- a - Renchérissement du coût des carburants

Le prix de carburant doit être fixé à un niveau suffisamment élevé pour décourager l'usage de véhicules motorisés individuels. Contrairement à cette logique, le prix de carburant au Viêt-nam est maintenu à un niveau très faible au regard des comparaisons internationales, au moins dans le passé récent. Le niveau faible du prix de carburant est un facteur important expliquant l'usage populaire du motocycle au Viêt-nam. Etant longtemps sous la protection de la subvention de l'Etat, l'habitude devient trop ancrée chez les usagers de véhicules motorisés, notamment du deux-roues motorisé, qu'ils oublient que le prix de carburant est au-dessous de son vrai prix d'importation. Ainsi, ils utilisent le motocycle de façon abusive, même pour parcourir seulement 200 m.

Il conviendrait de revenir sur la politique de subvention du prix de carburant. Le Viêt-nam reste marqué par l’époque collectiviste malgré les diverses étapes du changement engagé depuis le Doi moi. En économie socialiste, les biens de consommation courante (huile, essence, sucre, riz, viande…) et la grande majorité des produits commercialisés (dont le logement, l’électricité, l’eau, etc.) étaient subventionnés et rationnés. Aujourd’hui, l’échange marchand domine dans tous les secteurs économiques de façon directe ou indirecte (marché foncier et immobilier).

La réforme des entreprises publiques et la politique de privatisation partielle des services publics (y compris éducation et santé) attestent la fin d’une époque régie par l’économie administrée et subventionnée. Cependant quelques biens stratégiques et symboliques- comme le carburant- échappent encore à cette marchandisation. Puisque le gouvernement craint qu'il ne puisse pas gérer l'économie s'il ne réussit pas à contrôler les prix de ces marchandises. Selon l'argumentation des représentants de l'Etat, les fluctuations des prix des marchandises stratégiques peuvent influer sur, ou plutôt, entraîner la hausse des prix d'autres marchandises, ce qui n'est donc pas favorable au fonctionnement normal de l'économie.

Le gouvernement intervient donc pour régulariser les prix des marchandises stratégiques lorsqu'il y a une fluctuation de prix dans tout le territoire vietnamien pour réduire au minimum l'impact des fluctuations sur le développement socio-économique du pays. Selon l'Ordonnance sur la tarification n° 40/2002/PL-UBTVQH10 en date du 26 avril 2002, les marchandises régies par l'Ordonnance sont essence, pétrole, gaz de pétrole liquéfié, électricité, eau, ciment, fer, acier, engrais, riz, café, coton à grain, canne à sucre, sel, un certain nombre de médicaments. Les prix de ces marchandises sont réglementés et modifiés seulement au cas où il y aurait un grand accroissement de 5 à 30% du prix d'importation pendant 30 à 60 jours normalement dû aux fluctuations du marché mondial.

C'est pour cette raison depuis 1954 dans le nord et depuis 1975 sur tout le pays, le prix de carburant n'augmente pas de façon considérable malgré que le gouvernement l'ait ajusté plusieurs fois. On trouve que le carburant est toujours meilleur marché que dans d'autres pays voisins.

Depuis 1994, il y a un "frais de transport" de 300 VND dans le prix à la pompe du litre d'essence. En 1996 le frais s'est élevé à 500 VND par litre d'essence. Le frais est fixé pour alimenter le fonds d'entretien et rénovation de route. Ce n'est pas une vraie taxe visée à limiter l'extension des modes de transport individuels motorisés car le prix à la pompe reste très bon marché depuis longtemps. Il semble que les autorités aient dû renoncer à des hausses importantes du prix du carburant devant les réactions hostiles de la population ou de ses représentants institutionnels. D'ailleurs, il est aussi vrai que chaque fois le prix de carburant est modifié à la hausse, le niveau des prix d'autres marchandises s'accroît proportionnellement. C'est ce que le gouvernement craint car cela entraînerait une hausse du taux d'inflation.

La hausse spectaculaire du pétrole sur le marché mondial enregistrée ces dernières années s’est répercutée sur l’ensemble des pays, producteurs de pétrole ou non. Le Viêt-nam, qui avait jusque là maintenant les prix intérieurs des carburants à un niveau relativement faible, a dû se résigner à augmenter progressivement ces prix.

Graphique 12 : L'évolution du prix de carburants au Viêt-nam
Graphique 12 : L'évolution du prix de carburants au Viêt-nam

Le prix du litre d'essence était de 2 500 VND fin 1993, 2 900 VND en 1994, 3 200 VND en 1995 (1,60 F), 4.200 VND en 1998, 4.800 VND en 2000. De l'an 2000 à 19/04/2004 il y a eu 8 modifications de prix à la pompe pour atteindre 7.000 VND au 19/04/2004. Mais ce prix restait faible au moins par rapport aux pays voisins comme le Cambodge (équivalent à environ 10.000 VND). La différence entre l'ancien prix et le nouveau prix était souvent inférieure à 1.000 VND (5 centimes euro) pour donner l'impression que la hausse n'était pas considérable.

Or, cette pratique de maintenir le prix de carburant est une politique à double tranchant, notamment dans le contexte de la crise soutenue du pétrole sur le marché mondial. Plus le gouvernement subventionne le prix de carburant, plus l'écart entre le prix local et le prix international devient important. Si jamais le prix international est trop élevé que le gouvernement ne peut plus supporter la subvention et est obligé à fixer un prix local très élevé par rapport à la perception habituelle de la population, ce sera une catastrophe.

Cette supposition a récemment été affirmée depuis que le monde a connu plusieurs flambées du cours du pétrole. Le prix à la pompe du litre d'essence a dû être élevé à 8.000 VND en mars et puis 8.800 en juillet 2005. Mais ce n'est pas fini. En mi-août 2005, le prix a été fixé à 10.000 VND. Les années 2004 et 2005 ont donc enregistré une augmentation record du prix de carburant depuis 1990. Dans l'année 2004, le prix a été augmenté à 8.000, 8.800, et 10.000 VND.

Il y a des raisons sous-jacentes derrière ces hausses importantes de prix de carburant. D'abord, sur le plan financier, le gouvernement ne peut plus supporter le niveau de subvention trop important qui s'élève à 7.554 milliards pour 7 premiers mois de 2005. Il est prévu que la subvention pour toute l'année 2005 sera de 13.000 milliards VND, sans parler de la perte de la taxe d'importation de pétrole estimé à 10.000 milliards VND par an. Ces chiffres sont très grands par rapport au budget d'Etat de 183.000 milliards VND. Deuxièmement, l'augmentation du prix de carburant a aussi pour but d'empêcher le phénomène de fuite de carburant dans les pays voisins comme le Cambodge où le prix en est plus élevé de 3.000 à 4.000 VND le litre.

Cependant, selon le vice-Ministre des finances Tran Van Ta, l'augmentation du prix de carburant permet de réduire la subvention de l'Etat mais ne reflète pas encore le vrai prix de carburant car l'Etat prend en compte le niveau de vie de la population. Cependant, il a reconnu que jusqu'à un certain temps la politique de protection devra être supprimée. "Nous ne pouvons pas isoler notre système de prix du marché mondial, et aussi le prix de carburant. Mais pour le présent le prix de carburant est modifié de façon à ne pas avoir des répercussions importantes sur les habitants et les entreprises"126

Quoi qu'il en soit, on observe que les répercussions de ces hausses sur la mobilité quotidienne dans les grandes villes commencent à se faire sentir. Malgré que le relèvement des prix des carburants au Viêt-nam n’ait pas pour objectif de décourager l’usage des deux roues à moteur et de la voiture, l'augmentation "obligée" du prix de carburant exerce des répercussions sensibles sur le comportement des usagers de motocycle.

Le prix d'un litre d'essence coûte 10.000 VND en juillet 2005 par rapport à 5.300 VND en 2002 tandis que le prix d'un ticket simple du transport collectif coûte 2.000 VND à Hô Chi Minh Ville et 3.000 VND à Hanoï. Supposons qu'un banlieusard se déplaçant à motocycle pour travailler en centre ville à 12 km de chez lui peut effectuer deux fois d'aller-retour au maximum, le coût de voyage en motocycle et celui en transport public sont plus ou moins égaux. Si on y compte le coût de stationnement qui a tendance à la hausse, le coût de voyage en motocycle est certainement supérieur à celui en transport public. Ce n'était pas le cas avant l'an 2000.

Graphique 13 : L'impact de l'augmentation du prix de carburants sur la mobilité
Graphique 13 : L'impact de l'augmentation du prix de carburants sur la mobilité

Une conséquence logique est que l'augmentation galopante du prix de carburant a favorisé le report sur d'autres modes favorables à l'environnement : le bus, la bicyclette et la bicyclette électrique. Comme l'indique le résultat de l'enquête d'opinions de la Jeunesse auprès de 16.128 internautes, la part des enquêtés disposés à se reporter vers le bus (31%) et le vélo (29%) devient importante. Et on peut dire qu'un équilibre modal est en train de s'établir si l'on compare ces chiffres avec l'enquête HOUTRANS en 2002 selon laquelle seulement 13,6% des déplacements sont effectués à vélo mais 77,8% à motocycle.

Le nombre de voyageurs de bus a augmenté de 12,3% en juillet 2005 comparé au mois précédent suite à l'augmentation du prix de carburant de 8.000 VND à 8.800 VND. Selon le MOCPT d'Hô Chi Minh Ville, non seulement les étudiants et écoliers mais beaucoup d'employés de bureau, d'école, d'hôpital ont aussi laissé leurs motos pour prendre le bus. Un passager de bus a expliqué pourquoi il se reportait vers le bus. "Un parcours quotidien à motocycle sur 20 km (aller et retour) nécessite 8.000 VND plus 2.000 VND pour le parking. Alors, je dois faire une dépense mensuelle de plus de 300.000 VND pour l'usage du motocycle. Si je prends le bus, je paie seulement 4.000 VND par jour, soit 120.000 VND par mois même moins si je fais un abonnement."127

Depuis l'augmentation du prix de carburants, la bicyclette électrique et le motocycle électrique se vendent très bien. Beaucoup de journaux écrivent sur la demande croissante pour ces véhicules électriques. On peut lire des titres comme "la bicyclette électrique se vend très bien", "la bicyclette électrique, le motocycle électrique viennent au 'trône'", ou "il est temps de penser à utiliser…la bicyclette."128, ou bien "grâce à l'augmentation du carburant, le vélo électrique fait une récolte magnifique"129 En lisant ces articles, on voit que l'impact de l'augmentation du prix de carburants est plus sensible que les mesures de restriction de deux-roues motorisé appliquées par les pouvoirs publics en 2002.

Selon les entretiens du journaliste de la Jeunesse, le prix élevé de carburant est la raison principale pour des parents d'élèves d'acheter la bicyclette, notamment la bicyclette électrique pour que leurs enfants se déplacent à l'école. Un propriétaire d'un magasin de vélo électrique a aussi ajouté que parmi ses clients on trouve non seulement élèves ou étudiants mais aussi des ouvriers, employés de bureau et fonctionnaires qui se plaignent tous du coût d'usage élevé du motocycle. Un client a fait un petit calcul au journaliste : "Maintenant, l'utilisation de la bicyclette me coûte moins de la moitié de la somme de 8.000 VND que j'ai dû dépenser pour le carburant. De plus, j'ai l'occasion de faire de l'exercice sans parler du fait que le vélo électrique ne pollue pas l'environnement."

Pour l'heure, bien que le gouvernement ne puisse aller plus loin et relever les prix dans le but de décourager l'usage de deux-roues à moteur et de la voiture particulière, la hausse du prix mondial de pétrole a poussé le gouvernement à réduire de façon sensible la subvention sur le prix. On voit que l'impact sur le comportement des usagers de motocycle est considérable. D'ailleurs, le discours des responsables du Ministère des Finances montre que la tendance à la suppression totale de la subvention est inéluctable. A ce moment-là, le report modal vers d'autres modes de transport est certain. Cela est vrai non seulement pour le Viêt-nam mais aussi pour la France ou d'autres pays développés à l'heure actuelle face à l'augmentation tendancielle du prix de pétrole.

A notre avis, il n'est politiquement et économiquement pas possible pour le Viêt-nam en ce moment d'ajouter les taxes diverses (comme la TIPP en France) au prix de carburant dans le but de décourager l'usage de modes individuels motorisés. Plutôt l'objectif actuel pour le gouvernement est de rapprocher le prix mondial et le prix intérieur de pétrole. Lorsque les habitants s'habituent à payer au prix mondial, il est temps de penser à renchérir le prix de carburant par les taxes diverses comme une mesure pour restreindre la mobilité quotidienne motorisée.

En tout cas, face au niveau élevé du prix de carburant qui pourra augmenter encore, un usager du motocycle doit désormais bien peser le pour et le contre avant de monter sur sa moto. Le carburant n'est plus bon marché et les usagers du motocycle par exemple soit restreignent leur usage du motocycle soit se reportent vers le transport en commun ou d'autres modes de transport plus économiques. Dans ce contexte, il serait judicieux d'encourager la production et l'usage de véhicules électriques. La nouvelle donne semble favoriser l'émergence d'une politique cohérente de transport urbain des villes vietnamiennes.

Notes
126.

La réponse du vice-Ministre des finances Tran Van Ta à la question posée par le journaliste du VnExpress du 17/08/2005 www.vnexpress.net

127.

"Prendre le bus…en période d'augmentation du prix de carburant", Sai Gon Giai Phong, www.sggp.org.vn 20/07/2005

128.

Selon les articles de la Jeunesse (Tuôi Tre) de 15/09/2005, 24/09/2005, et 23/08/2005 respectivement

129.

Selon www.vnn.vn 24/08/2005