5.2. Perspectives

D’autres études doivent être conduites pour mieux comprendre les facteurs qui déclenchent les différents processus d’apprentissage.

(1) Si nous avons identifié différents facteurs qui semblent jouer un rôle dans la mise en œuvre de généralisation de connaissances, ces facteurs semblent pour l’instant difficiles à manipuler pour déclencher la mise en œuvre de processus de généralisation. Une première question se pose alors : quelle est l’importance des effets mis en évidence dans les différentes expériences sur lesquelles nous nous appuyons ?

Il est à noter que les différentes études présentées dans la section 2. 3 qui mettent en évidence des facteurs qui semblent jouer un rôle sur la mise en œuvre de processus présentent souvent des résultats isolés, non répliqués dans d’autres contextes. Il est donc difficile de savoir dans quelle mesure les résultats obtenus peuvent être généralisés à d’autres situations. Or, si l’on souhaite déclencher des processus de généralisation en manipulant différents facteurs, il semble important de vérifier auparavant l’importance et la robustesse des effets de ces facteurs en mesurant leur taille (voir par exemple Howell, 1998, p.373-377) ; on peut en effet supposer que plus l’effet est important et robuste, moins il sera sensible aux variations de la situation.

(2) Parmi les facteurs mis en évidence, les similarités de surfaces entre problèmes semblent jouer un rôle important dans la mise en œuvre du processus de généralisation. Il semble que la présentation de problèmes ayant des habillages très différents favorise un processus de détection de similitudes Gick et Holyoak, 1983 ; Bassok et Holyoak, 1989 ; Bassok, 1990, Quillici et Mayer, 1996, 2002), alors que pour faciliter la généralisation par adaptation, il semble que les problèmes doivent être plutôt similaires (Ross et Kennedy, 1990).

Il semble cependant qu’il soit difficile de manipuler les similarités de surface des problèmes pour déclencher ces processus. En effet, différents types de similarités de surface semblent pouvoir être distingués. Leur caractérisation varie suivant les auteurs. Ross (1987, 1989) distinguent les similarités de surface liées à l’histoire proposée et les similarités liées aux entités présentes dans les énoncés (object mapping view). Hoyoak et Thagard (1989 ; 1995 ; Hummell et Holyoak, 1997) considèrent plutôt le degré de similitudes sémantiques entre les objets présents dans les différents problèmes. Celui-ci dépend de l’organisation sémantique des connaissances en mémoire. Bassok, Wu et Olseth (1995) vont plus loin en montrant que les connaissances sémantiques des sujets sur les objets et sur les relations entre les objets décrits dans la situation orientent la structure abstraite qu’ils construisent à partir de l’énoncé. Ainsi, des traits a priori non pertinents pour la résolution, comme le fait que des personnes choisissent des objets ou des animaux, peuvent permettre aux participants d’inférer la solution du problème. Cette structure abstraite « interprétée » diffère de la structure qui détermine la solution de ce type de problèmes, elle permet de résoudre certains problèmes partageant les mêmes traits, mais induit les apprenants en erreurs lors de la résolution de problèmes isomorphes un peu différents.

A la suite de ces différentes études, il semble donc qu’une meilleure compréhension de l’influence des similarités entre problèmes passe d’abord par une caractérisation plus fine des indices qui conduisent les apprenants à construire une représentation « interprétée » du problème différente de la structure qui détermine la solution. Dans ce sens, Sander et collaborateurs (Sander et al., 2003) cherchent à mettre en évidence différentes caractéristiques qui provoquent certaines inférences dans le domaine des problèmes additifs.

(3) Une troisième question porte sur les conditions de mise en œuvre de processus d’adaptation. Celui-ci est encore méconnu et mériterait d’être mieux étudié. Si Ross et Kennedy (1990) ont montré que la généralisation par adaptation pouvait avoir lieu si les problèmes source et cible étaient suffisamment proches, la similarité entre problèmes ne semble pas être une condition suffisante. Dans ce sens, Didierjean (2003) a montré que la généralisation avait lieu lorsque les problèmes étaient proches, uniquement si les sujets la mettaient en oeuvre délibérément. Dans l’expérience que nous avons réalisé, un autre facteur a pu nuire à la généralisation par adaptation : l’accès à la source. En effet, dans l’étude de Ross et Kennedy (1990), le problème source n’est pas accessible au moment de résoudre la cible. En revanche, dans notre expérience, l’apprenant avait accès à la source. Il nous paraît donc intéressant d’approfondir les études sur les conditions permettant la généralisation par adaptation en conduisant d’autres expériences permettant d’étudier plus particulièrement l’effet d’un délai entre la présentation du problème source et du problème à résoudre sur la généralisation.

(4) Comme nous l’avons rappelé précédemment, l’étude de Didierjean (2003) montre que le processus de généralisation par adaptation doit être mis en œuvre de manière délibérée par l’apprenant. Est-il nécessaire que chacun des processus soit mis en œuvre délibérément pour qu’une connaissance générale soit construite ? ou est-il possible que ces processus soient mis en œuvre automatiquement, sans accès à la conscience ou sans volonté de généraliser ?

Certaines études montrent que les apprenants pourraient être sensibles à la présence de régularités de manière automatique (Anderson, Kline et Beasley, 1979; Carbonell, 1983; Michalski, 1983), sans qu'il y ait accès à la conscience de la connaissance élaborée (Reber, 1989). Le processus de détection de similitudes pourrait donc parfois être automatique. Quant aux autres processus la question reste sans doute à approfondir.

Si les processus doivent être mis en œuvre délibérément pour produire des connaissances générales, identifier les facteurs qui déclenchent les processus d’apprentissage revient alors à identifier d’une part les conditions qui motivent l’apprenant à mettre en œuvre ces processus et d’autre part, à rechercher les facteurs qui augmentent l’efficacité de ces processus (tels que la dissimilarité entre exemples).

Selon ce point de vue, demander de comparer des problèmes, est sans doute moins efficace que de proposer un enjeu à l’activité proposée.

(5) Par ailleurs, comme nous l'avons souligné, les sujets disposent d'une pluralité de mécanismes d'apprentissage. Dès lors, une des questions qui reste à étudier concerne leurs interactions. Si, pour des raisons de simplification, les travaux sur les processus d'apprentissage se sont la plupart du temps centrés sur un seul processus à la fois, il est probable que les apprenants en utilisent plusieurs, tour à tour ou simultanément. Par exemple, détecter des similitudes n'empêche pas d'essayer d'établir des liens causaux. Il reste à développer des recherches visant à mieux comprendre comment « coexistent » les processus d'apprentissage. Les travaux visant à observer en situation « naturelle » comment les sujets apprennent, tels que ceux développés dans les recherches sur les auto-explications, offrent sans doute dans un premier temps un bon moyen d'étudier ces questions.

(6) Enfin, la question de l'optimisation de l'apprentissage ne peut écarter celle de l'étude des différences individuelles. Certains travaux ont pu mettre en évidence l'existence de différences individuelles dans le recours aux différents processus d'apprentissage. Il semble indispensable d'avancer dans cette voie. Ces différences individuelles sont-elles le fruit de contraintes cognitives : par exemple un processus pourrait nécessiter plus de ressources cognitives que d'autres ? Sont-elles le reflet de véritables « styles » cognitifs ? Dans tous les cas, mieux comprendre les sources des différences, leur caractère stable ou non, est une des clés d'une bonne compréhension des phénomènes d'apprentissage à partir d'exemples.