12.1.2. Des difficultés persistantes

Les différentes évaluations nous ont conduit à éliminer les plus grosses difficultés et à identifier un public pour lequel Ambre-add est approprié, les élèves de CE2. Néanmoins des difficultés persistent. La première difficulté identifiée concerne la compréhension des schémas utilisés pour représenter le problème. Peu d’apprenants semblent les avoir compris. En effet, d’après les observations, les élèves ont des difficultés pour construire la reformulation du problème (nous reviendrons sur cette difficulté ultérieurement). De plus, la plupart des élèves de CE2 ne sont pas capables de construire des énoncés correspondant aux différents schémas. Ce test montre donc qu’ils n’ont pas une connaissance explicite de la signification des différents schémas. Néanmoins, ce test étant assez faisant appel à des compétences langagières différentes de la compréhension des schémas, il est possible que certains apprenants possèdent des connaissances sur les schémas sans être capable de les expliciter. La compréhension des schémas est un élément central pour l’utilisation de Ambre-add car ceux-ci permettent de construire la reformulation du problème, de sélectionner un problème-type, de classer le problème ou encore de construire l’équation correspondant au problème. La non compréhension des schémas peut donc perturber la réalisation des différentes activités proposées par le système. Il est donc essentiel d’améliorer leur compréhension pour que les apprenants puissent bénéficier de l’utilisation de Ambre -add.

Les difficultés observées durant l’étape de reformulation peuvent également avoir une autre origine : les apprenants ont des difficultés à comprendre quelle erreur ils ont commise et comment la corriger. Nous avions modifié les messages de diagnostic en précisant les sous-étapes réussies avant d’indiquer l’erreur ; mais ces modifications n’ont pas entièrement permis de supprimer cette difficulté. Il semble que les apprenants ne fassent pas la relation entre le vocabulaire utilisé dans les explications proposées par le système et les différents éléments d’interface. Outre les difficultés de vocabulaire, il serait également intéressant d’évaluer l’impact des messages d’explications en étudiant les différentes actions des apprenants après l’apparition d’un message, par exemple en analysant les traces d’interaction (Renkl, 2002).

Enfin, comme nous l’avons décrit chapitre 5, quelques apprenants (plus nombreux en CE1 qu’en CE2) utilisent le logiciel très différemment de l’utilisation prescrite ; ils « jouent avec le système » (« playing the system », Mostow et al., 2002). Ils passent les problèmes-type et le bilan sans les lire, en ne tiennent aucun compte des explications données par le diagnostic et suivent une stratégie d’essai-erreur pour répondre et passer aux étapes suivantes. Ce comportement est particulièrement observé dans les étapes de choix d’un problème-type et de classement dans lesquelles l’activité prescrite est essentiellement une activité « mentale », la tâche à réaliser étant relativement simple (tâche de sélection parmi un ensemble restreint d’éléments). Ce comportement peut être interprété comme un manque de motivation ou un manque d’implication des apprenants dans l’activité. D’après Baker, Corbett et Koedinger (2004), ce comportement est corrélé négativement avec l’apprentissage. Dès lors, il nous faut estimer sa distribution et sa fréquence afin de choisir une stratégie adaptée pour l’éviter ou y remédier. Si ce comportement est pratiqué ponctuellement par quelques apprenants isolés, nous pourrons prévoir une remédiation, par exemple en limitant l’accès à l’aide et au diagnostic ou en envisageant un appel au tuteur présent dans la salle. En revanche, s’il est très répandu, il faudrait repenser l’interaction avec le système.

Ces différentes difficultés soulèvent d’une part la question de l’appropriation du système par l’apprenant (1) et d’autre part la question de l’implication dans l’activité proposée par le logiciel (2).

(1) Pour s’approprier Ambre-add, les apprenants doivent à la fois comprendre les activités proposées, les modes d’interactions possibles avec le logiciel, mais aussi la signification des schémas et du vocabulaire spécifique. Il nous semble donc nécessaire d’accompagner cette appropriation. Pour pallier aux difficultés de compréhension des schémas et du vocabulaire, l’équipe du projet Ambre travaille sur la conception d’un nouveau tutoriel destiné à faciliter la prise en main du logiciel. Celui-ci présente les schémas d’une manière plus claire et conduit les apprenants à identifier les différents éléments d’interface à travers une interaction avec le logiciel. Après cette première prise de contact avec le logiciel, il nous semble important d’accompagner le processus de genèse instrumentale (Rabardel, 1995). En effet, au cours de l’usage d’un dispositif informatique, chaque utilisateur s’approprie le dispositif en s’adaptant aux contraintes imposées par le dispositif et ses fonctions constituantes (instrumentation), mais aussi en attribuant des fonctions à cet artéfact non prévues lors de la conception (instrumentalisation). Si cette genèse est inhérente à la prise en main d’un logiciel, il semble possible de l’orienter en organisant les activités individuelles ou celles de la classe à travers une « orchestration instrumentale » (Trouche, 2002). Celle-ci suppose« l’interaction entre les différents sujets, l’explicitation des démarches et la publication des traces de l’activité » (Trouche, 2002, p.272).

(2) il nous semble par ailleurs important de prendre davantage en considération la question de la motivation et de l’implication de l’apprenant. En effet, comme le soulignent Soloway et al. (1996), contrairement à des utilisateurs qui utilisent un système informatique en situation professionnelle, en situation scolaire l’engagement des apprenants dans l’activité ne va pas de soi. Actuellement, les thèmes de la motivation et de l’implication des apprenants font l’objet de différentes recherches dans le domaine des EIAH (voir par exemple les actes du workshop « Social and Emotional Intelligence in tutoring systems, Mostow et Tedesco (eds.), 2004). Certaines études suggèrent d’avoir recours à un avatar pour délivrer les messages d’aide et d’explication afin de rendre le système plus convivial et plus attrayant (voir par exemple Frasson, 1998). D’autres études proposent de détecter le niveau de motivation de l’apprenant afin de le stimuler s’il baisse (Beck, 2004). Ainsi, dans le projet Ambre, nous pourrions nous inspirer de ces études afin de proposer une forme d’interaction qui facilite l’implication dans la tâche (par exemple en introduisant un avatar animé qui exprime oralement les messages d’aide et de diagnostic) ainsi que pour détecter le désengagement des apprenants.

Par ailleurs, nous pensons qu’il est possible d’apporter une réponse plus globale aux difficultés d’appropriation du logiciel et d’implication dans la tâche à travers la proposition d’un scénario pédagogique.