- 1 - La bicyclette

Pendant la période antérieure à l'adoption de la politique de Doi Moi en 1986, le faible revenu des habitants et l'isolation du monde extérieur a fait que l'équipement en motocycle et voitures particulières était hors de la portée des citadins vietnamiens. Les modes de mobilité à leur portée était la bicyclette, et bien évidemment la marche et le transport public. A l'époque il était encore difficile pour certaines couches de la population de s'équiper d'une bicyclette. Cependant, le Gouvernement, fier de la contribution de la bicyclette pendant les deux guerres, favorisait comme en Chine l'investissement dans la production du cycle. La bicyclette devient alors à la portée de la plupart des habitants et devient un mode populaire, notamment à Hanoï dans les années 1970 et 1980.

Le contexte économique socialiste dans une économie fermée n'incitait pas beaucoup d'activités urbaines qui exigent divers déplacements. La demande de mobilité quotidienne en ville s'était limitée à quelques motifs essentiels comme aller au travail, à l'école ou au marché. Tous ces motifs sont parfaitement satisfaits par l'usage de la bicyclette. Cela explique pourquoi la bicyclette était à l'époque un mode prédominant de déplacement d'abord à Hanoï, puis à Ho Chi Minh jusqu'à la fin des années 80.

La bicyclette n'est pas seulement un substitut de la marche à pied, un moyen d'aller plus vite qu'à pied. Elle assure un triple rôle : (a) déplacements individuels, (b) déplacements de groupe (elle était le premier véhicule de la famille), (c) transport de charges (lourdes)

Le rôle de "déplacements de groupe" était assez particulier au Vietnam, où les bicyclettes étaient souvent utilisées pour transporter deux personnes ou parfois trois personnes : deux parents et un enfant, ou un scolaire et un scolaire, ou un adulte et une personne âgée, etc. "Cet usage avec passager est sans doute le reflet d'un niveau de vie insuffisant pour permettre à chaque individu de disposer d'un engin, mais il renvoie sans doute aussi à des habitudes sociales, et il est également facilité par le gabarit léger des populations" (Godard et al., 1994).

Comme dans les villes chinoises, les conditions topographiques et la densité et l'organisation des activités urbaines à Hanoï étaient aussi favorable à l'usage de la bicyclette. Hanoï a une surface plate et un réseau de voirie dans le centre qui est revêtu et en assez bon état pour la pratique de la bicyclette. Sur les rues étroites alignées d'arbres, notamment dans l'Ancien Quartier, des pistes cyclables ont été créées pour des cyclistes qui étaient totalement séparés des véhicules motorisés (LUU, 1994). D'ailleurs, toutes les déplacements urbains liés à différents motifs : travail, école, achat, etc. s'effectuent dans un rayon de 6 km. Toutes ces caractéristiques de la ville sont les conditions idéales pour la pratique de la bicyclette.

Graphique 17 : L'évolution du parc de bicyclettes à Hanoï
Graphique 17 : L'évolution du parc de bicyclettes à Hanoï

Puisqu'on a attaché une grande importance à l'usage de bicyclette, ce mode a fait l'objet de l'enregistrement avant 1980 (ibid). Dans les années 1950 et durant la première moitié des 1960, le nombre de bicyclettes à Hanoï s'est accru à 22% par an malgré que la taille et la population de la ville aient été petites. De 1970 à 1975, ce taux s'est réduit à 7% par an mais l'équipement en bicyclette restait importante jusqu'à la fin des années 1990 comme le montre le graphique. Elle devenait un "compagnon de voyage" des Hanoiens. Le nombre de bicyclettes pour 1.000 personnes est sans cesse monté à des niveaux très comparables à ceux des villes chinoises pendant les années 1980. La part de la bicyclette représentait plus de 65% au début des années 80, une part très importante dans la répartition modale (LUU, 1994).

Pourtant, lorsque le Viêt-nam s'est ouvert vers l'extérieur, les restrictions sur l'importation de motocycle étaient aussi relaxées. La bicyclette avec un rôle en extension est menacée par la concurrence des deux roues à moteur avec la croissance de l'équipement de la population et l'usage de ce mode.

Comme nous l'avons montré dans le chapitre 2, le coût relativement faible de l'usage du motocycle et d'autres facteurs favorables ont incité une grande partie des cyclistes à utiliser le motocycle. Les avantages en termes de mobilité et de souplesse apportés par la bicyclette sont transféré au motocycle d'autant plus que les vietnamiens n'apprécient pas efforts pénibles liés au cyclisme ou la marche à pied comme un bon nombre d'entre eux s'expriment dans des enquêtes.

La croissance rapide du motocycle a bien évidemment des répercussions sur le cyclisme et la marche à pied. La cohabitation des modes est très courante, même sur les grandes rues comme Nguyen Hue, Le Loi à Hô Chi Minh Ville met en péril l'usage des modes non motorisés. Le chef du Service de la Police d'Hô Chi Minh Ville a reconnu qu'une des faiblesses du réseau de voirie de la ville est le manque de rues assez large pour réserver une voie aux modes non motorisés. C'est vrai parce qu'à Hô Chi Minh Ville il n'y a que deux rues avec la piste cyclable que sont avenue Tran Hung Dao et rue Pasteur. Il s'agit là d'une question de choix politique. Si on ne peut pas créer des couloirs réservés à la bicyclette sur de petites rues, on peut le faire sur de grandes rues.176

La mauvaise prise en compte des modes non motorisés dans la circulation urbaine et le non respect du code de la route d'un grand nombre d'usagers de voirie entraîne des conséquences graves pour les personnes utilisant les modes non motorisés. En 2004, il y a 19 accidents (dont 15 mortels) dont les usagers de modes non motorisés sont victimes.177

Le nombre croissant de motocycles sur la route rend donc dangereux et désagréable l'usage de des modes non motorisés alors qu'il n'y pas de séparation entre les modes motorisés et les modes non motorisés. Pour cette raison, il n'est pas étonnant que l'usage de bicyclette régresse progressivement. Le nombre de cyclistes baisse progressivement car une bonne partie d'entre eux se reportent vers les deux-roues motorisés. A Hanoï par exemple, la part de la bicyclette dans la répartition modale a baissé de 52% en 1995 à 32% en 1999, alors que dans le même temps, celle des deux roues à moteur est montée de 30% à 60% (CUSSET, 2002).

Notes
176.

Si l'application d'une voie réservée au bus ou une piste cyclable est difficile à réaliser dans un contexte de petites rues, cela doit être fait lors d'un élargissement d'une ancienne route ou de construction d'une nouvelle route. Cette remarque est faite par Walter HOOK lors de son expertise pour un projet de transports urbains à Guangzhou en 1998.

177.

Thien Nhan, "les accidents impliquant les modes non motorisés : peu nombreux mais avec lourdes conséquences". Sai Gon Giai Phong du 01/05/2005 www.sggp.org.vn