Qualité des auto-explications

Comme souligné précédemment, plus que le nombre de verbalisations produites, c’est surtout leur qualité qui est importante (Chi et al., 1989 ; Renkl, 1997 ; Neuman et Schwarz, 1998). Dans une recherche qui réplique les résultats de Chi et al. (1989) sur un plus grand nombre de sujets, Renkl (1997) montre que l’on peut distinguer différentes catégories d’auto-explications et qu’il existe des différences interindividuelles dans le recours à ces différentes catégories.

L’auteur distingue ainsi plusieurs « styles » d’auto-explications qui correspondent à des niveaux de performances différents :

  • Le style dit « anticipatif » est caractérisé par une tentative chez les sujets d'anticiper les étapes à venir lors de la lecture des exemples. Cette catégorie de verbalisation est associée ensuite à de bonnes performances sur de nouveaux problèmes.
  • Le style dit « basé sur les principes » est défini par le fait de donner du sens aux opérateurs en explicitant les principes sous-jacents aux étapes, et en les faisant correspondre aux sous-buts. Cette catégorie de verbalisation est également associée à de bonnes performances.
  • Enfin les auteurs distinguent deux autres catégories de verbalisations qui conduisent à un faible apprentissage. Le style dit « passif » qui consiste essentiellement à exprimer la non compréhension, et le style dit « superficiel », qui, associé à un temps d'étude faible des exemples, consiste à tenter de dégager les principes sous-jacents, mais de manière peu poussée.

Renkl (1997) montre qu'il existe des différences individuelles importantes dans l'utilisation des différentes catégories de verbalisations. Les sujets adoptent majoritairement l'une des catégories et ce « choix » a des conséquences sur l'apprentissage (voir aussi Didierjean et Cauzinille-Marmèche, 1998).

Il existe des similarités entre les différents styles d'auto-explications conduisant à de bonnes performances et les travaux sur les processus d'apprentissage. Le style dit « basé sur les principes » fait référence à des activités (mise en évidence des principes sous-jacents à l’exemple, lien entre les opérations réalisées et les sous-buts à atteindre) très proches des activités décrites dans le cadre des travaux sur les processus explicatifs. Dans ces travaux, on observe que les apprenants tentent de poser des liens causaux entre les étapes, pour construire une connaissance organisant l'enchaînement de ces liens en succession de sous-buts (Ahn, Brewer et Mooney, 1992 ; Brown et Kane, 1988 ; Elio et Anderson, 1983 ; Kieras et Bovair, 1986). On peut faire l’hypothèse que les auto-explications, et tout particulièrement celles basées sur les principes correspondent à la mise en œuvre de processus explicatifs. Wong et al. (2002) appuient cette hypothèse en analysant à l’aide d’un calcul de régression les causes de l’apprentissage après un entraînement aux auto-explications « basées sur les principes ». Le résultat de ces analyses montre que l’entraînement aux auto-explications est une cause indirecte des performances. Les performances sont causées par la génération de connaissances nouvelles à travers la mise en relation des connaissances préalables et des exemples. Il semble donc que les effets de l’entraînement aux auto-explications puissent être liés à la mise en œuvre de processus explicatifs.

Quant au « style anticipatif », qui se caractérise par une anticipation des étapes à venir lors de la lecture des exemples, plusieurs hypothèses semblent pouvoir expliquer la nature des processus reflétés par cette activité. Tout d'abord, cette tentative d'anticipation pourrait correspondre à une activité de comparaison des situations : c'est sur la base d'une remémoration des exemples passés que le sujet « anticipe » l'étape à venir. De plus, cette activité (telle qu'elle est décrite par Renkl) est très proche de la notion d'attente déçue décrite dans les travaux sur le raisonnement à partir de cas (Kolodner, 1993 ; 1997 ; Schank, 1982 ; 1999). Les activités d'anticipation pourraient permettre à l'apprenant d'identifier avec précision les passages des exemples qui sont sources de difficultés, que ce soit pour tenter d'extraire la structure de ces passages via des processus explicatifs, ou pour mémoriser ces passages et leurs solutions pour la mise en œuvre ultérieure d'un raisonnement à partir de cas.

Dès lors que des activités semblent davantage que d'autres associées à la mise en œuvre de processus de généralisation conduisant à un apprentissage efficace des principes en jeu, une question importante est de savoir s'il est possible d'induire chez les apprenants le recours à ces activités.