Conclusion du chapitre 5

Les consultants raisonnent en termes internationaux tandis que les autorités, comme dans la plupart des pays où il y a de l'instabilité politique, craignent de prendre des mesures impopulaires. Cela explique pourquoi les mesures fiscales préconisées d'une manière unanime par tous les consultants sont très peu prises en considération. Prenons le cas de l'étude sur la planification des transports réalisée par Dorsch Consult en association avec MVA pour la ville d'Hanoï. Les consultants ont fait des calculs simples pour montrer bien que le transport privé motorisé était plus attractif que le transport public en termes de coût d'usage.

Certes, des conceptions peuvent opposer des experts étrangers – par exemple à propos de la restriction des deux-roues motorisés, solution préconisée par la plupart des consultants sauf pour Yachiyo, qui favorise la promotion d'usage du motocycle afin de restreindre le passage de ce mode à la voiture particulière. Ces débats servent indubitablement aux autorités à définir leurs propres positions. Mais dans l'ensemble les recommandations des consultants étrangers dans le domaine de transports urbains au Viêt-nam convergent sur les points stratégiques comme développement de transport public et découragement d'usage de transport individuel.

Peut-être la SEMALY ne sait pas que son étude réalisée à HCMV en 1997-1998 continue à inspirer les décideurs à Hô Chi Minh Ville et Hanoï en matière d’aménagement de lignes de transports en commun ? Souvent, les bonnes études laissent des traces plus profondes que les consultants ne le pensent. Leurs temporalités et celles des décideurs vietnamiens ne sont pas identiques. Sans être des spécialistes du système de décision vietnamien, risquons nous à dire que les décideurs ne peuvent sans doute faire autrement que de "stocker" les recommandations et de les traiter progressivement, par un processus de "distillation" prudent, exigé par la complexité des choix et des rapports de force entre personnes et entre administrations, sans parler des contraintes objectives (coûts financiers et sociaux notamment) qui pèsent sur les options proposées (Baye et al., 2004).

Dans la plupart des cas d'intervention des consultants, il semble que les autorités ne suivent pas immédiatement les conseils après le départ des consultants par manque de fonds nécessaires. En effet, les autorités tendent à "stocker" puisqu'elles ne sont pas suffisamment convaincues en regardant ce qui se passe en réalité. C'est vrai qu'au moment de la formulation des recommandations de MVA ou de Yachiyo le transport urbain à Hô Chi Minh Ville et Hanoï n'était pas dans un état critique. La circulation restait fluide et les deux villes ne sont pas envahies par le motocycle. Lorsque l'impact de la crise de transport urbain est "tangible" 3 ou 4 ans plus tard, c.-à-d. en 2000 et 2001, les autorités sont obligées à agir. C'est à ce moment là qu'elles revoient et sélectionnent les mesures appropriées face à la situation problématique. On aura l'occasion de revenir sur ces mesures dans le chapitre qui suit.

Il est vrai qu'on peut reprocher au consultant étranger, par souci de rentabilité ou succession de missions trop courtes de vouloir, d'imposer telle solution technologique avancée au bénéfice des industriels de son pays, liée à ses propres expériences dans des pays tiers, mais inadaptée au contexte local. Selon la recherche sur les projets APD, plusieurs partenaires locaux interrogés considèrent que les transferts des techniques, des informations, et des expertises proposés dans ces projets sont inutiles et inadaptés (Baye et al., 2004).

Les bénéfices apportés par les consultants incluent des exemples de bonnes pratiques, modèles d’innovation, compétences de gestion de projets, indépendance et une perspective extérieure qui sont assez forts pour confronter les autorités locales à des vérités parfois non désirées. Un bénéfice clé est leur transfert de savoir-faire et des outils de gestion ainsi que de prévision et de planification de trafic. Si jamais la contribution des consultants est décevante, ceci est imputé aux problèmes tels que mauvaise collecte de données, méthodologies impertinentes, engagement limité, mauvais connaissances de caractéristiques locales, barrière linguistique, or arrogance.

Mais il est aussi vrai que l'expertise étrangère contribue à l'évolution des approches des autorités vietnamiennes en matière de gestion des transports et des déplacements. De tout nouveaux concepts comme transport collectif en site propre, mesures restrictives d'usage de véhicules individuels motorisés ou concession sont récemment entrés dans les approches ou au moins la réflexion locales. Les apports de consultants internationaux au Viêt-nam en savoir-faire et expériences ne sont parfois pas des solutions technologiques grandioses mais celles simples, efficaces et peu coûteuses comme la création d'un logiciel simple pour saisir et collecter les données sur les activités quotidiennes de bus qui sert d'outil d'aide à la décision dans le développement et la gestion de transport collectif.

Jusqu'ici on a vu que quasiment tous les consultants ont recommandé le développement de transport public et le découragement d'usage du transport individuel motorisé. Le développement du transport collectif consiste à court et moyen terme à investir dans le bus et faciliter la participation des opérateurs privés. Mais les consultants insistent beaucoup sur la restriction de l'usage du transport individuel motorisé. Cela a un double objectif : le report des usagers de modes individuels vers les modes collectifs et génération de ressources pour financer en partie le transport collectif. On va aborder cet aspect important de la restriction d'usage de transport individuel motorisé dans le prochain chapitre.