2.3. La méthode dite « active » au risque d’une méprise. « Toute ressemblance… ».

Il ne faut pas, à notre sens, chercher le moindre lien entre ce que désigne ici l’expression « méthode active » et ce qu’elle recouvre dans l’Éducation nouvelle ou École active. Il ne s’agit en aucun cas de créer les situations adéquates pour que l’élève développe une activité délibérément choisie par lui et contribuant à son développement dans toutes ses dimensions :

‘« Qu’elles s’appellent Méthode Montessori, Cousinet, Freinet ou de Winnetka, système Dalton ou Decroly, qu’elles s’appliquent à de tout jeunes enfants ou bien qu’elles s’étendent sur toute l’échelle de l’enseignement, qu’elles s’adressent plus particulièrement à l’intelligence ou qu’elles aspirent à former l’individu dans la totalité de ses fonctions, l’individu seul ou dans ses rapports de collaboration avec les autres , toutes les méthodes nouvelles ont su répondre à une loi fondamentale du jeune âge : elles satisfont ce besoin d’activité qui permet à l’enfant de s’affirmer le long de son devenir et traduit les marques distinctives de sa personnalité. En plus, avec ces méthodes, l’instruction non seulement devient chaque fois pour l’élève une occasion de vivre, de se lancer vers l’expérience en réalisant une intégration de ses dons, mais par cela même, elle l’amène à rentrer en rapport multiple avec les autres ». 50

L’ambition des pionniers de l’Éducation nouvelle était globalisante, elle visait à rendre l’individu autonome et responsable et la pédagogie active intéressait tous les aspects du développement de l’enfant.

Ce dont il s’agit ici est beaucoup plus prosaïque, il ne s’agit que de qualifier une méthode d’apprentissage de la langue étrangère qui exige de l’apprenant qu’il parle, voilà toute l’activité dont il est question. Mais reconnaissons qu’il y a un siècle cela n’était pas banal. Il convient en effet de rappeler la rupture brutale qu’a provoquée la Méthodologie Active : on s’est mis à parler en classe. Le terme actif s’oppose clairement à passif et c’est ainsi que les tenants du changement qualifiaient, au tournant du siècle, la méthodologie en vigueur. C. Puren a isolé parmi les conférences du linguiste M. Breal, recueillies par C. Schweitzer, un passage d’une communication de 1886 qui dit la radicalité du changement auquel aspirent les réformateurs :

‘« Etant donné […] qu’une langue est faite pour être parlée et doit être enseignée dans ce but, il faut renoncer à une méthode reconnue stérile. Les langues sont un exercice d’activité ; parler est un art : il est donc important de faire agir, c’est-à-dire de faire parler l’enfant dès le premier jour » 51

Changement qui s’institutionnalise au tout début du XX° siècle sans rien perdre de cet esprit de rupture comme le prouve cette phrase prononcée en 1902 par l’inspecteur général J. Firmery et également rapportée par C. Puren 52 , dans une conférence à des professeurs :

‘« il s’agit de transformer les connaissances mortes en une pratique vivante, de substituer à un savoir un pouvoir ».’

Les chantres de la Méthodologie Directe ont la conviction, historiquement fondée, qu’ils libèrent dans l’espace scolaire une puissance d’action qui en était tenue à l’écart et que cette puissance trouve sa réalisation dans la prise de parole. Certes il serait vain et totalement anachronique de chercher dans l’action dont il est question les prémices de l’ « acte de parole » de N. Chomsky. Il n’est pas question ici du langage comme producteur d’effets, du langage comme activité sociale ou cognitive mais de la langue dans sa réalité première, immédiatement perceptible, c'est-à-dire sa réalité phonique organisée. Lorsque C. Schweitzer affirme que « parler est un art », il oppose clairement l’art au savoir, et l’acquisition de la compétence linguistique ne semble étayée par rien : ni les savoirs linguistiques, ni la métalangue dans l’apprentissage ne semblent avoir de place. Mais resitué dans son contexte historique caractérisé par un enseignement fondé essentiellement sur une logique de transmission à sens unique où seule prévaut la parole du maître, on mesure la révolution que représente dans la réalité de la classe la production linguistique orale de dizaines d’élèves qu’il va falloir provoquer, organiser. Si c’est par la production orale que l’on apprend la langue, il convient d’en créer les conditions puis de contrôler, gérer son débit.

Afin de lever donc toute ambiguïté nous proposons de substituer à l’adjectif « active » celui de « productiviste » tant il est vrai que la production de langue devient la préoccupation première.

Notes
50.

Medici, A. L’éducation nouvelle.

51.

Schweitzer, C. « Conférences sur la pédagogie des langues vivantes faites à la Sorbonne par M. Breal » [compte rendu], Revue Universitaire, t. 2, 1892, p. 51. Cité par C. Puren.

52.

Op. cit. p. 132.