2.5. Méthode directe, méthode active : quelle complémentarité ?

Le but de tous les procédés évoqués est de faire parler en espagnol et que le flux ainsi créé s’enrichisse presque naturellement des alluvions qu’il trouve sur son passage au contact de la langue du document et / ou du maître. Ici apparaît clairement la complémentarité de la méthode directe et de la méthode active. Le cours proposé par les documents d’accompagnement des programmes de 5° et de 4° sur la base du texte tiré du roman de Dolores Medio et intitulé pour la circonstance « La primera clase de la maestra » fournit de nombreux exemples de cette complémentarité, nous en prendrons un.

L’une des phrases dit : « La rodean » [ils l’entourent]. Les rédacteurs considèrent que le verbe « rodear » doit être acquis par les élèves or, ces derniers ont déjà décrit la situation et ils l’ont fait avec les moyens linguistiques dont ils disposaient, l’équivalent espagnol de la tournure impersonnelle : « il y a beaucoup d’élèves, il y a une institutrice », « hay muchos alumnos, hay una maestra ». Pour que les élèves s’approprient le verbe « rodear »le professeur va poser la question de la façon la plus habile possible pour qu’elle ne prenne pas la forme d’une question mais qui revient à leur demander : « Le texte dit ce que vous dites mais il le dit mieux que vous, que dit-il ? ». Les élèves prononceront alors « la rodean »et s’ils n’en connaissent pas la signification, il revient au professeur de la fournir si possible en évitant le détour par le français :

‘« un geste peut en éclairer le sens » 62

Méthode directe : on a eu accès à un mot en espagnol sans avoir recours au français (méthode intuitive). Méthode active : l’élève n’a pas reçu passivement le verbe « rodear »et sa traduction ; il l’a employé et ce faisant, lui a donné du sens. Il conviendra maintenant de le mettre en situation, d’avoir à l’employer à nouveau (méthode répétitive).

Le fondement théorique de la démarche est sans doute à chercher chez les promoteurs de la Méthodologie directe pour qui l’effort que fait l’élève lorsqu’il intègre le verbe « rodear » dans son discours en garantit l’apprentissage. C. Puren trouve cette démonstration sous la plume de H. Laudenbach en 1907 :

‘«…l’acquisition du langage naturel est une perpétuelle « divination », et (…) l’inconvénient de la traduction, au début, est de supprimer une opération indispensable, c’est-à-dire l’effort, précisément, à la faveur duquel le mot devient véritablement le signe de l’idée et acquiert la propriété d’évoquer cette idée et d’être évoquée par elle ; (…) un mot « deviné », parce qu’il a servi à penser est nécessairement soudé au sens, tandis qu’un mot acquis par traduction d’un autre mot n’est que le reflet de ce dernier, un accessoire qui n’ayant été, à aucun moment, de la moindre utilité pour la pensée, n’a guère de raison de vivre dans le souvenir. » 63

Certes la démonstration ne manque pas de bon sens mais il faut noter qu’elle ne s’attarde pas sur les activités cognitives que recouvre le terme d’« effort », qu’elle a essentiellement pour but d’opposer un modèle nouveau à la Méthodologie Traditionnelle qui fondait l’acquisition linguistique sur la traduction. On comprend alors que, dans l’argumentation, soit privilégié ce qui est le plus emblématique de cette nouveauté pour l’époque, c'est-à-dire la manifestation sensible, tangible de l’activité de l’élève : le fait qu’il parle.

Notes
62.

Ibid. p. 24.

63.

Laudenbach, H. « Mise au point », Les Langues Modernes (5), mai 1907, p.187. Cité par C. PUREN. Op. cit. p.  132.