Lorsque qu'un motocycle chinois est apparu à Hô Chi Minh Ville en 2001 avec un prix réduit seulement à 6 mois de salaire moyen, le nombre d'enregistrements de motocycles établit un nouveau record. "Chaque jour nous recevons en moyenne environ 1.500 demandes d'immatriculation pour les motocycles, un chiffre record et deux fois plus grand que les années précédentes" disait le chef du Centre d'immatriculation le plus important d'Hô Chi Minh Ville.37
On observe partout dans le monde que la hausse de leurs revenus permet aux ménages de s'équiper des motocycles ou de voitures particulières. Il est pourtant à noter que le motocycle est un phénomène particulier au Viêt-nam. Certes, les deux roues à moteur sont répandus dans d'autres villes des pays d'Asie comme le Taiwan, la Malaisie, l'Indonésie, mais leur part dans la répartition modale plus élevée au Viêt-nam.
La popularité du motocycle s'explique par un facteur important autre que l'augmentation du revenu moyen. La préférence particulière des Vietnamiens pour le motocycle date des années 1960 dans le sud à Saigon d'autrefois (Hô Chi Minh Ville aujourd'hui). Le motocycle présente une image positive aux yeux des habitants vivant dans un climat tropical : assurer une mobilité de porte à porte, prendre moins de place en termes de stationnement, consommer moins de carburant que la voiture particulière, pouvoir être utilisé pour le transport de marchandises. D'ailleurs, le permis de conduire n'est pas exigé pour les cylindrées de moins 50 centimètres cubes. Outre les coûts de carburant, d'entretien et de réparation et le coût de parking qui n'est pourtant pas assez élevé pour décourager l'abus de l'usage, les usagers de motocycle ne doivent pas en payer d'autres, par exemple le péage pour emprunter une nouvelle infrastructure routière comme ceux de quatre roues.38
Le style de vie urbain joue aussi en faveur de l'usage de deux roues à moteur avec la forte préférence pour le type de maison-magasin. Outre la fonction d'habitat, une maison avec façade sur une rue peut aussi servir de lieu de commerce de détail ou de bureau d'une compagnie (Yachiyo, 1997). On fait souvent pencher la bordure du trottoir pour y faciliter l'embarquement du motocycle. Ce type de maison multifonctionnelle accentue considérablement l'avantage de l'usage de motocycle. (VU Thanh Lan, 2004). Avec un motocycle on se déplace de la chaussée sur le trottoir, le stationne facilement et rapidement devant la maison, faire l'achat et s'en va sans payer normalement pour le stationnement. Cette pratique est trop courante que les autorités n'osent pas prendre des mesures tranchées pour libérer les trottoirs des motocycles. Peut-être, elles craignent que la prise de telles mesures endommage le commerce de détail qui est très important dans les deux métropoles.
D'ailleurs, l'urbanisation galopante soutenue par la croissance économique rend de plus en plus longue la distance moyenne de déplacement des habitants. La distance parcourue moyenne dans les années 50 n'était que 5 à 7 km mais elle s'élève maintenant jusqu'à 25-30 km. Pour les déplacements de cette longueur, la bicyclette n'est pas aussi commode que le deux roues à moteur. Par ailleurs, dû à la mauvaise qualité et gestion des immeubles, l'opinion générale ne favorise pas ce type d'habitat bien qu'on sache bien que l'habitat dans des immeubles va de pair avec l'usage de transport collectif dans des villes européennes.
En 1993, Hervé Desbenoît a constaté les tissus homogènes, mêlés, continus pour l'immense majeure partie d'Hô Chi Minh Ville. "Les lieux d'habitation avoisinent les commerces, les petits ateliers ou moyennes industries, les administrations de quartiers ou d'arrondissements. Il est si difficile, surtout dans les zones d'urbanisation récente, d'évoquer un quelconque zonage. L'appréhension des besoins de transports en commun n'en est que plus incommode".Environ 90% des citadins habitent dans des maisons individuelles. Le modèle fameux comme on l'a évoqué est la maison tube (en vietnamien baptisée la maison de rue nhà phô) avec une largeur de façade de 4 m, ou la petite maison située le long des allées. Ces types de maison ne conviennent qu'à l'usage de deux roues motorisé. (VO Kim Cuong, 2000).
A Hanoï, avec l’afflux de migrants et d’investisseurs étrangers (ou de Vietnamiens de l’étranger, les Viêt Kiêu) depuis 1986, on a aussi observé plusieurs transformations de son espace urbain : le remodelage complet de la ville, l'extension généraliséede"l’activité commerciale […] aux quartiers de la ville coloniale, puis aux quartiers périphériques" (Taillard, 1995). On notera ici une interrelation entre les formes urbaines et l'usage de modes de transport. Les deux-roues permettent à ce type d’urbanisation dense et diffuse dans la périphérie d'Hanoï; inversement cette morphologie urbaine incite les habitants qui le peuvent à posséder une moto. (MAUBLAND, 2002).
Malgré le coût encore élevé des deux roues à moteur pour la plupart des Hanoiens en 1993, le taux de motorisation était déjà de 90 véhicules pour 100 ménages. 39 Le développement rapide de l'équipement en motos au Viêt-nam semble alors paradoxal mais le rêve de la plupart des Vietnamiens, citadins et ruraux, était et reste encore dans une large mesure la possession d’un deux roues à moteur.40
Le taux d'équipement dans les deux villes est nettement supérieur à ceux d'autres villes asiatiques de taille comparable. La motorisation en voiture particulière à Hanoï et HCMV a été très faible. Même avant l’invasion des deux roues à moteur chinois, le taux d'équipement dans les deux villes était de 250 motocycles pour 1.000 personnes.
La forte croissance de la motorisation des habitants à Hanoï et Hô Chi Minh Ville les incite à effectuer plus de déplacements que ceux dans d'autres villes. Le nombre de déplacements par jour par personne (la marche à pieds comprise) à Hô Chi Minh Ville et à Hanoï est 3,0 et 2,6 respectivement. Ces taux sont relativement élevés par rapport à d'autres villes asiatiques comme Bangkok (2,3), Manille (2,2), Kuala Lumpur (2,5), Jakarta (1,7), Tokyo (2,3) (ALMEC, 2004). L'utilisation du motocycle devient une habitude même pour des courtes distances de 200 mètres afin d'acheter un paquet de cigarettes par exemple.
La demande des habitants vietnamiens pour le motocycle a été quasiment satisfaite en 2000 quand beaucoup de motocycles chinois ont été importés à prix accessibles aux gens à bas et moyen revenu. La disparité entre les riches et les pauvres en termes de mobilité à motocycle n'est donc pas très grande à Hô Chi Minh Ville ainsi qu'à Hanoï.
Jusqu'en décembre 2002, il y a à Hô Chi Minh Ville 160.000 automobiles dont 67.300 voitures particulières avec un taux de croissance de 12%/an, environ 2,3 millions de motocycles avec un taux de croissance de 17%/an, et environ un million de bicyclettes, environ 3.600 taxis et 30.000 cyclos. Un habitant sur deux a un deux roues à moteur. 50% des ménages ont plus de deux motocycles. En 2003 le taux d'équipement en motocycle est de 0,7 personne/motocycle et notamment dans le premier arrondissement ce taux s'élève à 1 personne/motocycle. En moyenne, 1.000 motocycles sont immatriculés à Hô Chi Minh Ville chaque jour en 2002. La répartition modale est la suivante : transport collectif 3,7%, transport individuel 96,3% avec une forte prédominance de deux roues motorisés.
A Hanoï, les modes de transport individuels dans la capitale ont également connu une croissance extrêmement rapide. Le parc motocycle a presque doublé pendant 5 ans de 1997 à 2002. En 2002 il y a 112.126 automobiles de toutes sortes, 400 bus, 2.500 taxis, 1.112.976 motocycles, 5.000 cyclo-pousses, et un million de bicyclettes. 600 nouveaux motocycles sont enregistrés chaque jour à Hanoï en 2002 dont deux tiers ont été importés de la Chine.
A l'heure actuelle, le taux de croissance est de 13% par an pour le motocycle et 10% par an pour la voiture particulière. Pour la répartition modale, selon une enquête ménage réalisée par le TDSI en 2003, les usagers de motocycles représentent 55%, les usagers de bicyclettes 37%, les usagers de la voiture particulière 1%, les usagers de bus 4%, les usagers d'autres modes représentant une part négligeable. La flotte des véhicules privés constitue donc plus de 90%. La mobilité des habitants se fait avec des modes privés dont le motocycle et la bicyclette prennent la part la plus grande.
La part de motocycle est très importante dans la répartition modale à Hô Chi Minh Ville. Il est à noter que dans ce pourcentage 65,3% des habitants utilisent le motocycle comme conducteur et 12,5% comme passagers. La bicyclette a été rapidement remplacée par le motocycle comme un mode préféré à Hô Chi Minh Ville ainsi qu'à Hanoï.La part des bicyclettes à Hô Chi Minh Ville est fortement tombée de 32% en 1996 à 14% en 2002.
Mode de déplacement | Hanoï | Hô Chi Minh Ville |
Marche à pied | nd | - |
Bicyclette | 37 | 13,6 |
Motocycle | 55 | 77,8 |
Voiture particulière | 1 | 1,2 |
Taxi moto | nd | 1,0 |
Bus et taxi | 4 | 2,5 |
Autres | 3 | 3,8 |
Total | 100% | 100% |
Source : TDSI pour Hanoï (2004), ALMEC pour HCMV (2004) |
Il est estimé que la répartition modale chutera quand le nombre de motocycles montera sensiblement dans les années à venir si aucune mesure d'incitation à l'usage de ce mode doux n'est envisagée à l'avenir. 94% des ménages possèdent des motocycles (60% avec deux motocycles ou plus) et une moitié possèdent des bicyclettes. Les ménages avec un revenu mensuel de 500 US$ ou plus possèdent 3 motocycles en moyenne. La situation n'est pas différente dans les provinces limitrophes (90% possèdent motocycles et 40% ont deux motocycles ou plus).
Donc, individuellement parlant, plus de 60% des habitants possèdent leur moyen de transport privé (motocycle ou bicyclette). Et même il arrive que les non propriétaires utilisent les véhicules de leurs membres de famille ou sont accompagnés par les autres. L'enquête HOUTRANS a montré que l'usage de motocycle s'explique par les avantages inhérents à ce mode.
Par rapport aux américains ou européens, les Vietnamiens ont une mobilité aussi élevée mais à motocycle. L'amélioration du revenu a permis à la majorité des ménages de s'équiper de modes individuels, notamment du motocycle. Cependant, le fort déséquilibre entre les modes collectifs et les modes privés implique beaucoup de problèmes socio-économiques et environnementaux.
Selon Les Jeunes du 15/01/2001
Il faut ajouter que la préférence pour le motocycle est aussi poussée par une condition d'embauche posée par nombreuses entreprises. Cela est similaire en Europe où la mise à disponibilité d'une voiture particulière est une condition importante pour être embauché.
Le coût d’achat d’une moto correspondait ainsi en 1993 à environ cinq à six ans de rémunération pour un ouvrier ou un employé de bureau (sur la base de 300 000 dôngs par mois, soit 30 dollars US), ou quatorze ans de traitement d’un fonctionnaire de base (120 000 dôngs par mois, soit 12 dollars US), selon l'estimation de J-M CUSSET (1996)
Fait significatif, le deux roues à moteur est le premier prix dans de nombreux concours, loteries, etc..