Section 5.1 Les consultants étrangers dans les infrastructures et services urbains

Peu de recherches ont été menées sur les bureaux d’études ou consultants dans les infrastructures et services techniques urbains dans les pays en développement : Baye E. et Cusset J.-M (1991), Godard X. (1992), Farahmand-Ravazi (1994), Black et Rimmer (1982), Dick et Rimmer (1986), Rimmer (1988). En Asie, il faut compter les contributions de Peter J. Rimmer et de Dick, Jacques Niosi (Niosi, 1988) sur les transports urbains de l'Asie du Sud-Est. Ces derniers voient dans les bureaux d’études et les sociétés d’ingénierie les leviers de développement de "modèles" dans les pays bénéficiant de l’aide internationale.

Rimmer et ces collègues ont par exemple souligné le rôle des consultants américains dans le développement des autoroutes urbaines au Japon après la guerre du Pacifique. Ce rôle aurait d’ailleurs été similaire à Bangkok [Bongsadadt, 2002], et dans les systèmes de transports dans plusieurs pays d’Asie du sud-est. Dans un autre domaine comme celui de la gestion de l’eau, les consultants internationaux ont été au cœur des efforts des pays occidentaux - au premier rang desquels la France et le Royaume-Uni - et des multilatéraux pour pousser les villes chinoises ou de grandes métropoles comme Jakarta et Manille, à adopter des systèmes de gestion déléguée, et bien entendu de BOT (Baye E., Smithson J., 2001).

Dans sa thèse, Laurence Nguyên (1998) a déjà montré le rôle de l’expertise étrangère dans la politique de modernisation et de développement urbain à Hanoï et HCMV, et l’émergence d’une politique vietnamienne entre plan et marché. Le rôle des consultants devient nettement important, notamment à l’amont des projets. Ils ont étudié la situation et proposé les solutions ou formulé les stratégies pour le secteur. Pour la plupart du temps, leur travail est considéré comme positif et de grande importance au succès des projets. Ils ont été appréciés pour leur indépendance, connaissance d’expert, vue externe, compétences performantes et nouvelles idées apportées des autres pays.

Au Viêt-nam l'expertise étrangère sollicitée dans le champ des infrastructures intervient habituellement dans le cadre de coopérations bilatérales, multilatérales ou décentralisées. Depuis la reprise de l'APD au Viêt-nam en 1993, le montant total engagé s'élève à 17,5 milliards d'US$.72 Dans le domaine des transports, l'aide bilatérale combinée (hors Japon), représentait de 1992 à 1997 200 millions de US$. La part du Japon s'élevait à 492 millions de US$, celle de la Banque mondiale et de la Banque Asiatique de Développement à, respectivement, 482 et 320 millions de US$.73

Les bureaux d’études étrangers n’interviennent guère au Viêt-nam que depuis le début des années quatre-vingt-dix. Leurs interventions ont très largement été aménagées par les initiatives d’aides multilatérales et bilatérales qui prévoient classiquement la rémunération de consultants étrangers et, en théorie du moins, des transferts de savoir-faire. Ils sont abondamment sollicités au Viêt-nam dans le champ des infrastructures urbaines qui sont l'objet de programmes et projets plus ou moins avancés : tramway et régulation du trafic à Hanoï, idée d'un TCSP souterrain à HCMV, ponts, réseaux de distribution d'eau. Les grands bureaux d'études internationaux sont concernés : BCEOM et Sogreah (France), Louis Berger et De Leuw Cather (USA), Contrans (Suède), MVA (Royaume-Uni) ou ALMEC, Padeco et Pacific Consultants International (Japon). Parmi tous les pays, le Japon à travers la JICA et la JBIC (ex OECF), est le plus actif, tout particulièrement dans les transports.

Dans le domaine de transport et mobilité urbaine, une série d’études ont été réalisées durant la période 1992-2002 par les consultants étrangers en vue de planification et amélioration de mobilité urbaine. Les consultants sont variés et sont venus dans le cadre des financements des bailleurs de fonds dont les plus importants sont SIDA (Suède), DFID (Royaume-Uni), la Banque Mondiale, et la JICA (Japonais). Les études qu’ils ont réalisées forment une base essentielle pour la mise en œuvre des projets concrets à la suite. On constate un taux faible de réalisation de ces projets, notamment ceux d'investissement dans les transports publics par manque de fonds à la suite des études. Les consultants étrangers apportent cependant diverses formes d'assistance technique pour traiter de nombreux problèmes à court terme ou à travers l'élaboration des masters plans apporte des éléments de réflexion sur les orientations de politiques de transports urbains à Hanoï et à HCMV.

En général, deux types d'intervention sont menés par les consultants internationaux dans le domaine de transports au Viêt-nam : les études "ponctuelles" et les études "stratégiques". Le premier porte sur une infrastructure particulière (réseau routier urbain, aéroport, pont, réseau ferroviaire interurbain à réhabiliter, etc.) Ces études sont essentiellement technico-économiques. L'articulation entre la partie "infrastructure" et celle du transport urbain est très faible. Même si les études prennent en compte l'ensemble du système de transport, elles n'ont pas une vue d'ensemble sur ce que devrait être ce système à l'horizon qu'elles considèrent (date de mise en service de l'infrastructure) et des mesures qu'il faudrait prendre pour parvenir à tel ou tel système. Le deuxième type d'intervention concerne les études essentiellement "stratégique" qui prennent en compte l'ensemble du système de transport urbain et son devenir avec la préconisation des mesures pour atteindre tels ou tels objectifs.

La physionomie offerte par les interventions concernant les transports urbains (donc hors infrastructures portuaires et aéroportuaires) est assez révélatrice.

Tout d’abord, Hanoï et HCMV concentrent l’écrasante majorité des initiatives recensées, 37, alors que les villes moyennes n’en ont accueilli que trois. En fait, les priorités de l’aide en transports urbains ont jusqu’ici concerné les deux plus grandes métropoles, tandis que les efforts en province ont essentiellement visé le réseau routier ou "autoroutier", et les grandes infrastructures (tunnels, ponts), afin d’améliorer les communications avec et entre les villes moyennes.

Ensuite, on peut décomposer les interventions par nature dans les deux villes principales (voir tableau 9).

Tableau 9 : Interventions des bureaux d’études transports - Hanoï et HCMV
  Hanoï HCMV Total
Master plans et assimilés 2 3 5
Transports publics 11 6 17
Etudes/projets infrastructures 0 1 1
Etudes spécifiques (pollution, etc.) 4 9 13
Autres   1 1
Total 17 20 37
Source : Baye et al. (2004)

Hanoï et HCMV totalisent autant d’interventions de consultants étrangers l’une que l’autre, soit 17 chacune. Les missions françaises et japonaises sont les plus nombreuses (21 au total sur un ensemble de 37). Il faut aussi compter diverses études de type de courtes missions comme celles de Transdev, RATP International et CETE/CERTU sans parler de la mission du petit bureau d’études parisien Explicit74, confiée par l’ADEME et une intervention conjointe en ingénierie de Thales et Coyne et Bellier pour la réhabilitation du pont Long Bien à Hanoï.

Tableau 10 : Interventions en ingénierie des transports par origine des consultants 2000-2004
  Hanoï HCMV
France 5 5
Japon 5 6
Etats-Unis 1 2
Royaume-Uni 1 2
Australie 0 2
Allemagne 2 0
Suède 3 0
Total 17 17
Source : Baye et al. (2004)

L'expertise française intervient donc de façon irrégulière dans le domaine du transport urbain. A l'opposé, les interventions japonaises se caractérisent par un équilibre entre les prestations de planification générale, les études de faisabilité, le design détaillé, et la supervision de travaux. Elles démontrent, une fois de plus (Baye et Cusset, 1990), l’intérêt de Tokyo pour le secteur des transports urbains en Asie de l’Est.

Le Japon est à l’origine de deux master plans sur les cinq grandes études de planification générale identifiées sur la période dans les deux villes :

  • Master plan de transport d'HCMV pour 2020 (HOUTRANS) (2002-2004) – Almec Corporation75
  • Amélioration des transports à HCMV et Hanoï (1998-2002) - MVA Asia Ltd.
  • Master plan d'Hanoï (1997) – Yachiyo Engineering Co. + Katahira & Engineers International
  • Etude de développement des transports à HCMV, horizon 2020 (1996-1998) - MVA Consultancy + Maunsell + Transport Research Laboratory
  • Etude de faisabilité de transport ferroviaire urbain pour Hanoï horizon 2010 (1999) - Dorsch Consult.

Outre ces études, il y a de nombreuses études réalisées de 1992 à 2002. On peut compter aussi l'étude de faisabilité d'une ligne de TCSP de Ben Thanh à Binh Tay réalisée par la SEMALY en 1998 dans le cadre d'une coopération entre la Ville de Lyon-France et Hô Chi Minh Ville et deux études récentes sur la faisabilité d’une ligne pilote de tramway à Hanoï par SYSTRA et deux lignes de métro pour Hô Chi Minh Ville par TEWET (Allemagne). Il conviendrait ici de faire le point sur les diagnostics portés sur le secteur des transports urbains et les recommandations avancées par les consultants étrangères à Hanoï et Hô Chi Minh Ville et de voir comment celles-ci ont été enfin acceptées par les décideurs politiques. Compte tenu des similitudes entre les études, ici nous proposons de nous concentrer sur les principales études susmentionnées.

Notes
72.

Vietnam News, December 16, 2000

73.

source : Banque mondiale cité par Baye. E et al. (2004)

74.

Appuyé par le LET

75.

L'équipe d'études, animée par des experts de la JICA, est basée au sein du TDSI-South (Transport Development Strategy Institute in the South); C'est le consultant japonais, ALMEC, qui intervient depuis de nombreuses années en Asie, qui a la responsabilité de l'ensemble.