1.2.2. Mémoriser des connaissances spécifiques

Comme nous l’avons présenté précédemment, d’après les recherches princeps de Gick et Holyoak (1980, 1983), raisonner par analogie nécessite d’élaborer une structure abstraite de connaissance (un schéma) à partir de la (des) source(s) puis de projeter ce schéma sur la cible pour la résoudre.

Il existe néanmoins une autre approche du raisonnement par analogie : le raisonnement à partir de cas (« Case-Based-Reasoning »). Selon cette approche, le problème cible est résolu par adaptation de cas particuliers sans faire appel à des structures abstraites de représentation des connaissances. Cette approche a d’abord été développée en intelligence artificielle (Kolodner, 1993, pour des revues de question) en s’appuyant sur des études en psychologie (cf. Schank, 1982 ; 1999). Par la suite, différentes données empiriques ont montré sa validité psychologique. Ainsi, un ensemble de résultats en psychologie cognitive montre que les sujets, en situation de résolution de problèmes, peuvent avoir recours à l'évocation et à l'adaptation de cas ou épisodes spécifiques (Reed, 1987 ; 1989 ; Reed et Bolstad, 1991 ; Ross, 1984 ; 1987 ; 1989a ; 1989b ; Didierjean et Cauzinille-Marmèche, 1998 ; Didierjean, Cauzinille-Marmèche et Savina, 1999). Si ce type de raisonnement est le mode de raisonnement privilégié des novices (Reed, 1987 ; 1989 ; Reed et Bolstad, 1991), c'est aussi un mode de raisonnement économique et couramment utilisé par les experts (Blessing et Ross, 1996 ; Kolodner, 1993 ; Schank, 1982 ; 1999) (voir Didierjean, 2001 pour une revue de questions).

Figure 4 : Schématisation du raisonnement à partir de cas.

Ce schéma signifie : connaissant la ressemblance entre les deux problèmes (α_problème), et la manière de résoudre le problème source, quelle est la solution du problème cible ? (inspiré de Fuchs, Lieber, Mille et Napoli, 1999)

Raisonner à partir de cas peut conduire à acquérir de nouvelles connaissances. En effet, cet forme de raisonnement peut conduire l’apprenant à mémoriser le problème qu’il vient de résoudre en stockant cette situation spécifique à un faible niveau d’abstraction. Notons que les facteurs qui déterminent qu'une situation spécifique sera davantage mémorisée qu'une autre sont à ce jour assez méconnus. Un de ces facteurs semble être la difficulté rencontrée par les sujets lors de la résolution (Didierjean, Cauzinille-Marmèche et Savina, 1999 ; Gick et McGarry, 1992 ; Patalano et Seifert, 1994 ; Johnson et Seifert, 1992) ; les situations ayant engendré des difficultés seraient mémorisées de manière privilégiée. Dans cette optique, certains travaux sur le raisonnement à partir de cas en intelligence artificielle mettent l'accent sur la notion d’« attente déçue » comme critère de sélection des cas à stocker dans leur base de cas. Dans ces systèmes, l'important est de stocker en mémoire les « bonnes » situations, des situations « nouvelles » qui seront utiles par la suite. Pour cela, certains systèmes de raisonnement à partir de cas (Figure 4) (voir pour des exemples le système JUDGE (Bain, 1986) décrit par Riesbeck et Schank, 1989, ou le système CHEF, Hammond, 1990), lorsqu'ils sont confrontés à une situation, tentent d'anticiper les étapes à venir. Lorsqu'une étape ne correspond pas à ce qui est attendu, l'étape ayant occasionné une « attente déçue » va être mémorisée pour une réutilisation ultérieure. De même, lorsque l’apprenant rencontre des difficultés ou se trouve dans une impasse, il mémorise davantage cette situation (voir pour des mises en évidence expérimentales de ce type de phénomènes, De Graef, Christaens et d'Ydewalle, 1990 ; Hudson, 1988 ; Hudson, Fivush et Kuebly, 1992 ; Patalano et Seifert, 1994). Ainsi, les situations ayant engendré des difficultés et des attentes déçues pourraient être celles qui sont le mieux mémorisées.