- 2 - Le cyclopousse

En Inde et au Pakistan, les cyclopousses représentent de 10 à 20% du trafic sur des routes urbaines principales et de 5 et 20% de tous les déplacements. Avec des charrettes à bras destinés au transport de marchandises, ils représentent une part importante de transport urbain de marchandises dans les villes chinoises dans les années 80. Au Bangladesh, les transports non motorisés représentent 60% de passager-km et 36% de tonne-km de marchandises de tous les modes de transport terrestre en 1985. Il était estimé à 200.000 cyclo-pousses en zones urbaines et 50.000 en zones rurales en 1982. Sur les routes secondaires, les véhicules non motorisés constituent 85% du trafic.

A Bandung en Indonésie, le cyclo-pousse représentait en 1985 12% des déplacements travail et même une part plus élevée pour les déplacements pour autres motifs alors que la part relative de la bicyclette était à peine de 6%. La même année, à Jakarta, le cyclopousse représentait 4,6% de tous les déplacements.

Dans plusieurs des pays en voie de développement en Asie, le cyclopousse est à la fois un mode de transport et une source d'emplois (plus de 10% des emplois parfois), et de revenus pour un grand nombre de personnes dans certaines villes. (Replogle, 1992).

Cependant, avec la croissance de la richesse du pays un certain nombre de facteurs affaiblissent sérieusement le potentiel de ces modes qui continuent à contribuer à la satisfaction des besoins de déplacement, notamment pour les pauvres. Ces facteurs peuvent être récapitulés comme suit:

Les responsables politiques de nombreuses villes en développement où la bicyclette est largement utilisée souhaitent la diminution de ce mode au profit des transports collectifs, tandis que les populations rêvent d'avoir une moto, puis d'une voiture si les moyens leur le permettent.

Sauf les villes japonaises où l'usage de bicyclettes et de la marche reste élevé avec 42% pour tous déplacements174, les autres villes voient leur parc de bicyclettes baisser jusqu'à un niveau très bas.

Wu et Li175 observent pour la Chine le recul de l'usage de la bicyclette entre 1993 et 1997 dans les 12 grandes villes étudiées parmi lesquelles Pékin, Shanghai, Shenzhen, Zhuhai, Xiamen et Guangzhou. Cette tendance s'explique principalement par les mesures prises au niveau des municipalités pour restreindre l'usage de bicyclette sur les principales axes de ces villes afin d'accroître la fluidité du trafic motorisé. En 1991 Zhang Guowu, dans une conférence anglo-chinoise donnée à Londres sur l'amélioration du système de transports urbains de Pékin s'élevait contre la prépondérance de la bicyclette. Il expliquait qu'avec une hausse importante de 140.000 unités en 1949 à 8 millions d'unités le parc de vélo s'accroissait considérablement de 500.000 unités par an, ce qui est un signe nuisible aux transports urbains si la bicyclette se trouve en conflit avec des véhicules à moteur et réduit l'accessibilité de route. Selon lui, l'une des priorités de la politique de transport de Pékin était alors de "maîtriser le développement de la bicyclette."

Depuis plusieurs années, les restrictions d'usage du vélo se sont généralisées dans les grandes villes chinoises commeShanghai, Guangzhou, Pékin. On voit normalement deux formes de restriction. Soit la réglementation interdit la circulation à vélo sur plusieurs routes principales pendant toute la journée ou aux heures de pointe du matin et de l'après-midi, soit les voies réservées au vélo ont été supprimées et les cyclistes sont donc obligés de circuler dans la voie du trafic motorisé ou sur le trottoir. En conséquence, il n'est pas étonnant que l'usage de bicyclette baisse dans les villes chinoises. A Quangzhou par exemple, l'usage de la bicyclette chute de 34% dans les années 90 à approximativement 16% en 2000.

En Indonésie, à Jakarta; tous les modes non motorisés (bicyclette et cyclo-pousse) sont interdits sur certains artères. De plus, sur les artères principales ou les autoroutes, les transports artisanaux motorisés à trois roues comme le bajaj ou le bemo sont aussi exclus. Cependant dans la plupart des villes indiennes la bicyclette est généralement autorisée sur toutes les routes sauf sur des routes nationales à accès limité.

Manille a interdit les cyclo-pousses sur ses routes principales pour la première fois dans les années 50 : s'ils ont fait leur réapparition après la crise économique dans les années 90, ils sont autorisés seulement sur certaines rues locales. Karachi a interdit le cyclo-pousse en 1960, et Bangkok en 1962. Kuala Lumpur a fait de même. A Jakarta, et New Delhi, le cyclo-pousse a été interdit dans les années 1980 dans certains secteurs. Surabaya, Dakha, Hô Chi Minh Ville, et Hanoï ont restreint leur usage sur certaines routes principales dans les années 90.

Dans tous les cas la raison avancée est que le cyclopousse, mode lent par excellence, est une source importante de la congestion en ville. Une autre raison est qu'il donne une mauvaise image de la ville. A Surabaya, le cyclopousse n'est pas autorisé dans des zones industrielles, nouvelles zones économiques, et des nouvelles résidences à grille, simplement en raison de son apparence. Comme dans le cas de la bicyclette, les restrictions d'usage du cyclo-pousse sur des artères urbaines ont coupé nombreux déplacements origine-destination à courtes distances et font que nombreux déplacements potentiels en modes non motorisés sont effectués par des modes motorisés.

Le point commun de toutes les restrictions sur le cyclo-pousse est que ce mode cause la congestion ou exploite injustement la main-d'œuvre ou représente une mauvaise image sociale. Paradoxalement, c'est l'interdiction des cyclo-pousses prive les pauvres de véritables moyens de mobilité et des sources d'emploi dans ces villes. Ainsi, sous l’impulsion de la Banque mondiale, mais aussi des réseaux internationaux comme SUSTRANS pour l’Asie, les transports urbains non motorisés semblent devoir être pris en considération, même si cela est encore timide, dans les politiques de transport.

La mixité intense de différents usages du sol et la densité des habitants, notamment en zones centrales de la ville sont les deux caractéristiques importantes des villes asiatiques. Dans un tel contexte, il est normal que le transport non motorisé comme la marche, la bicyclette, les cyclo-pousses, charrettes à deux roues jouaient un rôle très important dans les systèmes de transports urbains de beaucoup de villes asiatiques. La marche à pied, la bicyclette et le cyclo-pousse sont modes les plus populaires de transport pour les habitants. Le cyclo-pousse fonctionnait comme un mode de transport public dans de nombreuses villes comme Hanoï, Bangdung, Jaipur, Surabaya, etc. Ce mode assurait des services flexibles et fréquents à de petites habitations à travers des rues étroites où il n'y avait pas d'autres services disponibles au tarif relativement bas.

La nouvelle tendance d'usage du sol associée avec la motorisation a commencé à menacer le caractère d'accessibilité et de minimisation de mobilité de certaines villes asiatiques. Quand les lieux de travail sont situés loin des lieux d'habitat, on croit que l'utilisation de l'automobile pour se déplacer augmente considérablement. Les promoteurs immobiliers réalisent de plus en plus de nouvelles constructions et dans des lieux qui ne sont accessibles que par des modes privés, notamment la voiture particulière même si cela les rend inaccessibles aux transports publics et transports non motorisés.

Dans les villes asiatiques en développement, une nouvelle sorte de dépendance automobile a émergé : malgré une structure urbaine appropriée à la marche à pied et le transport collectif au long des axes de développement denses, la priorité principale pendant ces derniers temps est d'encourager l'usage de voiture particulière en ville et en conséquence seulement les services de mauvaise qualité de bus (bloqué dans des embouteillages) sont fournis alors que les autoroutes urbaines, les routes urbaines à voies multiples ont fait de la marche à pied et du cyclisme une option de mobilité difficile et souvent dangereuse.

Malgré le rôle considérable des transports non motorisés dans de nombreuses villes, plusieurs gouvernements ont appliqué des mesures restrictives sur ces modes, notamment le cyclo-pousse avec le prétexte qu'ils causent la congestion, exploitent inéquitablement la main-d'œuvre, ou représentent le passé. A Jakarta, les autorités ont saisi 100.000 cyclo-pousses pendant les cinq années, et en ont enterré au moins 35.000 dans la baie de Jakarta pour éliminer ces véhicules de la ville (Gakenheimer, 1996). A Hô Chi Minh Ville, de 60.000 cyclo-pousses, il n'en reste qu'environ 5.000 pour des raisons similaires et cette forme de transport n'est autorisée qu'en zones périphériques. De telles stratégies peuvent réduire l'efficacité économique car le transport motorisé est plus cher et cause plus de nuisances environnementales.

Notes
174.

Le taux d'équipement pour tout le Japon est 1 vélo pour 1,6 personne (Hirotaka Koike et al., 2000)

175.

Cité par Geetam Tiwari, Bicycles- an integral part of urban transport system in South Asian cities (Tiwari, 2000).