- 2 - La fin des cyclo-pousses

Le cyclo-pousse ou cyclo introduit au Viêt-nam peu avant la seconde guerre mondiale. Malgré une part relativement faible dans la répartition modale178, le cyclo-pousse à Hanoi, comme à Hô Chi Minh Ville jouaient un rôle important pour certaines catégories d’usagers, s’apparentant à un taxi ou un transport semi-collectif assurant des services de porte à porte. Les petits commerçants l'utilisent également pour le transport de marchandises, comme les marchandes de fruits et de légumes par exemple. Le cyclopousse s’adresse à l’origine à une clientèle aisée, mais, avec l’évolution économique, cette clientèle tend à se limiter à des catégories particulières : personnes âgées, malades, femmes enceintes, femmes avec enfants, handicapés... auxquels il faut ajouter le groupe des touristes, de plus en plus nombreux qui apprécient le regard de glisser lentement sur le charme et le pittoresque d'une rue vietnamienne.

Comme dans d'autres villes asiatiques, le cyclopousse fait vivre une partie de la population, le plus souvent des personnes issues des campagnes à la recherche d’emplois en ville. A Hanoi, les gains journaliers du conducteur oscillaient entre 10.000 et 50.000 VND (5 à 25 FF) en 1992 (PADECO, 1993)179, et à Hô Chi Minh Ville le gain journalier était en moyenne de 24.000 VND (sachant que le salaire moyen d'un fonctionnaire se situait aux environs de 200.000 VND). Les cyclos, en fournissant de l'emploi à une partie des habitants assurent donc une fonction sociale. A Hanoï, au début des années 90, les conducteurs de cyclo sont pour 5 % des ruraux de la province (ISET, 1994). A Hô Chi Minh Ville, l’origine sociale des conducteurs était plus diversifiée.180

On dispose seulement d’estimations sur le parc de cyclos dans ces deux villes, même si ces véhicules sont en principe tous immatriculés et les conducteurs doivent avoir une licence pour les exploiter. A Hanoi le parc de cyclos à Hanoi était estimé à 8.400 véhicules en 1993 et à 6.000 en 1996. A Hô Chi Minh Ville, au début des années 90, le parc était estimé de l’ordre de 50.000 à 65.000 cyclos. Depuis, on n’a plus d’estimations mais il est certain que le parc de cyclos dans les deux villes a baissé considérablement avec la prise des mesures restrictives très strictes vis-à-vis de ce mode.

Pourquoi les deux villes ont interdit le cyclo? Parmi les raisons pour la restriction on trouve une raison principale avancée par les autorités : rouler lentement et souvent au milieu de la route, gêner la circulation et ne pas respecter le code de la route. Si on lit la presse vietnamienne, les cyclos étaient la cible de nombreuses critiques de beaucoup de lecteurs lorsque ceux-ci parlaient des mesures pour améliorer la circulation. Donc, c'est parce qu'il est le mode encombrant provoquant facilement la congestion qu'il faut l'interdire. En fin de compte, ce n'est pas juste car les quatre roues comme la voiture, le camion doivent être plus encombrants. Au fait, c'est plutôt à cause du comportement du conducteur de cyclo contre le Code de la route que le cyclo est interdit.

Selon l'explication de plusieurs personnes que nous avons lu dans la presse, des responsables du transport ainsi que des habitants, un chauffeur de quatre-roues se comporte normalement en règle tandis que le chauffeur de trois-roues ne respecte pas la règle. C'est en grande partie vrai en réalité. La police de trafic surveille normalement le quatre-roues plus souvent que le trois-roues peut-être parce qu'ils peuvent toucher un pot-de-vin des chauffeurs de quatre-roues hors règle. Le raisonnement ne semble pas logique ici car on confond le conducteur avec le véhicule. A cause du conducteur, le véhicule doit être interdit. Les opinions exprimées sur le forum de VnExpress ne favorisent pas les autres trois-roues non motorisés comme le Ba Gac pour la même raison.

C’est donc contre le développement des cyclos que les autorités entendent réagir, en éliminant progressivement ce mode de transport du périmètre urbain. A Hô Chi Minh Ville, 51 rues du centre qui leur était interdite en juillet 1995. Puis, les rues interdites aux cyclos devenaient nombreuses. La fabrication de cyclo est depuis lors interdite à Hô Chi Minh Ville. Les licences officielles sont de plus en plus difficiles et chères à obtenir. Aussi, près de 20.000 cyclos circulant illégalement sont soumis aux arrestations, confiscations et amendes de la police.181

On observe à Hô Chi Minh Ville comme à Hanoï une politique changeante sur le cyclo mais en définitive les autorités de la grande ville du Viêt-nam sont résolues à dire adieu à ce mode doux. En septembre 2003, le Comité Populaire d'HCMV a approuvé la circulation du cyclo pour le transport des touristes étrangers sur deux itinéraires prédéterminés mais en octobre 2004 avec sa Décision n°3637 le Comité Populaire a annulé l'autorisation accordée un an plus tôt. Cette décision a mis 800 chauffeurs de cyclo en chômage.182 Ce changement de politique est sans doute influencée par le Service de la Police qui se justifie d'une raison que tout le monde sait : l'encombrement.183

Les autorités d'Hanoï ont appliqué la même politique en ne renouvelant pas les licences et en réglementant sévèrement leurs activités dans le centre ville. En 2001, le Comité Populaire d'Hanoï a promulgué une décision relative à l'interdiction de Xe Lôi, cyclo, charrettes à bras, des transports à traction animale, bicyclettes avec panier184 à l'intérieur de la deuxième couronne. Plus de 100 cyclos d'une compagnie de cyclos appelée Sans Souci ont été confisqués. Mais peu de temps après, les autorités d'Hanoï ont changé d'avis. Elles autorisent quand même la circulation des cyclos au service des touristes étrangers. Il y a actuellement environ 300 cyclos "touristes" à Hanoï n'appartenant qu'à la compagnie Sans Souci.A la différence d'HCMV, il ne semble pas que la politique menée vise la disparition à terme des cyclo-pousses mais une volonté de réduire leur importance dans la circulation afin d'augmenter la fluidité du trafic sur les grands axes. On peut supposer aussi que des cyclos à usage touristique au moins seront préservés.

Notes
178.

moins de 2% selon l'enquête ménage de 1995 (Enquête ménage TESI-LET-INRETS 1995, Enquête LET-CRURE 1999)

179.

cité par GODARD X. et al. (1996)

180.

Après 1975, beaucoup d'enseignants et fonctionnaires de "l'ancien régime" étaient devenu chauffeurs de cyclo. Plus tard, l'échec des nouvelles zones économiques a ramené à la plus grande ville du Viêt-nam la plus part de ceux qui avaient été envoyés pour déficher des régions vierges. Lors du désengagement vietnamien au Cambodge, de nombreux soldats sont venus agrandir les rangs des cyclo-pousses. Après, les populations rurales des régions pauvres notamment du centre du pays, victimes des cyclones et des intempéries continuent à affluer à la ville pour devenir chauffeur de cyclo. Le travail de cyclo-pousse offre un revenu complémentaire, surtout la nuit, pour des étudiants, des instituteurs ou petits fonctionnaires mal payés.

181.

"Ou iras-tu cyclo?", Tuoi Tre du 15/071995, p 1.

182.

"Interdiction du cyclo touriste : des centaines de travailleurs tombent dans la misère", Tuoi Tre du 04/11/2004 www.tuoitre.com.vn

183.

"les cyclos roulent en 3 ou 4 rangs au milieu de la route, gênant la circulation et causant la congestion" selon "il ne faut pas autoriser la circulation des cyclos touristes en centre ville" Tuoi Tre du 16/08/2004 www.tuoitre.com.vn

184.

Il s'agit d'une bicyclette avec un panier attaché à l'arrière pour le transport de marchandises de consommation courante comme de la viande, des légumes, etc. utilisée normalement par les marchands ambulants