- 2 - L'industrie automobile

Il est dommage que le gouvernement ne tire pas des enseignements de la contradiction entre la politique de développement de l'industrie du motocycle et les mesures restrictives sur l'équipement en motos pour se passer du développement de l'industrie automobile. Il semble que le gouvernement considère comme normal que le développement de l'industrie automobile et la limitation d'équipement ou d'usage de voitures particulières sont deux choses différentes. Cette contradiction encore une fois fait l'objet d'une critique intense des industriels et des habitants désireux d'acquérir une voiture particulière à bon marché.

Pour mieux comprendre la question, il nous conviendrait de revoir la politique vis-à-vis de l'automobile par le passé et au présent.

Comme en Chine pendant la période socialiste, le Viêt-nam considère l'automobile comme des marchandises de luxe sauf les véhicules utilitaires et camions. C'est pour cette raison que la voiture doit subir beaucoup de taxes pour que les Vietnamiens s'abstiennent d'en consommer. Par exemple, de 1994 à 1999, la taxe d'importation pour une voiture de moins de 5 places est de 200% et la TVA de 10%. En 1999, ce taux est réduit à 100% mais on doit payer la taxe de consommation spéciale (taxe de luxe) à un taux de 100% sur la base du prix d'importation plus la taxe d'importation, la TVA de 10% sur la base du prix d'importation plus la taxe d'importation plus la taxe de consommation spéciale. En moyenne, le prix d'une automobile était 289% plus cher que le prix de vente aux Etats-Unis (Sturgeon, 1998).

Toutes ces taxes élevées sur la voiture visent à protéger l'industrie automobile jeune, pas dans le but de restreindre l'usage de l'automobile pour réduire les externalités liées à la croissance de ce mode de transport.

Avec la politique d'ouverture et les aspirations à une industrie automobile comme celle de Malaisie et récemment celle de la Chine, le gouvernement vietnamien a depuis 1994 adopté une politique exigeant de tout industriel automobile étranger l'engagement à fabriquer 60% des composantes au Viêt-nam. Cette politique vise à développer la production locale des composantes et pièces d'automobile. Un chemin d'étapes a été tracé pour tout constructeur automobile. Une automobile fabriquée au Viêt-nam devra atteindre une proportion de composantes locales de 5% après 5 anset 30% à la 10ième année.

En revanche, le gouvernement accorde à cette industrie des avantages fiscaux. En plus des avantages fixés dans la loi sur l'investissement étranger et la loi sur l'investissement local, les entreprises de montage d'automobile bénéficient des avantages fiscaux comme la TVA, la taxe d'importation, et la taxe sur la consommation spéciale. Jusqu'en 2003, les automobiles montées au Viêt-nam sont exonérées de la TVA de 10% qui est imposée aux automobiles importées. Les taxes d'importation pour des composantes CKD et IKD ne sont que 3% à 15% et 1% à 5% respectivement et il n'y avait pas de taxe de luxe pour les automobiles montées au Viêt-nam jusqu'à la fin 2003. Avec seulement deux joint-ventures en 1991, il y a à l'heure actuelle 11 joint-ventures et plus de 160 entreprises locales de montage, de réparation et de fabrication de pièces détachées.

Cependant, après 10 ans d'accorder beaucoup d'avantages aux constructeurs automobiles étrangers, l'industrie automobile vietnamienne n'avance pas considérablement. Les entreprises qui se sont engagées à atteindre la proportion de composantes locales de 30% à 40% n'atteignent pour la plupart que 2% à 10%.117 Le gouvernement trouve que sa protection de l'industrie automobile n'a pas porté de fruit et que le prix de la voiture particulière fabriquée dans le pays reste élevé car les composantes doivent être importées à prix élevé. Le prix de la voiture n'est donc pas à la portée de toutes les bourses. Compte tenu de cette situation, le gouvernement a modifié la politique de l'industrie automobile dans l'espoir de faire augmenter la proportion des composantes fabriquées au Viêt-nam.

Tableau 17 : La modification de la taxe de consommation spéciale
Catégorie de véhicule pour véhicules importés Pour véhicules fabriqués au Viêt-nam
Taxe de consommation spéciale Jusqu'en 2003 à partir de 2004 Taxe jusqu'en 2003 A partir de 2004 2005 2006
Moins de 5 places 100% 80% 5% 24% 40% 56%
6 à 15 places 60% 50% 5% 24% 40% 56%
16 à 24 places 30% 25% 5% 24% 40% 56%
Source: Loi de modification de la taxe de consommation spéciale approuvée le17/06/2003 par l'Assemblée Nationale

Depuis le 01/01/2004 la taxe d'importation de composantes CKD est passée de 15% à 20%. Et les augmentations de la taxe de consommation spéciale devraient évoluer de la manière suivante.

A partir de 2007, la taxe de consommation spéciale aura le même taux que les véhicules importés, c'est-à-dire 80%, 50%, et 25% pour les moins de 5 places, les 6 à 15 places, et les 16 à 24 places respectivement. En outre, les véhicules fabriqués au Viêt-nam doivent subir la taxe TVA de 10% comme les véhicules importés mais il est à noter la façon de calculer la TVA. Par exemple, un véhicule a un prix de vente de 40.000 US$ en 2004. La TVA est égale à 4.960 US$,118 pas 4.000.

L'objectif général est de rapprocher les taxes pour une automobile importée et les taxes pour une automobile montée au Viêt-nam afin d'inciter les entreprises à fabriquer des pièces et des composantes sur place. D'ailleurs, la politique de l'industrie a inévitablement été modifiée sous la pression des autres pays si le Viêt-nam veut entrer dans l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Comme la Chine, la volonté du Viêt-nam de devenir membre de l'OMC implique l'obligation de changer sa politique fiscale afin de baisser les prix de l'automobile, que celle-ci soit importée ou fabriquée dans le pays.

Il semble que le gouvernement cherche à établir une industrie automobile qui permet à la fois le développement des industries tributaires et l'acquisition à prix raisonnable d'une voiture pour la population. Mais il semble aussi que le gouvernement veut développer l'industrie automobile en fonction de l'infrastructure de transport. Y a-t-il là des contradictions? Oui, c'est clair qu'il existe des contradictions dans les politiques de développement. Il convient ici de voir le plan de développement de l'industrie automobile récemment approuvé par le Gouvernement.119

Les incohérences et contradictions dans le choix de développement apparaissent à la lecture du document.

Encadré 6 : Extrait du plan de développement de l'industrie automobile
Encadré 6 : Extrait du plan de développement de l'industrie automobile

Plusieurs incohérences et contradictions sautent aux yeux. Ainsi, tout le monde sait que l'usage de l'automobile est responsable en grande partie de la pollution atmosphérique, et par conséquent la dégradation de l'environnement ; comment alors peut-on développer l'industrie automobile sans inciter l'usage de voitures particulières et aggraver la qualité de l'air ? De même le gouvernement veut développer l'industrie automobile mais en même temps restreindre l'usage de l'automobile compte tenu de l'insuffisance d'infrastructures routières. Donc, il a conclu même dans le Plan que le nombre de constructeurs automobiles est actuellement amplement suffisant pour répondre à la demande d'automobiles prévue pour 2010.120

Face à ces contradictions entre le développement de l'industrie automobile et la prise en compte de l'insuffisance d'infrastructures (avec l'imposition des taxes de consommation sur les voitures localement fabriquées), certains lecteurs ont exprimé leurs critiques dans la presse. Ils sedemandent pourquoi le Viêt-nam veut développer l'industrie automobile pour que chaque famille puisse acquérir une voiture tout en maintenant des taxes élevées, notamment celle sur la consommation spéciale.

Les responsables du Ministère de l'Industrie et du Ministère des Finances répondent aux critiques en argumentant de plusieurs manières. "Nous faisons des efforts pour limiter l'équipement en automobile car notre infrastructure reste pauvre"121 ou bien "si les infrastructures du Viêt-nam restent insuffisantes dans les années à venir, nous devons maintenir une taxe d'importation appropriée pour limiter l'importation des voitures".122

Le Ministre actuel des Transports répondait dans le même sens dès 2002 : "il faut tirer des enseignements du "développement non maîtrisé du motocycle pour envisager le passage du deux-roues motorisé à la voiture particulière dans un contexte de croissance économique. L'équipement en moyens de transport doit s'harmoniser avec l'infrastructure de transport."123

En réplique, un lecteur du VnExpress a critiqué cette explication en posant encore la question : "mais quand est-ce que nos infrastructures sont suffisantes ?" C'est sûr qu'à cette question il n'y a pas de réponse parce qu'on ne sait pas quand les infrastructures de transport seront suffisantes et sur quel critère. Encore une fois on voit ici un manque de logique : si les infrastructures sont défaillantes, pourquoi ne pas se passer de l'industrie automobile ? Peut-être les explications du Ministère de l'Industrie sous-entend que la construction de routes pourra être faite plus tard pour contenir le parc automobile comme dans le cas de Bangkok. Mais en réalité dans leurs discours la plupart des responsables vietnamiens ne veulent pas que Hanoï ou Hô Chi Minh Ville devienne un deuxième Bangkok.

A la question d’un journaliste sur le caractère indispensable on non de l’industrie automobile alors que de nombreux pays se développent sans elle, le vice-Ministre de l’Industrie répond par un vibrant plaidoyer en sa faveur.

‘Le Viêt-nam a vraiment besoin d'une industrie automobile qui sera l'industrie de pointe du pays d'ici 2010 comme l'a bien indiqué le Plan de développement de l'industrie automobile. Le parc automobile du Viêt-nam actuellement au nombre de 661.057 véhicules immatriculés n'est pas à la hauteur d'un pays de 80 millions d'habitants en forte croissance économique. La demande jusqu'en 2010 est estimée à 1,3 millions de véhicules. S'il n'y a pas de l'industrie automobile pour répondre à la demande, nous devons dépenser un montant d'environ 2 milliards de US$ pour l'importation, ainsi rendant déficitaire la balance commerciale et entraînant un manque de devises. De plus, le développement de l'industrie automobile entraîne aussi le développement des autres industries. Tout pays souhait avoir une industrie automobile en fort développement et le Viêt-nam ne fait pas l'exception"124

On ne sait pas si le Viêt-nam pourra développer avec succès une industrie automobile. Mais l'expérience n'est pas favorable au développement de l'industrie automobile pour les pays en développement. Il faut admettre avec courage qu'il est trop tard pour construire une industrie automobile au Viêt-nam car l'industrie automobile de nos jours est une industrie à l'échelle mondiale, pas limitée àun pays. Les pays ayant une industrie automobile puissante à l'heure actuelle ont commencé il y a une demi-siècle. Ne serait-ce pas la volonté de développement de l'industrie automobile sans lendemain conduit à un gaspillage de ressources nationales et notamment engendrer des externalités liées à l'usage populaire de l'automobile ?

Il est clair que la restriction d'acquisition ou d'usage de véhicules individuels et le développement de l'industrie du motocycle ou de l'industrie automobile sont en parfaite contradiction. On ne peut développer l'industrie du motocycle ou l'industrie automobile alors qu'on restreint l'usage de motocycle et d'automobile. Pour briserce cercle vicieux, il faut une politique en cohérence avec le développement durable.

Notes
117.

Ngoc Quang, Oto tang gia - loi do nguoi tieu dung va nha san xuat (l'augmentation du prix de l'automobile : c'est la faute des consommateurs et des fabricants www.vnexpress.net du 08/05/2004

118.

[10%(40.000 + 24%*40.000)]

119.

Décision 177/2004/QD-TTG signée par le Premier Ministre le 05/10/2004 relative au Plan de développement de l'industrie automobile du Viêt-nam jusqu'en 2010, à l'horizon 2020

120.

c-.à.d qu'il n'accorde plus l'autorisation pour l'ouverture d'une usine d'automobile supplémentaire.

121.

la parole du vice-Ministre de l'Industrie Nguyen Xuan Chuan citée par VnExpress www.vnexpress.net du 14/08/2003

122.

La réponse du Vice-ministre des Finances Truong Chi Trung, à la question du VnExpress "le prix de la voiture reste si élevé, pourquoi nous ne réduisons pas la taxe d'importation d'automobile ? " www.vnexpress.net du 27/11/2004

123.

la réponse du Ministre des Transports à la question posée par le journaliste de la Jeunesse (Tuoi Tre) du 13/11/2002

124.

Tran Thuy "L'industrie automobile sera une industrie de pointe du Viêt-nam?", Vietnamnet www.vnn.vn du 27/11/2004