2.1. Théorie de la charge cognitive

Sweller et ses collaborateurs ont mené de nombreuses études sur l’apprentissage en situation de résolution de problèmes afin d’identifier les conditions qui sont les plus favorables à l’apprentissage.

A partir de ces travaux, Sweller a développé une théorie, la « théorie de la charge cognitive » (« Cognitive load theory »). Cette théorie (Voir Sweller, 1988 ; 1994 ; 1999 ; Tricot, 1998 pour des revues de question, voir aussi le numéro spécial de la revue learning and instruction, 2002) s’appuie sur certaines propriétés de la mémoire humaine pour modéliser l’utilisation des ressources cognitives en situation d’apprentissage.

La mémoire humaine peut être décomposée en plusieurs sous-systèmes qui ont des propriétés différentes. L’information est d’abord traitée en mémoire de travail. Celle-ci a une capacité limitée (Miller, 1956 ; Baddeley, 1986), elle ne peut traité qu’un petit nombre d’éléments (ou chunk) simultanément pendant une durée limitée. La mémoire de travail est connectée à la mémoire à long terme, qui stocke un grand nombre de connaissances. En situation d’apprentissage, les apprenants traitent des informations en mémoire de travail et construisent ainsi des connaissances qu’ils stockent en mémoire à long terme. D’après Sweller, ces connaissances sont des schémas : des structures abstraites de connaissances composées d’éléments. Pour illustrer cette notion, Sweller (1994) donne l’exemple suivant :

Le problème « a/b=c, trouver a » nécessite d’utiliser plusieurs éléments. Ces éléments sont :

  1. Multiplier le côté gauche par b, ce qui donne ab/b
  2. Comme le côté gauche a été multiplié par b, la même opération doit être réalisée du côté droit pour maintenir l’égalité, ce qui donne cb
  3. La nouvelle équation est ab/b = cb
  4. Comme il y a b au numérateur et au dénominateur cela donne a.
  5. La nouvelle équation est a = cb

Selon Sweller, un schéma est donc une structure abstraite de connaissances organisée en une suite de buts et de sous-buts qui encapsule de nombreux éléments d’informations formant ainsi un seul élément. Pour construire un tel schéma, l’apprenant doit disposer de suffisamment de ressources en mémoire de travail. Or, en situation d’apprentissage, l’apprenant doit partager ses ressources cognitives entre différentes sources de charges cognitives imposées par la tâche ou dédiées à la construction d’un schéma. La théorie de la charge cognitive décrit comment les ressources limitées de la mémoire de travail sont utilisées lorsque l’apprenant est en situation d’apprentissage. Sweller et al. (Sweller et Chandler, 1994 ; Sweller, van Merriënboer et Paas, 1998) distinguent trois sources de charges cognitives : (1) la charge cognitive extrinsèque pertinente, (2) la charge cognitive extrinsèque inutile et (3) la charge cognitive intrinsèque.

(1) Les efforts investis dans des traitements directement pertinents pour la construction de schémas sont appelés charge cognitive extrinsèque pertinente (germane cognitive load). Celle-ci correspond à la réalisation de traitements de haut niveau sur le matériel tels que l’analyse des informations importantes pour réaliser la tâche ou encore la construction de schémas. Cette forme de charge cognitive a fait l’objet de peu de travaux

(2) La charge cognitive extrinsèque inutile (extraneous cognitive load) est la charge cognitive relative à l’organisation du matériel, et aux activités réalisées par l’apprenant sur ce matériel non directement liées à la construction de schémas. Ainsi, ces ressources cognitives peuvent être utilisées pour intégrer différentes sources d’information (texte et schémas) ou encore pour effectuer des tâches parallèles (par exemple la prise de notes).

(3) La charge cognitive intrinsèque (intrinsic cognitive load) est la charge cognitive imposée par les caractéristiques de la tâche ou du matériel. Elle est déterminée par le nombre d’éléments en interaction qui doivent être traités simultanément. Selon la théorie de la charge cognitive, un élément correspond à ce qui est manipulé en mémoire de travail sous la forme d’une seule unité de traitement. Si le sujet dispose de connaissances préalables et de schémas appropriés, il lui est possible de regrouper plusieurs stimuli et de les traiter comme une seule unité (un chunk, Miller, 1956). Le nombre d’éléments qui doivent être traités simultanément dépend donc du niveau d’expertise des sujets, mais aussi de l’interaction entre ces éléments. Pour illustrer cette notion d’interaction entre éléments Sweller (1999, p. 3) présente l’exemple suivant : « Suppose five days after the day before yesterday is Friday. What day of the week is tomorow ? ». Trouver la réponse, « Wednesday », peut demander un peu de temps. En effet, dans cette phase les différents éléments interagissent et doivent être traités simultanément, ce qui impose une charge cognitive intrinsèque importante.

Il est à noter que la distinction entre la charge cognitive extrinsèque inutile et la charge cognitive intrinsèque soit plutôt de nature théorique. Néanmoins celle-ci facilite la compréhension de l’allocation des ressources en situation d’apprentissage.

Un apprentissage n’est effectif que si l’apprenant a suffisamment de ressources pour construire un schéma. Or, si la tâche devient particulièrement « coûteuse » pour la mémoire de travail en raison d’une charge cognitive intrinsèque ou d’une charge cognitive extrinsèque inutile trop importante, l’apprenant peut manquer des ressources cognitives nécessaires pour la construction d’un schéma. La réalisation de l’activité peut alors nuire à l’apprentissage.

Dans le cadre de cette théorie, de nombreux effets ont été mis en évidence et différentes propositions ont été faites pour faciliter l’acquisition de schémas.