12.7. Limites de cette étude pluridisciplinaire

Comme nous venons de le présenter, cette étude a apporté une première contribution à la question des conditions qui facilitent l’apprentissage à partir d’exemples et a contribué au développer le projet Ambre dans le cadre d’une conception itérative. Toutefois, il est à noter que nos contributions dans chaque domaine sont assez limitées ; il était en effet difficile d’apporter des contributions plus significatives à chaque domaine étant donné les contraintes temporelles imposées dans le cadre d’une thèse.

Par ailleurs, nous avons rencontré différentes difficultés pour mettre en relation les études en psychologie cognitive et les travaux réalisés dans le cadre de la conception et de l’évaluation des EIAH. Néanmoins la confrontation de ces deux champs recherche a fait émergé différentes questions à notre sens pertinentes pour les deux domaines. Nous présentons ici ces difficultés et les questions qu’elles soulèvent.

Afin d’atteindre les objectifs de cette thèse, il était prévu de conduire des expériences visant à déterminer les facteurs déclenchants des différents processus, puis d’appliquer ensuite ces résultats à la conception du projet Ambre. L’évaluation du logiciel devait fournir d’autres données empiriques permettant d’appuyer ou non les résultats obtenus sur l’apprentissage à partir d’exemples.

Dans les faits, seule la revue de littérature a orienté les recommandations proposées pour la conception de Ambre. Les résultats des différentes expériences menées en psychologie cognitive et les limites mises en évidence à l’issue de ces études n’ont pas été prises en compte lors de la conception. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce décalage entre les objectifs et les résultats. D’abord, pour des raisons d’ordre chronologique, la conception et les expériences en psychologie cognitive ont été conduites en parallèle. Les résultats empiriques issus des expériences réalisées ont été obtenus alors que la conception était déjà assez avancée.

De plus, les résultats des expériences n’étaient pas directement applicables pour le projet Ambre. En effet, la problématique soulevée et étudiée dans la partie expérimentale était assez large et si notre première étude permet de confirmer l’intérêt d’étudier le lien entre conditions qui facilitent l’apprentissage à partir d’exemples et processus, les résultats obtenus ont une portée trop limitée pour permettre de faire des recommandations. La seconde étude visait à identifier plus précisément des facteurs qui provoque une généralisation, mais n’a pas donné les résultats attendus.

Ces difficultés peuvent être dues au fait que nous avons essayé à la fois de décrire les conditions qui facilitent l’apprentissage, en nous référant aux études déjà publiées, d’expliquer en quoi certaines conditions favorisent l’apprentissage, et de faire des prescriptions. Or ces différents aspects, très présents dans les recherches liées aux situations d’apprentissage sont assez distincts. Comme le souligne Dessus (2002), « les chercheurs en éducation débattent régulièrement à propos de description et prescription appliquées à leur domaine de travail. Décrire, c’est rendre compte, par une méthode d’observation, de la situation ou de l’activité mise en œuvre par des sujets, en identifiant leurs caractéristiques et leurs conditions d’apparition ou de changement. Prescrire, c’est préconiser la situation optimale, ou encore l’activité que les sujets devraient – ou auraient dû – mettre en œuvre compte tenu de la situation. ». Si nos recherches proposent une explication plausible de certains effets, il nous semble qu’à ce stade de la recherche, les connaissances et les résultats empiriques concernant le lien entre les conditions de présentation et la mise en œuvre des processus de généralisation sont encore trop limitées pour proposer des prescriptions. En effet, si nous avons identifié différentes variables (liées au mode de présentation des exemples, à l’activité réalisée et à la similarité entre problème) qui semblent avoir un effet sur le déclenchement de processus d’apprentissage, nous connaissons encore mal l’importance et la robustesse de ces effets, ou leurs limites de validité. De plus, la manière dont ces facteurs interagissent reste à étudier.

Par ailleurs, nous souhaitions que l’évaluation de l’impact de l’EIAH sur l’apprentissage puisse permettre d’apporter de nouvelles données permettant de préciser les conditions qui favorisent la mise en œuvre des différents processus d’apprentissage. Mais ceci n’a pas été possible. En effet, si l’EIAH Ambre-add est fondé sur des théories et des données empiriques sur la résolution de problèmes par analogie, il intègre aussi d’autres aspects plus liés au domaine d’application et propose certaines interactions, certaines formes de diagnostic et d’explication, qui ne sont pas guidées par la théorie. En conséquence, dans cette étude les résultats de l’évaluation de l’impact de l’EIAH sur l’apprentissage ne sont pas directement exploitables pour valider ou infirmer des théories et données empiriques en psychologie cognitive. Pour que l’évaluation d’un environnement informatique puisse d’avantage conduire à valider une théorie de l’apprentissage, il semble qu’il faille qu’il soit davantage fondé sur cette théorie. Ainsi, dans les systèmes (geometry tutor, lisp tutor) conçus à partir de la théorie ACT*, la conception du diagnostic et du modèle de l’apprenant des tuteurs est entièrement guidée par la théorie ACT* (Anderson et al., 1990). Il est par ailleurs possible de limiter les contraintes liées au domaine de connaissance si l’apprentissage visé est indépendant du domaine, par exemple s’il concerne le développement de compétences transversales ou métacognitives telles qu’apprendre à débattre ou à produire des auto-explications. Ainsi, le système proposé par Conati et Vanlhen (2000) a pour objectif d’encourager les apprenants à élaborer des auto-explications. Les choix de conception fondés sur les études empiriques sur les auto-explications ont été faits indépendamment du domaine et l’évaluation du système porte sur des compétences transversales. Les résultats de l’évaluation sont donc peu orientés par le domaine ; ils peuvent plus facilement contribuer à une meilleure compréhension des conditions qui facilitent l’élaboration d’auto-explications.

Enfin, comme le soulignent certains travaux en psychologie ergonomique (Long, 2000 ; Caroll, 1991, cité par Rabardel, 1995), il est difficile d’appliquer à la conception d’un logiciel des théories ou des résultats qui ont été produits sans prendre en compte ni l’activité des apprenants médiée par un artéfact ni le domaine d’application. En effet, lors de la conception de situations d’apprentissage, il semble nécessaire de prendre en considération les processus mis en œuvre par l’apprenant, mais aussi les connaissances en jeu et la question des activitésréalisées par l’apprenant lorsqu’il utilise un système. Dans le cadre du projet Ambre, nous avons essayé de prendre en considération les processus à travers les recommandations produites, les connaissances en nous appuyant sur des études en didactique des disciplines et les activités en observant l’utilisation du logiciel en classe au cours des différentes évaluations. Toutefois nous avons rencontré des difficultés à faire des recommandations cohérentes qui prennent en compte ces trois aspects, parfois contradictoires. Aussi, il semble probablement nécessaire de les prendre en compte plus précocement.

Si cette étude présente différentes limites, elle met également en évidence différentes questions de recherches spécifiques à chaque domaine, que nous avons décrit dans les discussions de chaque partie, ainsi que des questions intéressantes pour les deux domaines.