3.3. Discussion générale

L’objectif de ces expériences était de déterminer le rôle de la saillance des traits structuraux du problème source dans le raisonnement par analogie. Trois hypothèses non exclusives étaient proposées. Selon une première hypothèse (H1), réduire la saillance des éléments pertinents pour la résolution du problème favorise le transfert car cela augmente la probabilité que les sujets prennent conscience de l'existence d'un lien entre la source et la cible (par exemple en faisant des erreurs similaires dans les deux problèmes). Selon la seconde hypothèse (H2), réduire la saillance des éléments pertinents favorise une meilleure mémorisation de la source. Selon la troisième hypothèse (H3), réduire la saillance des éléments pertinents favorise le transfert spontané car les sujet construisent une représentation de la source dans laquelle l’élément central pour la résolution est encodé d’une manière plus abstraite (par exemple en incluant la contrainte « 2 éléments identiques manquent » plutôt que « deux femmes manquent » dans la représentation de la solution). L’expérience 1 a répliqué les résultats de Gick et McGarry et a montré que si le problème difficile affectait bien la compréhension du concept clé de la résolution, commettre une erreur sur ce concept clé ne suffisait pas pour réussir à résoudre le problème cible. L’expérience 2 répliquait les résultats de Gick etMcGarry en situation de transfert indicé. L’expérience 3 a montré que la présentation d’un problème source difficile facilitait la catégorisation de problèmes isomorphes suivant leurs traits de structure. L’expérience 4 a montré que sans la présentation de la solution, l’effet de la saillance des traits de structure disparaissait.

Les résultats des expériences 1 et 2 permettent de rejeter la première hypothèse (H1) comme hypothèse explicative exclusive. Le rôle de la difficulté du problème source ne peut pas être expliqué seulement par son impact sur la prise de conscience d’un lien entre source et cible. De plus, les erreurs relatives à l’élément clé de la résolution de la source ne semblent pas jouer un rôle central dans la réussite du problème transfert. Les résultats de l’expérience 3 ne peuvent être expliqués par une meilleure mémorisation de la source (H2) ; la catégorisation des problèmes suivant leurs traits de structure plutôt que leurs traits de surface nécessite d’avoir construit une représentation abstraite des éléments structuraux manipulés dans la source. De plus, dans la tâche de rappel de la source présentée après le transfert dans les expériences 1 et 2, les deux groupes avaient des performances de rappel identiques (ces résultats étaient similaires à ceux obtenus par Gick and McGarry, 1992 ; voir aussi Novick et Holyoak, 1991). Les résultats de ces 3 expériences appuient donc la troisième hypothèse (H3). Réduire la saillance des éléments pertinents pour la résolution de la source améliore le transfert vers le problème cible car les sujets construisent une représentation plus abstraite de la solution du problème source.

Même si ces résultats mériteraient d’être reproduits avec des problèmes différents, cette série d’expérience apporte des arguments forts pour étayer l’hypothèse selon laquelle modifier la saillance des traits de structure influe sur la mise en œuvre de processus de généralisation pouvant ainsi aboutir à l’abstraction de la représentation de la source. Toutefois, ces expériences ne donnent pas d’indication sur le type de processus mis en jeu et le moment où ce processus est mis en jeu. Les résultats de l’expérience 4 laissent supposer que la saillance des traits de structures a une influence sur les processus mis en jeu durant la lecture de la solution. Cette expérience ne suffit évidemment pas à comprendre le rôle de la saillance des traits de structure sur les processus en jeu pendant la résolution. On peut simplement faire l’hypothèse que réduire la saillance d’un trait de structure important peut, durant la lecture de la solution, conduire le sujet à s’interroger sur le rôle de cet élément et ainsi mettre en œuvre des processus explicatifs afin de généraliser.

Rappelons que d’autres études ont montré que de petits changements peuvent conduire à une généralisation à travers des processus explicatifs. Ainsi Catrambone (1995, 1996) montre que l’ajout de « labels » à la solution du problème favorise la généralisation même si ceux-ci sont peu informatifs. Les auteurs expliquent que l’ajout d’étiquettes conduit les participants à s’interroger sur leur sens et leur positionnement et ainsi à mettre en œuvre des processus explicatifs sur ces exemples. De la même façon, réduire la saillance des traits pertinents pour la résolution pourrait attirer l’attention sur le rôle de la parité lors de la lecture de la solution. Ainsi, on peut suggérer que rendre peu saillants les éléments « clés » des exemples conduirait à davantage de généralisation en ce que les apprenants s'interrogeraient ensuite davantage sur le rôle de ces éléments dans la résolution, construisant ainsi une représentation plus abstraite de la notion importante pour la résolution.