- 2 - La complémentarité deux roues-transports collectifs encore balbutiante

La complémentarité modale est appliquée avec succès dans un nombre de villes dans le monde, notamment au Japon. La clef d'une approche de la complémentarité repose sur un partage du rôle des modes selon les types et distances de déplacements. On utilise la bicyclette dans un rayon de 5 km par exemple et le motocycle dans un rayon de 10 km tandis que les transports collectifs seraient dominants pour les distances plus longues. Le rabattement à bicyclettes ou motocycles sur des arrêts stratégiques et les terminus de bus peut accroître l'attraction des transports collectifs et la zone d'influence des lignes de bus. Les incitations à la complémentarité deux-roues et bus peuvent contribuer à rendre le transport public plus attractif.

Au Viêt-nam cette idée est avancée par nombreux consultants étrangers japonais et français et récemment partagée par certains lecteurs vietnamiens de presse et les experts des enquêtes Delphi à Hanoï et Hô Chi Minh Ville. 75% des experts à HCMV acceptent que l'intégration du parc relais doive faire partie d'un système de transport urbain durable et même 80% disent que le parc relais incite l'usage de la bicyclette. A Hanoï, des experts sont moins d'accord sur l'intégration du parc relais dans le système de transport durable mais la proportion des accords totaux et partiels est plus importante que celle des désaccords (44% accord total, et 26% accord partiel par rapport à 13% désaccord). Par contre, comme ceux d'Hô Chi Minh Ville, une grande majorité des experts à Hanoï (72%) souhaitent la mise en place des parcs relais pour faciliter l'usage de la bicyclette.

Dans la plupart des enquêtes ménages et entretiens individuels,159 les enquêtés se plaignent toujours que le bus ne passe pas chez eux et ils disent qu'ils prendraient le bus s'il y a des lignes depuis leur domicile. D'une part ils ont raison car l'utilisation du sol dans des grandes villes vietnamiennes est caractérisée par une densité de maisons individuelles qui se trouvent souvent au long des allées impossibles à desservir par le transport public. D'autre part, ils n'ont pas l'habitude de marcher à pied comme les Européens ou les Africains. Peut-être c'est parce qu'ils s'attachent trop à leur motocycle depuis longtemps ou à cause de mauvaises conditions météorologiques telles que la pluie ou la chaleur. C'est ainsi qu'ils sont pour la plupart en accord total avec la proposition de mise en place de parcs relais au terminus des lignes de bus en périphérie.

Graphique 16 : Opinion sur les parcs relais pour deux roues aux terminus des lignes en périphérie
Graphique 16 : Opinion sur les parcs relais pour deux roues aux terminus des lignes en périphérie

Dans les districts en banlieue d'Hanoï et Hô Chi Minh Ville, les besoins d'aller en ville sont divers pour des banlieusards. Parmi ces besoins, on observe une forte demande de déplacement chez les habitants qui travaillent en ville ou vont en ville pour demande un service public d'ordre administratif. Il est cher et infaisable de créer des lignes de bus qui desservent toutes les petites rues ou allées dans les districts banlieusards. C'est là que la complémentarité entre le transport public et les deux-roues peut jouer un rôle important. De chez soi dans des ruelles, on peut prendre le vélo ou le motocycle ou le taxi moto pour aller à un arrêt ou abribus qui se trouve sur des grands axes desservis par le réseau.

Pour réaliser le double objectif de développement du transport public et restriction du transport individuel, le DUPWS d'Hô Chi Minh Ville a mis en place en 2003 trois parkings deux roues - bus gratuits aux 3 terminus : le terminus central devant le marché de Ben Thanh, 2 autres à Cu Chi et Thu Duc - les deux portes d'entrée importantes au nord-ouest et à l'Est d'Hô Chi Minh Ville. Un usager de bicyclette ou de moto peut mettre son véhicule dans ces parkings et prend le bus. Au retour, il récupère le véhicule sans payer le frais de stationnement s'il présente un ticket de bus. C'est une innovation contributive à l'incitation à l'usage du transport collectif.

A Hanoï des parcs relais ne sont pas officiellement créés mais avec l'augmentation spectaculaire de la fréquentation en bus, on voit apparaître au long des itinéraires d'autobus les parkings privés de bicyclette près des arrêts de bus. Ainsi des gens viennent avec leur vélo à l'arrêt de bus, payant 500 VND pour le stationnement et prennent l'autobus (MOLT, 2004). L'idée d'un "véhicule d'appoint", garé à mi-distance d'un trajet total afin de changer de véhicule semble concevable dans le contexte actuel d'Hanoï. Les taxis motos, quant à eux, au début ont beaucoup de difficultés de concurrencer le bus depuis la mise en œuvre du renouveau du transport collectif urbain. On constate qu'une partie des usagers de xe ôm (taxi moto) se reportent vers le bus.160 En même temps, on s'aperçoit le rassemblement de chauffeurs de taxi moto à proximité d'un abribus ou un arrêt important pour attendre leurs clients.

Illustration 20: Taxis motos attendant leur client aux arrêts de bus à Hanoï
Illustration 20: Taxis motos attendant leur client aux arrêts de bus à Hanoï

Maintenant les taxis motos ont trouvé un nouveau marché : attendre leurs clients aux arrêts de bus pour les mener à leurs destinations finales situées souvent dans des labyrinthes de quartiers résidentiels densément peuplés. Le réseau du transport public par autobus est donc complété par un marché viable de transport informel qui sert de moyen de transport de rabattement en destination ou au départ d'arrêts de bus. On peut faire les mêmes observations à Hô Chi Minh Ville avec quelques chauffeurs de taxi moto trouvés aux arrêts de bus. Ainsi, chaque fois un bus s'arrête, quelques chauffeurs de taxi moto se ruent sur des passagers qui viennent de descendre en demandant si ces derniers veulent prendre le taxi moto. Le taxi moto dans ce cas non seulement sert de complément au transport en commun formel, mais aussi remplit une fonction sociale en créant des emplois pour une partie de la population.

Cependant, avec le prix de carburant montant en flèche, il y a une incertitude sur la durabilité de la complémentarité bus-taxi moto. La seule complémentarité modale qui demeure faisable dans les deux villes est bus-vélo ou bus-moto. Et pour cela, plusieurs mesures devraient être envisagées pour aménager des facilités de correspondance entre les moyens de transport collectif et les moyens de transport individuels. Actuellement, les "parcs relais" à Hô Chi Minh Ville sont très rudimentaires et peu nombreux à cause de la charge du personnel. Il faut envisager une mise en œuvre plus volontariste des parcs relais de la part des autorités. Au lieu de rendre les parcs relais gratuits, il convient de considérer un tarif spécial stationnement-bus pour multiplier le nombre de parcs relais.

Dans la politique de reconquérir la part du transport collectif, il est intéressant de s'interroger sur les relations de concurrence et de complémentarité que le transport public et le transport privé peuvent entretenir. La tendance des autorités semble être de développer une stratégie simple de substitution d'un mode par l'autre, abandonnant ainsi les avantages qu'apporte la bicyclette ou le motocycle. La complémentarité modale mérite donc une réflexion profonde.

Récemment, le TUPWS d'Hô Chi Minh Ville a proposé au Conseil Populaire une politique de promotion des transports collectifs avec la prise en compte de la complémentarité modale d'autant plus qu'une éventuelle imposition d'un péage au deux-roues à moteur pour des itinéraires périphérie-centre est envisagée pour 2007. Les Schémas Directeurs d'aménagement urbain dans les deux villes devraient intégrer des réflexions stratégiques sur la définition de complémentarité entre bicyclette ou deux-roues motorisés et transports collectifs afin de réserver l'espace pour des parcs relais futurs.

Notes
159.

Enquête par l'équipe TEPC-LET en 2003 et des entretiens individuels réalisés par l'équipe de l'Institut de la Sociologie en 2001

160.

Depuis que le service de bus à tarif économique et rapide est assuré partout à Hanoï, la plupart des clients du taxi moto se reportent vers le bus. Ainsi, le revenu des chauffeurs de taxi moto a baissé considérablement de 50.000-60.000 VND par jour en moyenne à 25.000-30.000 VND", selon l'article "Le bus attire beaucoup de clients, les chauffeurs de taxi moto se trouvant au chômage" www.vnexpress.net du 17/07/2003.