- b - L’ouverture aux opérateurs privés est-elle souhaitable ?

Pour gérer un réseau de transport public, les autorités locales ont le choix entre diverses solutions. Les autorités locales ont, dans la très grande majorité des cas, choisi d’assurer elles-mêmes le service à travers une entreprise publique, à la fois chargée de la définition des spécifications du service public et de son exécution. A l’autre bout du spectre, c’est la formule de la totale déréglementation. C’est le cas, par exemple, en Grande-Bretagne, où la seule loi du marché a déterminé la consistance des services d’autobus. Il existe une troisième voie, celle de la gestion déléguée, une forme particulière de partenariat public-privé, dans laquelle l’autorité publique définit les spécifications du service public de transport et confie l’exploitation à une entreprise privée, après appel d’offres public, et sur la base d’un contrat à durée déterminée. Cette formule est très courante en France et en Europe.

Une déréglementation totale n'est pas possible dans le contexte vietnamien où les autorités contrôlent traditionnellement les services publics, notamment dans la situation où les modes de transport individuels représentent plus de 90% de la part du marché de transport urbain. Comme la part du transport public est très faible, l'intervention des pouvoirs publics n'est plus que jamais très indispensable sauf si ces derniers veulent que leurs villes deviennent orientées vers le transport individuel.

A l’opposé, un monopole d’exploitation du réseau de lignes de bus par une ou plusieurs entreprises publiques se traduira par de lourdes charges pour la municipalité qui doit à la fois financer le renouvellement du parc de bus et sa modernisation. Les deux municipalités ont commencé à sentir la lourdeur de maintien du monopole public.

Une troisième voie mais sous une forme un peu différente de la gestion déléguée en France et en Europe semble la plus prometteuse. : des opérateurs publics et des opérateurs privés exploitent le réseau de transport collectif dans le cadre d’une concurrence réglementée. L’appel au secteur privé en attribuant les lignes à des opérateurs privés les plus "performants" est une orientation a priori séduisante dans la mesure où la municipalité n’aurait plus la charge de subvention et d’achat de véhicules pour les lignes ainsi concédées.

Cette orientation implique des ajustements difficiles à courte terme, mais des subventions moindres à long terme (HOUTRANS, 2004). Lors d'un colloque récent sur "le transport collectif urbain de passagers" co-organisé par la Banque Mondiale et le Comité Populaire d'HCMV en septembre 2004, les experts de la Banque ont recommandé des mesures pour inciter le secteur privé à participer à la prestation du service de transport par autobus, ce dernier pouvant exploiter des lignes à un coût environ 30% de moins que le secteur public.

Hô Chi Minh Ville est le terrain d'expérimentation des réformes du Viêt-nam (Schmitt, 1995), ce qui est vrai aussi dans le domaine de transport public. Le passage à l'économie de marché en 1986, avec le retrait de la subvention de l'Etat dans certains services publics comme le transport collectif, a obligé les autorités à faire appel aux opérateurs privés, même étrangers pour assurer un service indispensable de l'économie urbaine. A la différence de Hanoï, Hô Chi Minh Ville a assez tôt sollicité la prestation du service de transport collectif du secteur privé.

Dès 1992, cinq premières coopératives de transport public ont été créées après la dissolution de la Compagnie publique de Saïgon confrontée à des déficits importants. Plus tard, en 1994 un nouvel opérateur est entré dans le marché, la co-entreprise Saigon Star (joint-venture entre la Compagnie Saigon Bus et une entreprise australienne). A l’heure actuelle coexistent une entreprise publique, une co-entreprise, une entreprise privée PHUONG TRINH (créée en 2002) et 28 coopératives. Les six plus grandes coopératives se sont groupées en 2003 pour créer une seule structure, l'Union des Coopératives de bus de Saïgon. La municipalité d'Hô Chi Minh Ville continue à faire appel à la participation d’opérateurs très divers pour la prestation des services de transport collectif.

En retard par rapport à Hô Chi Minh Ville, Hanoï semble suivre aujourd’hui une politique similaire, sans doute conseillée par l'assistance technique récente du projet d'expertise "Technical Assistance for Strategic Options for Private Participation in the Provision of Urban Transport Services : Hanoï, Vietnam" financé par la Banque Mondiale.155

En février 2004, le département des transports de Hanoï a lancé un appel d'offres pour le l’exploitation de nouvelles lignes. Si l’appel au secteur privé est une réussite, la ville mettra en concurrence l’exploitation de certaines lignes existantes à forte fréquentation. Le critère important pour la concession est la demande la moins importante de la subvention. Le concessionnaire reçoit le droit d'exploitation de 3 à 5 ans sur un cahier des charges (par exemple avoir au moins 20 bus pour une ligne). Après chaque année, quelques clauses peuvent être modifiées, par exemple la modification de la ligne ou la considération d'un montant plancher de subvention suivant l'évolution de la fréquentation annuelle.156

Deux premières compagnies privées BAC HA et DONG ANH qui ont récemment gagné l'appel d'offres d'exploitation sur 6 lignes parmi les 9 opérateurs potentiels. La Compagnie BAC HA exploitera 5 lignes : ligne 41 (Nghi Tam - Giap Bat), 42 (Kim Nguu - Duc Giang), ligne 43 (Gare de Ha Noi - Dong Anh), ligne 44 (Tran Khanh Du - Ben xe My Dinh), ligne 45 (Tran Khanh Du - Dong Ngac). Ligne 46 (Ben xe My Đinh - Co Loa) sera exploitée par la compagnie DONG ANH. Cette première privatisation a fait une économie estimée de 67 milliards de VND d'achat d'équipement pour l'Etat.157

Le vice président du Comité Populaire d'Hanoï soutient que la privatisation de la prestation du service de bus a pour but d'améliorer la qualité du transport public de passagers, de mobiliser les investissements du secteur privé et de réduire ainsi le niveau de subvention annuelle d'Hanoï pour l'exploitation des lignes. Le vice directeur Bui Xuan Dung a confirmé : "A terme, les entreprise d'Etat doivent accepter la concurrence avec les opérateurs privés".158Cependant, comme CUSSET (2004) l'a averti, il faut être prudent avec la privatisation. "A terme l'appel au secteur privé peut soulever d'autres problèmes : intégration tarifaire ou non des différents opérateurs, interconnexion entre les lignes exploitées, risque de voir les lignes les plus rentables revenir au secteur privé, les moins rentables étant de fait laissées aux opérateurs publics." Les enseignements tirés d’expériences étrangères sont très enrichissants. Au contraire, si les autorités ont le charge d'achat de véhicules et laissent l'exploitation à un opérateur lié contractuellement à une autorité organisatrice comme le modèle "français", il y a le doute que la maintenance du matériel roulant serait bien assurée dans le contexte culturel et institutionnel du Viêt-nam.

Le financement des transports collectifs est à l'évidence l'une des questions plus importantes et difficiles pour les systèmes de transport urbain dans tous les pays en développement, et même les pays déjà développés. Quel que soit le choix de modèle : monopole public, déréglementation, ou gestion déléguée, il faut s'assurer de la stabilité de ressources destinées au développement du transport public. L'appel à la participation du secteur privé comme l'ont fait les deux villes vietnamiennes devrait faire partie d'un plan d'actions étape par étape dans lequel il faut explorer diverses sources financières non seulement pour le financement des coûts directs d'exploitation des transports collectifs mais aussi pour le financement des besoins de renouvellement et de développement des réseaux de transports de grande capacité.

Notes
155.

Technical Assistance for Strategic Options for Private Participation in the Provision of Urban Transport Services : Hanoï, Vietnam", PPIAF Grant, (november 2003-April 2004), World Bank

156.

selon la Décision n° 1098/QĐ-GTCC du Département du transport et travaux publics d'Hanoï du 12/12/2004

157.

Entretien réalisé le par le Journal de transport auprès M. Ngo Van Cau, directeur adjoint du TRAMOC Hanoï

158.

"Hanoï privatisera le service du transport public par autobus" www.vnn.vn du 12/11/2003