue d'ensemble des chemins divergents possibles bien que les villes présentaient au départ une situation comparable.

Bangkok, Manille, Jakarta et Kuala Lumpur semblent prendre des chemins assez similaires jusqu'à maintenant malgré certains traits différents dans leurs formes urbaines. En fin des années 1960 on peut toutes les considérer comme "villes de bus ou/et Jitney" caractérisées par une forte densité, une faible offre de routes et une grande dépendance des modes de transport public basés sur la route et des modes de transport non motorisé. La motorisation soutenue par la croissance économique, des investissements insuffisants dans les infrastructures routières et le transport public ont fait d'elles des villes saturées de trafic. A partir de là, elles se trouvent devant des chemins peut-être différents si leurs choix ne sont pas identiques.

Kuala Lumpur semble s’orienter vers un type de ville automobile et poursuivre dans ce sens. Bien que ce soit une hypothèse, dans son développement actuel cette ville a montré une stratégie relativement cohérente. Cette stratégie fortement coûteuse repose sur la réalisation d’infrastructures lourdes de transports, notamment routières. L'aire métropolitaine de Kuala Lumpur a aussi eu depuis longtemps une densité urbaine plus faible que dans la plupart des autres villes asiatiques (inférieure à 60 personnes par hectare) et s'est étendue suivant le modèle de ville orientée vers l'automobile. Plusieurs formes de restrictions d'usage de modes privés motorisés comme la restriction du trafic en zone centrale et la covoiturage ont été proposées mais leur mise en œuvre a été abandonnée ou reportée bien des fois sous le prétexte du développement de l'industrie automobile nationale ou face à l'opposition des usagers de voiture. Le niveau de motorisation à Kuala Lumpur est élevé et comparable à celui de villes européennes (300 voitures pour 1.000 habitants). La part des transports en commun reste faible (9%) malgré des récents investissements importants parce que les habitants ont une préférence pour la voiture.

Bangkok, Manille et Jakarta sont également à la croisée des chemins : elles peuvent devenir des "villes automobiles", avec la saturation catastrophique de trafic, ou "villes de transport public moderne" au sens où l’entend P. Barter. Tout dépendra de l'évolution de la motorisation, des priorités en matière d’infrastructures de transport (axes routiers et autoroutiers vs réseaux de transport collectif de masse), et des politiques de gestion de la demande de transport (mesures restrictives sur la propriété des véhicules privés motorisés et sur leur utilisation en ville).

A Bangkok, comme à Kuala Lumpur, aucune mesure restrictive n'a été prise jusqu'à maintenant pour restreindre l’usage de la voiture. Une forte croissance économique en Malaisie et en Thaïlande a permis de financer des routes et autoroutes urbaines en vue de résoudre les problèmes de congestion (le niveau d'investissements dans les infrastructures routières à Bangkok ne vient qu'après celui de Kuala Lumpurparmi les quatre villes). Mais Bangkok ayant une densité de population très supérieure à celle de Kuala Lumpur, le passage au tout automobile reste peu probable dans cette ville dans la mesure où il faudrait raser des quartiers entiers et mettre en péril le patrimoine architectural de la ville; de plus le coût exorbitant de ces constructions financées par des prêts serait aussi supporté par les générations futures. Si Bangkok veut mettre fin à ses congestions, elle n’a pas d’autre choix que de restreindre l’usage des transports individuels motorisés et d’investir massivement dans des systèmes de transport collectif offrant une réelle alternative aux usagers de la voiture et des deux roues à moteur.

Jakarta et Manille, avec leur niveau élevé de congestion de la voirie, semblent s’orienter vers le "chemin" de Bangkok. Pour sortir de la saturation de trafic, ces deux villes devraient adopter une stratégie de transport de masse basé sur le rail. Mais en attendant la mise en place d'un tel système d'infrastructures ferroviaires très onéreuses qui devrait prendre beaucoup de temps, il faut procéder à des restrictions préalables sur la propriété et l'usage des véhicules individuels motorisés. Ces restrictions devraient pouvoir ralentir, voire éviter une forte motorisation qui risque de marginaliser les transports collectifs.

Les perspectives d'amélioration du transport public paraissent plus claires à Manille grâce à la mise en place plus tôt d'un système de transport en site propre (métro léger). Même une fois réalisés tous les projets de lignes de transport sur rail, le réseau de bus et les jeepneys resteront des modes de transport collectif indispensables et complémentaires.

Enfin, la motorisation voiture ne doit pas entraîner une dégradation des services de transports collectifs avec la réduction de la vitesse commerciale dans les encombrements. Un réseau de couloirs réservés sur les lignes les plus denses et les plus fréquentées devrait être mis en place progressivement à Manille et à Jakarta, à l’exemple de Bogota.

Figure 1 : Les systèmes de transport de 4 villes d'Asie en perspective
Figure 1 : Les systèmes de transport de 4 villes d'Asie en perspective