Perspective de la motorisation automobile et positions des pouvoirs publics

Malgré les prix élevés de l'automobile, Hanoï et Hô Chi Minh Ville ont registré une hausse importante d'immatriculations pour la voiture particulière au cours de deux dernières années. Plusieurs facteurs semblent se conjuguer pour pousser cette augmentation tels que la croissance du revenu et le crédit d'achat accordé par des banques commerciales comme dans des villes chinoises.137Des voitures particulières deviennent un mode de déplacement commode pour des ménages aisés. Ils croient que la voiture particulière est une part inhérente de développement et chaque famille en aura une dans le futur.

Cette conviction générale contribue grandement à la croissance du parc automobile bien que modeste dans le temps récent. Les autorités d'Hanoï et Ho Chi Minh ont donné des chiffres très parlants pour évoquer la perspective de la restriction de son usage.

Le parc automobile d'Hanoï est passé de 52.536 véhicules en 1994 à 143.233 en 2004. Les autorités reconnaissent que l'immatriculation du motocycle a légèrement baissé après 15 mois d'appliquer la suspension d'immatriculation de nouveaux motocycles tandis que l'immatriculation de l'automobile croît de 70,5% pendant la même période. A Hô Chi Minh Ville, chaque jour il y a 75 nouvelles immatriculations en moyenne. Pendant 2003 et 2004, chaque année 22.000 automobiles sont immatriculées. Le parc automobile actuel s'élève à 250.000.

Or, Hanoï et Hô Chi Minh Ville ne se préparent pas à un usage si important de la voiture particulière. La grande barrière est l'utilisation du sol. La densité résidentielle y est extrêmement forte. Paradoxalement, faute d’incitations fiscales (par exemple taxer lourdement la construction de maisons individuelles en ville), des immeubles d'habitat sont très rares tandis que la maison individuelle qui sert à la fois de lieu d'habitat et lieu de commerce est très appréciée. Lorsqu'un projet de route est réalisé, il coûte très cher. Un mètre carré de terrain est libéré pour un coût d'au moins 1.000 euros. Les indemnisations pour l'expropriation représentent en moyenne 90% du coût totaldu projet.138Dans ce contexte de manque de voirie, la forte croissance du parc automobile apparaît comme un risque majeur pouvant entraîner une forte dégradation des conditions de circulation.

Faut-il envisager à plus long terme le passage de la moto vers la voiture pour les catégories les plus aisées de la population? La réponse est affirmative mais la question plus importante à poser est donc quelle est l'attitude des pouvoirs publics face à la croissance du parc automobile.

Malgré des contradictions entre le développement de l'industrie automobile et la restriction d'équipement en voiture, le gouvernement a pris en compte de l'état actuel d'infrastructures routières, c’est-à-dire. Il veut s'assurer de l'équilibre entre le parc de véhicules à moteur et la constructionde routes. C'est là une différence majeure par rapport à la politique de développement de l'industrie automobile en Chine où la Commission d'Etat au plan en 1994 a affirmé dans la politique chinoise de développement de l’industrie automobile "qu'aucune administration ne peut user de mesures administratives et économiques pour empêcher l’acquisition et l’usage d’automobiles régulièrement acquises..."(Doulet, 1997). Le gouvernement du Viêt-nam a non seulement tenu compte de l'insuffisance d'infrastructures pour répondre à une demande croissante de l'automobile mais a aussi laissé une marge de manœuvre aux autorités municipales dans leur politique locale. C'est à ces dernières d'appliquer ou non les mesures de restriction de la voiture particulière.

De leur côté, les autorités locales semblent prendre bien conscience de l'insuffisance du réseau de voirie par rapport au parc croissant de deux-roues à moteur et de voitures, et en conséquence elles s'étudient des mesures en vue de limiter l'usage de voitures en ville.

Fin 2004, le Comité Populaire d'Hanoï persuadait les membres du Conseil Populaire de prendre de telles mesures.

‘: ''...l'année 2003 a enregistré un taux d'immatriculation trop rapide de l'automobile. Si on interdit l'immatriculation du motocycle mais ne restreint pas l'équipement en voiture, les causes des accidents de la circulation et de la congestion passent du motocycle à la voiture. S'il n'y a pas de plan de limitation de voiture particulière dans 5 ans à venir, le parc automobile croîtra de 246%. Le risque de congestion est majeur, chaque kilomètre de la voirie intra-muros supporte 715 voitures.'' ’

Le Comité populaire remarquait par ailleurs l’inefficacité actuelle des exigences en cours comme la certification d'un emplacement de parking dans ou près du lieu d'habitation, contrat annuel de parking et l’augmentation du droit d'immatriculation pour l'automobile. Cette remarque est aussi partagée par le directeur du DUPWS et le directeur du Service de la Police d'Hanoï. Ces deux derniers soutiennent d'ailleurs que le nombre de véhicules doit être conforme à l'état des infrastructures, sinon la congestion sera inévitable.

Le Comité Populaire d'Hô Chi Minh Ville est aussi favorable à restriction de l'automobile en ville. Le maire-adjoint fait ainsi l’analyse suivante devant le Conseil Populaire :

‘"Avec le taux de croissance actuel des véhicules individuels alors que le réseau de voirie ne se compose que des petites rues (14% ayant une largeur de plus de 12 m, 51% entre 7 et 12 m, et 35% plus petites que 7 m), la limitation d'équipement en véhicules individuels est urgente. S'il n'y a pas immédiatement de mesures restrictives, en peu de temps les citadins n'ont plus de route pour y circuler. D'ailleurs, si l'on veut développer le transport collectif, on est obligé à restreindre le transport privé. Compte tenu de cette réalité, le Comité Populaire demande au Conseil Populaire de bien vouloir approuver le plan de limitation des véhicules individuels.139Les étapes à suivre dans le plan seront effectuées sur le principe d'éviter des impacts négatifs sur la vie quotidienne des habitants." ’

Hanoï et Hô Chi Minh Ville doivent et devront faire face à la congestion. Est-ce qu'elles arrivent à prendre des mesures pour limiter l'usage des automobiles dont le développement est soutenu par le gouvernement central ? La réponse n'est pas certaine car la politique en faveur de l'industrie automobile pourra changer dans le sens de la limitation d'usage de l'automobile. Cela est fort probable comme l'expérience l'a montré dans le cas de l'industrie du motocycle. Lorsque la situation de la circulation urbaine deviendra très grave, le gouvernement a changé la politique de l'industrie du motocycle et fait appliquer les mesures restrictives. D'ailleurs, avec la décentralisation du pouvoir central, Hanoï et Hô Chi Minh Ville sont compétentes à appliquer les mesures de limitation d'équipement en voiture si elles les jugent indispensables. A la différence des responsables du Ministère de l'Industrie, les responsables d'Hanoï et Hô Chi Minh Ville manifestent une attitude favorable à une politique volontariste de gestion de transport urbain.

Sans se soucier de la façon dont l'industrie automobile contribue à la croissance économique, les DUPWS et les Services de la Police d'Hanoï et Hô Chi Minh Ville, les deux acteurs importants chargés de la gestion du transport urbain dans les deux villes, se préoccupent de la croissance récente du parc automobile sans parler de celle du parc du motocycle et préconisent la limitation d'équipement en voiture particulière.

Nombreux cadres d'Hanoï et d'Hô Chi Minh Ville ont déjà eu l'occasion de séjourner à Bangkok et la référence revient souvent dans les rencontres. Bangkok est l'exemple du dragon qui a sacrifié beaucoup à sa réussite économique : la prolifération des voitures particulières.Le message est clair pour les gestionnaires de la circulation et du transport des deux villes. Bangkok est un exemple repoussoir à éviter. Mais est-il assez clair aux décideurs politiques pour qui le développement de l'industrie automobile est le signe d'un pays développé ?

Malgré les contradictions susmentionnées, la bonne nouvelle est que le gouvernement est conscient de la gravité de la question de la circulation urbaine et a autorisé en 2002 l'application de deux réglementations proposées par les Ministères de la Sécurité Publique et des Finances en vue de décourager l'immatriculation de nouveaux motocycles. Dans le contexte actuel, il est fort probable que la politique du gouvernement sera tranchée dans le sens de la restriction de l'automobile. Bien que les mesures fiscales ne soient pas appliquées de façon définitive à l'heure actuelle, les Comités Populaires d'Hanoï et de Ho Chi Minh les ont déjà mis sur l'ordre du jour à toutes les séances des Conseils Populaires. L'application de ces mesures est une question de temps.

Notes
137.

Par exemple, la valeur totale des crédits d'achat que la banque Phuong Dong a accordé aux acheteurs de voiture s'élève à 400 milliards de VND "Modernisation du moyen de déplacement : Acheter la voiture à crédit", Saigon Libéré www.sggp.org.vn du 13/12/2004

138.

l'élargissement de la route axiale Nam Ky Khoi Nghia coûte 852 milliards de VND dont le coût d'expropriation s'élève à 778,4 milliards, soit 91,3% du coût total, selon les décisions n°3010/QD-UB, 3018/QD-UB et 3053/QD-UB en date du 28 et 29 juin 2004 du Comité Populaire d'Hô Chi Minh Ville

139.

Ce plan fait partie du Projet "Réorganisation des modes de transport pour répondre à la demande de déplacement à Hô Chi Minh Ville (période 2005-2010). Ce projet comprend trois volets. Les deux premiers volets concernent le développement du transport public et le transport employer et transport scolaire. Le troisième concerne la restriction des modes individuels (motocycles et voitures particulières). Outre les mesures administratives selon lequel chaque famille n'a le droit qu'à une voiture sous certaines conditions: certification d'un emplacement à domicile ou près de domicile, livret de résidence permanente, il y a des mesures plus drastiques comme le droit d'immatriculation très élevé, la tarification de congestion de type ALS à Singapour, le droit de circulation suivant le numéro d'immatriculation. "Hô Chi Minh Ville commence à sentir l'étouffement par l'automobile", Ngoc An www.tuoitre.com.vn du 20/07/2005.