- d - Métro versus métro léger ou BRT ?

Les spécialistes du transport urbain sont toujours en désaccord sur l'option à retenir rail lourd, métro léger ou bus rapide (BRT). Si l'on suit régulièrement le forum de transport urbain pour l'Asie du Sud-Est, organisé par le réseau SUSTRANS, on constate que ce débat reste vif.

Les colloques et séminaires organisés au Viêt-nam par les consultants et organismes de développement, japonais essentiellement, abordent régulièrement le thème des transports collectifs de grande capacité envisageables pour Hanoï et Hô Chi Minh Ville. Il est intéressant de relever ici les recommandations qui sont faites à cette occasion.

En 1998, la SEMALY, avec "l’Etude de faisabilité d'une ligne de TCSP de Ben Thanh à Binh Tay" est le premier consultant étranger à proposer un site propre pour Hô Chi Minh Ville. Sur le boulevard Tran Hung Dao reliant les quartiers de Saigon et de Cholon, il recommandait l'aménagement d'un site propre pour le bus d'abord, puis le tramway si les moyens ultérieurs le permettent.

En 1999168 Dorsch Consult et MVA font pour Hanoï une recommandation similaire mais avec en parallèle une restriction préalable de l'usage du deux-roues à moteur. La stratégie proposée mérite une réflexion. Selon ces consultants, au lieu d'investir dans une ligne de rail lourd qui transporte 108.500 passagers par jour mais coûte environ 298 millions de US$, on peut investir le même montant dans le développement de 7 ou 8 lignes de bus en site propre desservant toute la ville. Ils estiment que le développement du transport de masse ne suffirait pas pour changer le choix modal des habitants d'autant que le coût d'usage de transport individuel motorisé à Hô Chi Minh Ville et à Hanoï demeure extrêmement faible car les usagers de la voirie ne paient pas le vrai coût social généré par leur mobilité.

Après avoir découragé l'usage des deux-roues motorisés et encouragé la disposition des voyageurs à utiliser le bus, il devrait alors être beaucoup plus facile de déterminer la viabilité d'un transfert modal complet du système de transport de masse sur rail. Sans un tel développement étape par étape, il y aurait un risque que l'introduction immédiate d'un système de transport de masse ferroviaire qui n'est pas soutenu par des tendances de demande prouvées de la part des modes individuels soit un fardeau pour les autorités vietnamiennes ainsi que les investisseurs potentiels avec une dette financière importante résultant de coûts d'opération et d'entretien intensif en capital lié aux systèmes ferroviaires.

En accord total avec les recommandations précédentes, le consultant japonais ALMEC (2004) a récemment insisté sur le risque et l'incertitude lié au développement du métro lourd pour Hô Chi Minh Ville. Hô Chi Minh Ville doit éviter un engagement prématuré vers le transport ferroviaire de masse pour trois raisons. Premièrement, le montant d'investissement est colossal et, sauf de rares exceptions, l'exploitation du métro lourd nécessite un subventionnement permanent. Deuxièmement, il y a un risque d’irréversibilité en cas d'échec du projet lié à la très faible fréquentation. Enfin, le modèle de développement urbain actuel de la ville avec une forte préférence des habitants pour le type de maison-magasin individuel n'est pas favorable à la mise en réserve de terrains en vue de mettre en place les corridors de transport de masse.

Pour éviter de tels risques, Hô Chi Minh Ville doit identifier un certain nombre de lignes de bus qui pourront se transformer en des corridors futurs pour le transport de masse. Ces lignes doivent être développées d'abord comme le TCSP (transport en commun en site propre) pour bus, soit avec une voie totalement réservée soit une voie prioritaire au bus. En même temps, des lignes de rabattement devront bien prévues pour augmenter la fréquentation sur ces lignes TCSP. Une fois atteint le niveau maximum de fréquentation pour le réseau de bus en site propre, on pourra passer au deuxième stade avec la mise en place d'un mode ferroviaire. Cette option serait une stratégie à faible investissement et à faible risque.

La réserve des consultants étrangers concernant la faisabilité d’un projet de métro est justifiée par plusieurs contraintes pesant sur les deux villes.

Une grande barrière au projet de métro est son attractivité financière. Les projets de transport de masse représentent des coûts très importants avec une longue période de récupération de capitaux, de 30 à 50 ans et un taux de rentabilité interne est beaucoup plus faible que celui obtenu sur les marchés financiers. Ainsi très peu d'investisseurs s'intéressent à un projet s'il n'y a pas de contrepartie attrayante.

La Banque mondiale et la Banque asiatique de développement ont depuis longtemps remis en question la faisabilité des projets de type métro alors qu’elles financent généreusement la construction ou l'entretien de routes. Elles ne s'intéressent pas au financement du rail, que ce soit en zones urbaines ou en dehors, car, selon elles, des infrastructures routières bénéficient à beaucoup plus de personnes que le rail. Dans une conférence sur le développement de BRT organisée à Hanoï, Alan Carnell, un expert de la Banque mondiale a préconisé le BRT en présentant de bons exemples d'autres villes latino-américaines Bogóta et Curitiba, soulignant qu’un système BRT est beaucoup plus économique que le métro lourd ou le monorail.

En outre, au Viêt-nam, comme d'autres pays et villes en développement, les financements publics sont limités et insuffisants pour les infrastructures lourdes de transport. Hô Chi Minh Ville par exemple avec un budget limité de 7.420 milliards de VND en 2003 en consacre environ 25% aux transports, notamment à la construction et l'entretien des infrastructures. La part que reçoit le transport collectif est modeste même si la subvention tarifaire au réseau de bus reste importante de l'ordre de 70 milliards de VND par an. Mais avec l'extension du réseau de transport collectif par autobus, la subvention tarifaire devient une charge de plus en plus lourde pour le budget municipal. Le Comité Populaire, conscient de ces difficultés, cherche à prendre des mesures pour y faire face, comme par exemple l'augmentation du tarif bus de 1.000 à 2.000 dôngs par déplacement en fin 2003.

L'aide publique au développement (ou ODA) est une autre source importante de financement pour de nombreux projets passés et actuels au Viêt-nam y compris de transports. Mais cette source est aussi limitée et peu accessible : nombreuses d'étapes à franchir, et procédures lourdes à franchir, négociations ardues, strict respect des règlements (NGUYEN Duc Nhuan et al., 2003).

Une autre barrière importante à la mise en place d'un système de rail lourd, est le coût très élevé des expropriations pour le dégagement du site sur lequel sera construit le métro.169

La flambée des prix du foncier urbain et périurbain, exceptionnellement élevés, est consécutive à l'ouverture du pays aux investissements étrangers, au début des années 1990. Le prix des terrains en grandes villes du Viêt-nam se trouve parmi les plus élevés du monde170. Un mètre carré de terrain dans le CBD à Hô Chi Minh Ville ou à Hanoï serait même plus cher qu'à Paris ou New-York. Le prix courant d'un mètre carré dans les districts centraux varient entre 80 millions et 100 millions VND (4.000 euro et 6.000 euro) en début 2004. Depuis la politique de Doi Moi, l’achat de terrains est considéré comme le meilleur des placements pour les habitants d’Hanoï et d'Ho Chi Minh, cette attitude alimentant la hausse des prix foncier.

Le Consultant ALMEC observe les difficultés croissantes rencontrées pour libérer des terrains en vue de la construction d'infrastructures. Le coût d'indemnisation des populations expropriées ou expulsées, des activités délogées représente au moins 40% du coût de projet de construction de route (HOUTRANS, 2004). Une façon de surmonter le manque de fonds pour le développement d'infrastructures est d'améliorer la capacité des pouvoirs publics de taxer les bénéficiaires directs ou indirects du développement d'infrastructures de transport mais la faible capacité institutionnelle est aussi une autre contrainte.

En l’absence de financement suffisant pour poursuivre le projet jusqu'à la fin, celui-ci est stoppé. Ainsi les travaux de métro Hopewell à Bangkok ont été suspendus en raison de la crise financière asiatique en 1997; Alger et d’autres villes connaissent une situation comparable. Le Viêt-nam doit tirer les enseignements de ces expériences et, selon nous, la mise en place des couloirs réservés au bus serait une option plus rationnelle pour Hô Chi Minh Ville ou Hanoï.

Suivant peut-être les préconisations de Dorsch Consult, le Comité Populaire de Hanoï a adressé une demande à la Banque Mondiale et la Global Environment Facility pour le financement collectif du "Hanoi Urban Transport Development Project". Ce projet de 125 millions de dollars, évoqué en haut, comporte un volet important : la mise en place de lignes de bus en site propre171. Dans l’attente de la réalisation de ce projet de TCSP, les autorités de Hanoï, comme à Hô Chi Minh Ville (sur le boulevard Tran Hung Dao), ont récemment mis en place une voie prioritaire au bus dans la rue Nguyen Trai sur un itinéraire de 4,2 km allant de Nga Tu So à Ha Dông. 10 lignes de bus empruntent en partie ou en tout ce tronçon pour leur parcours. Malgré un démarrage difficile car la voie réservée au bus n'est pas respectée par les utilisateurs de deux-roues, le site propre a remporté du succès selon les responsables : la vitesse de bus sur ce tronçon est nettement plus grande que sur des voies partagées.

Illustration 24 : Voie prioritaire au bus à HCMV et à Hanoï, un précurseur pour une ligne de TCSP ?
Illustration 24 : Voie prioritaire au bus à HCMV et à Hanoï, un précurseur pour une ligne de TCSP ?

Il semble que les autorités optent pour un tel système si un ou plusieurs bailleurs de fonds s’engagent financièrement comme l’affirment abondamment de hauts responsables de deux villes. La véritable préoccupation pour les autorités vietnamiennes est de trouver des sources de financement. Le choix entre les modes de transport de grande capacité (métro, tramway ou BRT) vient après l'obtention de financements.

Compte tenu des recommandations de l'expertise étrangère et de la situation économique des deux villes, nous nous penchons pour notre part vers l'option bus et la création de conditions favorables à son développement. A l’heure actuelle, le réseau de bus a encore un rôle vital à jouer, et le développement de lignes de bus en site propre ou sur voie prioritaire est la meilleure solution sur le plan coût-efficacité pour la société vietnamienne. Les autorités devraient être plus déterminées à restreindre l’usage des transports individuels bien qu'il soit difficile de briser une longue habitude d’usage exclusif des deux roues à moteur. Dans le même temps, des réserves foncières devraient être constituées par les municipalités en attendant les conditions suffisantes du développement des modes lourds.

Hanoï et Hô Chi Minh Ville doivent tirer des enseignements d'expériences des autres villes asiatiques dans le développement et la construction du système de transport de masse. Les facteurs de succès, les raisons des échecs et erreurs, notamment les cas de Bangkok, Manille, Singapour, et Kuala Lumpur devraient être analysés.

Notes
168.

"Hanoï Urban Railway Feasibility Study", Dorsch Consult pour le compte du MOT du Viêt-nam, décembre 1999

169.

Le Viêt-nam est un pays où l'offre et la demande sur le marché foncier est loin de s’ajuster en raison des informations imparfaites et du flou dans le système réglementaire.

170.

Cité par Tran Minh Truong de Saigon Libéré dans l'interview avec M. Dang Hung Vo, Vice-ministre des Ressources Naturelles et de l'Environnement, du 3 mai 2003

171.

GEF (2003), Hanoi Urban Transport Development Project. Concept note for proposed GEF operation, 25 pp. www.gefweb.org