1.2. Raisonnement par analogie et processus d’apprentissage

Le raisonnement par analogie peut être défini comme « un transfert de connaissance d’une situation à une autre », « ce qui permet de rendre la nouveauté familière en la reliant à un savoir antérieur » (Gick et Holyoak, 1983, p. 1 et 2). Résoudre un problème par analogie consiste donc à se référer à un problème déjà rencontré (source) et à l’utiliser pour trouver la solution du problème à résoudre (cible).

De très nombreuses recherches ont étudié le raisonnement par analogie et ont tenté de modéliser les mécanismes en jeu dans ce type de raisonnement (Bassok, 1990 ; Bassok et Holyoak, 1989 ; Gick et Holyoak, 1980 ; 1983 ; Falkenhainer, Forbus et Gentner, 1989 ; Holyoak, 1984 ; Holyoak et Thagard, 1989 ; Hummel et Holyoak, 1997 ; Keane, Ledgeway et Duff, 1994 ; voir Sander, 2000 pour une synthèse). Ces recherches ont montré que le raisonnement par analogie peut être source d’apprentissage en ce qu’il peut parfois conduire les sujets à élaborer des connaissances abstraites.

Les liens entre analogie et schémas sont bien mis en évidence dans les recherches princeps de Gick et Holyoak (1980, 1983). Dans ces études, les sujets étudiaient dans une première phase un problème source et sa solution, puis devaient résoudre, dans une seconde phase, un problème cible analogue au problème source au sens où il relève des mêmes principes généraux de résolution.

Par exemple, dans la première phase, les sujets devaient traiter le problème suivant (les traductions des textes originaux sont empruntées à M.D. Gineste, 1997) :

‘« Un général veut que son armée enlève une place forte qui est aux mains d’un dictateur et située au coeur d’un pays. Plusieurs routes conduisent à la forteresse, mais elles sont toutes minées. On ne peut donc passer sur ces routes que par petits groupes sinon les mines peuvent sauter. Le général veut que son armée entière parvienne à la forteresse afin de réussir la prise de la forteresse. Comment faire? »’

Si les sujets ne trouvaient pas spontanément la solution attendue, celle-ci leur était donnée.

‘« La solution consiste à diviser l’armée en petits groupes, à leur faire emprunter en même temps toutes les routes d’accès et à les faire converger vers la forteresse de telle sorte qu’ils arrivent en même temps au pied de celle-ci. ».’

Dans une deuxième phase, les sujets devaient résoudre un problème qui met en jeu la destruction d'une tumeur par des rayons laser (problème emprunté à Duncker, 1945). Le problème est le suivant :

‘« Un médecin reçoit un malade avec une tumeur maligne à l’estomac. Il est impossible d’opérer ce patient mais si on ne détruit pas la tumeur, le patient mourra. On peut utiliser des rayons pour détruire la tumeur. Si les rayons atteignent la tumeur tous en une seule fois avec une intensité suffisamment forte, on détruira la tumeur. Malheureusement, avec cette intensité on détruira également des tissus sains. A une plus faible intensité, les rayons seront moins dangereux pour les tissus sains mais inefficaces pour la tumeur. Quelle solution proposez-vous pour détruire la tumeur sans détruire les tissus sains? »’

La solution “ analogique ” attendue est celle-ci :

‘« Faire converger des rayons de faible intensité sur la tumeur, ce qui sera suffisant pour la détruire, sans endommager pour autant les tissus sains. »’

Gick et Holyoak (1980, 1983) mettent en évidence les résultats suivants : en l'absence d'indication de l'existence d'une analogie, il y a très peu de transfert spontané entre la source et la cible (voir aussi Spencer et Weisberg, 1986). En revanche, lorsque les sujets sont informés de l'existence d'une analogie, les sujets réussissent mieux le problème cible que ceux d'un groupe contrôle non informé (75% de réussite contre 10%). Par ailleurs, si l’on fournit au sujet, en plus du problème de la forteresse, une deuxième situation source qui partage le même schéma de résolution, le pourcentage de transfert spontané sur la cible augmente alors considérablement, et ce d'autant plus que les situations sources fournies sont sémantiquement éloignées.

Pour expliquer ces résultats, les auteurs font l’hypothèse qu’un problème peut être résolu par analogie uniquement si une connaissance abstraite, un schéma, est construit. Pour résoudre le problème de la tumeur, les apprenants doivent donc avoir construit une représentation abstraite, le schéma de convergence (Figure 1).

Figure 1 : Représentation du schéma de convergence

Cette représentation ne contient que des termes généraux recouvrant les termes spécifiques utilisés dans les situations sources et cibles. L'élaboration d’un tel schéma serait une condition préalable au transfert analogique. Une question attenante au rôle des schémas dans le transfert concerne la mise en évidence des différents processus permettant d’acquérir des schémas.