- b - Développement endogène et contrôle de mouvements de la population

Les villes chinoises et vietnamiennes, outre les caractéristiques communes avec celles d'Europe centrale et orientale et d'ex-URSS présentent, beaucoup de similitudes avant et même après la réforme marquant leur transition vers l'économie de marché.

Si l'on observe l'histoire récente de deux pays depuis leur adoption du régime socialiste jusqu'à présent, on constate que la plupart des politiques économiques et transformations des villes sont très comparables. Malgré la périodisation différente, la Chine et le Viêt-nam ont de nombreuses similitudes dans le développement de villes. Ces transformations se manifestent le plus nettement dans la disparition du modèle Danwei,19 la création de zones industrielles ou semblables, le processus d'urbanisation, l'exode rural et les déplacements dans la ville.

En 1949 en Chine et en 1954 au Viêt-nam du Nord avec l'arrivée au pouvoir des communistes, les deux pays ont pratiqué une politique anti-capitaliste et donc anti-urbain. Les deux économies s'étaient depuis fermées au monde occidental et ne maintenaient des relations qu'avec les pays socialistes d'Europe de l'Est et l'Union Soviétique. Ensuite, depuis 1960 les dirigeants chinois se sont engagés dans la Révolution culturelle alors que leurs amis vietnamiens ont mis en œuvre une réforme foncière. Pendant cette période, les paysans étaient considérés comme la plus importante parmi les quatre reconnues sous Mao (ouvriers, les paysans, les soldats et les intellectuels) car ce sont eux qui participent à la production directe des biens pour la société. Le Viêt-nam après sa réunification en 1975 a fait de même avec les politiques de redistribution de la population en direction des Nouvelles Zones Economiques (BARBIERI et al., 1995). Les coopératives agricoles ont été créées pour qu'on travaille ensemble sur des champs et partagent les résultats selon une appréciation collective.

L'initiative privée a laissé sa place à celle collective. Concernant le développement urbain, les villes représentent pour les communistes le symbole même de cette idéologie capitaliste et impérialiste qu'ils détestent, et elles doivent être "punies". Par conséquent, tous les étrangers doivent peu à peu quitter la ville, à Shanghai par exemple. Beaucoup d'entrepreneurs chinois émigrent vers Taiwan ou Hongkong. Les grands magasins sur la rue Nanjing à Shanghai et des banques sur le Bund sont peu à peu fermés, car le Parti Communiste Chinois veut faire passer la ville consommatrice à la ville productrice. Jusqu’à la fin des années 1970, la Chine faisait exception dans le groupe des pays en voie de développement soumis à une urbanisation galopante : pas de bidonvilles, pas d’exode rural, une croissance urbaine extrêmement modeste. Aussi, le taux d’urbanisation y atteignait à peine 20% au tournant de la décennie 1980 (J-F Doulet, 2005).20

De 1949 à 1978 en Chine, le logement devient un bien social attribué par le gouvernement. Le modèle des unités de travail (danwei) jusque là organisait la vie économique et sociale en ville. Le logement a été attribué par, et se situe donc près des unités de travail. Le contrat social socialiste était fondé sur une prise en charge totale des individus : emploi à vie, sécurité sociale, retraite, logement et services de tous ordres. Sur ce point, les villes vietnamiennes étaient similaires de 1954 dans le nord et de 1975 à 1986 dans tout le pays. Une fois on était embauché par un organisme ou une entreprise d'Etat on avait droit à un logement près du lieu de travail ou en ville. En même temps, les politiques urbaines visaient à contrôler l'urbanisation par un ensemble de mesures administratives (Yusuf et Wu, 1997; Cai, 1999), principalement par le système d'enregistrement des ménages "hukou" en chinois ou hô khâu en vietnamien, étroitement lié aux approvisionnements des biens de consommation, à l'emploi, ainsi qu'à la protection sociale. L'apparence similaire de deux mots indique qu'il n'y avait pas de grande différence entre les deux systèmes des deux pays (DANG N. A., 2003).

Dans ce système, tout le monde est né avec un enregistrement de résidence officielle qui déterminait les conditions de et l'accès aux services publics et prestations sociales du gouvernement, par exemple emplois non agricoles, éducation, soins médicaux et allocations. Afin de recevoir des services et allocations sociales locales appropriés, les citoyens ont dû être officiellement enregistrés comme résidents de droit. Les populations d’origine rurale avaient l’interdiction de s'installer en ville. Le changement de lieu de résidence ou de travail était interdit s’il ne s’inscrivait pas dans un plan socio-économique élaboré et géré par l'Etat.

Le changement de résidence officielle au-delà d'une circonscription administrative, par exemple au Viêt-nam d'une province, était strictement contrôlé, ce qui ne signifiait pas pour autant l’interdiction de se déplacer d'une province à une autre. En effet, ils pouvaient normalement aller et s'installer où ils voulaient, mais ce système renchérissait la migration vers des zones urbaines. Sans enregistrement dans le nouveau lieu de résidence, les migrants ne pouvaient pas trouver un emploi, acheter de la nourriture et les autres nécessités de la vie, ou avoir accès à la plupart des services sociaux. En théorie on pouvait se déplacer librement mais sans perspective d'emploi et accès aux services sociaux. En pratique, la mobilité professionnelle et géographique d’une région ou d’une province à l’autre était jusqu'au début des réformes dans les deux pays.

Suite à l'adoption d'une politique anti-capitaliste et anti-urbaine et de l'isolement, la Chine et le Viêt-nam connurent progressivement une crise économique. Avec l’arrivée au pouvoir en 1978 de Deng Xiaoping, le principe de "lutte des classes" fut abandonné, et les efforts se concentrèrent sur la croissance économique (Zheng et Do, 2003). Pour la première fois, la Chine prit l'initiative de participer à tous les aspects de la mondialisation – avec l’ouverture complète du pays à l’extérieur.

Le Viêt-nam connut une évolution comparable. Le modèle socialiste adopté avec l’appui politique et économique de l'ancienne Union soviétique avait mené le Viêt-nam à un état d'isolement sans précédent. Cependant le pays connut des crises économiques et sociales graves au milieu des années 80. En juillet 1986, la mort de Lê Duân, secrétaire général du Parti pendant 26 ans rendit possible l’éviction des vieux révolutionnaires du bureau politique et le choix d'un nouveau secrétaire général, le réformateur Nguyen Van Linh. Après le 6ème Congrès national du parti communiste vietnamien en 1986, le Viêt-nam entreprit une réforme économique et donna une orientation nouvelle à sa politique des affaires étrangères avec une ouverture aux pays occidentaux de plus en plus large avec l’effondrement du communisme en Europe de l’Est et en Russie.

Hormis la Corée du Nord et le Cuba, la Chine et le Viêt-nam sont les deux pays socialistes qui avaient maintenu des économies fermées et planifiées pendant une longue période. En conséquence, la formation et le développement de leur ouverture économique ont commencé à partir d'une économie fermée. En Chine, le processus d'ouverture a commencé par l'établissement des zones économiques spéciales dont le nombre a augmenté par étapes des régions côtières du Sud-Est aux zones dans les terres. En 1979, quatre ZES (zone économique spéciale) ont été établies à Shenzhen, Zhuhai, Shantou et Xiamen, levant le rideau de l'ouverture sur l'extérieur du pays. Les zones économiques spéciales se multiplient en Chine afin d'attirer les investisseurs étrangers.21

Au Viêt-nam, l'émergence des zones franches de Tan Thuan et de Linh Trung à Hô Chi Minh Ville fut la première forme d'ouverture économique du pays, puis la création de zones industrielles et zones franches se multiplia dans les villes qui accordait des avantages économiques aux investisseurs étrangers comme Dong Nai, Binh Duong, Hanoi et Hai Phong. Les IDE accompagnés de la création d'usines, et donc créateurs d'emplois jouent un rôle très important dans les transformations urbaines.

A la différence de la période précédant la réforme, le mécanisme de contrôle de mouvements de population par le biais de hukou fut remis en cause et la légalisation plus libérale sur l'entreprise privée conduit à un développement fort du secteur privé qui offre de nombreuses opportunités d'emploi. En même temps la forte croissance économique dans les zones urbaines accroît la disparité de revenus entre zones urbaines et zones rurales et accélère le mouvement d’exode de populations rurales vers les villes alors que le contrôle sur les mouvements de population s’assouplissait.

En Chine, comme au Viêt-nam, ces changements similaires alimentent le processus d’urbanisation. Plus de 100 millions de paysans chinois ont quitté leurs villages pour la ville, formant une "population flottante" transitoire, la conséquence de l'une des plus grandes migrations rurale-urbaine dans l'histoire de la Chine (Goldstein A., 1991). Au Viêt-nam, la réforme économique lancée en 1986 a entraîné une forte croissanceéconomique des grandes villes, qui à son tour, a provoqué un afflux massif vers la ville de la main-d'œuvre rurale (Dang, 1999). On estime chaque année à 25.000 le nombre de familles d'origine rurale venant s'installer dans différents arrondissements de Hô Chi Minh Ville et 40% d'entre elles ne disposeraient pas d'autorisation de résidence (Bolay J-C, 1998).

Notes
19.

Danwei ou l'unité de travail était un niveau d'organisation de base par laquelle le Parti Communiste Chinois et les responsables du gouvernement contrôlaient le comportement social, politique et économique de résidents. Chaque danwei était responsable de tous les aspects de la vie de ses travailleurs, de la naissance à la mort. La danwei contrôlait l’attribution du logement et de denrées de base, délivrait les permis de voyager, de se marier, d’adopter, de changer de travail etc. La danwei a constitué un moyen de contrôle du cœur de la société urbaine par le Parti Communiste Chinois.

20.

Quand les villes chinoises viennent au monde, in "Villes chinoises en mouvement" n°341 (mars-avril 2005) de la revue Urbanisme

21.

En 1993, ces capitaux en Chine ont représenté un tiers de tous les investissements étrangers dans tous les pays en voie de développement, ce qui a mis la Chine au deuxième rang du monde seulement après les Etats-Unis comme destinataire d'investissements étrangers. (Wen Guanzhong and Zheng Zhihai, The WTO and China: On the Way to Economic Globalization (Beijing, Chinese People’s University Publishing House, 2001), p. 274.)