3.1. Présentation de l’étude de Gick et McGarry (1992)

En 1992, Gick et McGarry montrent qu'outre les traits de surface du problème, un autre facteur semble déterminant dans le transfert analogique : la saillance des traits de structure dans la source. Ces auteurs réalisent une recherche dans laquelle les sujets doivent résoudre le problème dit « problème de l'échiquier » (Kaplan et Simon, 1990). Ce problème, présenté en Figure 10, est un problème difficile que peu de sujets réussissent à résoudre (Kaplan et Simon, 1990). Dans ce problème, les sujets doivent juger si un échiquier dont deux coins opposés ont été retirés peut être recouvert par des dominos dont la taille correspond à deux cases de l'échiquier. La résolution correcte de ce problème nécessite de mettre en avant la notion de parité : un domino couvre toujours deux cases adjacentes, une noire et une blanche, or deux cases noires et un domino ont été retirés. Même si le nombre total de cases correspond exactement au nombre de demi-dominos, le problème est impossible puisqu'il restera à la fin un domino et deux cases blanches. Gick et McGarry (1992, Expérience 1) montrent tout d'abord, de manière classique, que lorsque l'on donne, préalablement à la résolution du problème de l'échiquier, un problème isomorphe dont la solution est trouvée par tous les sujets (le problème dit « problème du bal » : Figure 11), on n'observe pas de transfert spontané du premier problème sur le second (cf. Gick et Holyoak, 1980 ; 1983).

Gick et McGarry (1992, Expérience 2 et 3) montrent cependant que le degré de complexité de la source semble jouer un rôle déterminant dans le taux de transfert spontané. Les auteurs donnent aux sujets à résoudre en source un problème isomorphe au problème de l'échiquier : le problème « du dîner », en faisant varier le degré de complexité de ce problème. Une moitié des sujets le passe dans une version « facile » où la notion de parité est mise en avant (Figure 12), et l'autre moitié dans une version plus « difficile » ou la notion de parité est moins mise en avant 1 . La différence entre les deux versions réside uniquement dans la plus ou moins grande mise en avant de l’élément pertinent pour la résolution : la parité. Dans la version facile, cet élément est davantage mis en avant que dans la version difficile (à noter qu’aucune des deux versions n'est plus proche que l'autre de la cible en terme de traits de surface). Les auteurs montrent que, par rapport aux sujets qui ont eu la version facile en problème source, les sujets qui ont passé la version difficile commettent plus d’erreurs sur le problème source (absence de référence à la parité) mais réussissent ensuite mieux le problème de l'échiquier en cible. Ainsi, si les traits de surface semblent jouer un rôle dans le transfert spontané, rendre peu saillant l’élément structural important dans la source semble également déterminant.

Soit un échiquier et 32 dominos. Chaque domino couvre exactement deux cases adjacentes de l'échiquier. Avec 32 dominos on peut donc couvrir l'ensemble des 64 cases de l'échiquier. Supposons maintenant qu'on retire deux coins diagonalement opposés de l'échiquier, et un domino. Si vous jugez cela possible, montrez comment vous placeriez sur l'échiquier les 31 dominos restants, de manière à ce que les 62 cases restantes soient entièrement recouvertes. Si vous jugez que cela est impossible, prouvez-le.

Figure 10 : Le problème de l’échiquier tronqué
Figure 11 : Le problème du bal
Figure 12 : Le problème du dîner.
Figure 13 : Solution du problème du dîner
Figure 13 : Solution du problème du dîner

Selon Gick et McGarry (H1) ce résultat tient à ce que, puisque la cible utilisée est un problème difficile, rendre également difficile la source favorise le transfert en ce que cela augmente la probabilité que les sujets prennent conscience de l'existence d'un lien entre la source et la cible. Ainsi, une source difficile pourrait être favorable en ce qu'elle conduit les sujets à réaliser des erreurs, et les erreurs réalisées lors de la résolution de la source et de la cible amènent les sujets à se rendre compte de l'existence d'une similarité entre le problème source et le problème cible. Gick et McGarry (1992, p. 635) avancent ainsi : « For example, if subjects are attempting covering solutions that they think should work in the checkerboard target problem, but all solutions seem to fail, they may notice a similarity to failures that occurred in the source problem (e.g., two squares are always left over) ». Pour appuyer leur interprétation, Gick et McGarry accordent une attention toute particulière à un type d’erreur : les erreurs de non parité. Ces erreurs consistent à proposer une réponse qui ne fait pas référence à la notion de parité. Selon cette optique, le rôle des erreurs de non parité pourrait jouer un rôles « d'indice de récupération » favorisant la récupération de la source.

D’après nous, deux autres hypothèses pourraient également expliquer ces résultats.

Selon une seconde hypothèse (H2), rendre peu saillant l’élément pertinent pour la résolution pourrait améliorer le transfert en ce que les sujets mémoriseraient mieux la source et sa solution lorsqu’ils rencontrent des difficultés dans la résolution. Ainsi, Patalano et Seifert (1994) ont montré que les participants étaient meilleurs pour se remémorer des problèmes s’ils les avaient résolus en commettant des erreurs plutôt que correctement.

Selon une troisième hypothèse (H3), rendre peu saillant l'élément pertinent pour la résolution pourrait jouer un rôle en ce que ce changement induit chez les sujets l'élaboration d'un schéma. A titre d'illustration, dans l’Experience 1 de Gick et McGarry, lorsque les sujets reçoivent en source le problème du bal on peut penser que, quel que soit le niveau de mémorisation de cette source, les sujets échouent sur la cible faute d’avoir pu dégager des traits de surface « couple homme/femme » le concept de parité et son importance pour la résolution. Ainsi, selon cette hypothèse, rendre peu saillant l’élément structural important dans la source conduit les sujets à construire une représentation de la solution où cet élément est intégré de manière plus abstraite. Cette manipulation expérimentale pourrait notamment inciter les sujets du groupe « source difficile » à s’interroger sur le rôle de la parité, et ainsi à généraliser davantage via la mise en oeuvre de processus explicatifs (Catrambone, 1995 ; 1996 ; DeJong et Mooney, 1986 ; Mooney, 1990). En s'interrogeant sur le rôle de l'élément structural qu'ils n'ont pas pris en compte, les sujets construiraient une représentation de la source dans laquelle les éléments « deux femmes s'en vont » pourraient être remplacés par une connaissance plus abstraite telle que « deux éléments semblables s'en vont » (cf. pour ce type de phénomène de généralisation Sander et Richard, 1997 ; Schank, 1982).

Notes
1.

Pour la lisibilité du texte, nous avons rebaptisé les deux problèmes utilisés par Gick et McGarry que nous reprenons ici. Le problème que nous nommons « facile » correspond au problème « verbal plus diagram » et le problème "difficile" correspond au problème « diagram only ».