2.5.1. Méthode productiviste : l’impasse sur les activités cognitives qui président à la prise de parole.

Il serait anachronique de chercher dans les textes du début du XX° siècle l’analyse des processus mentaux qui se développent en amont de la prise de parole : ceux qui sont liés à la réception et ceux qui précèdent la réalisation. De même il serait anachronique de chercher l’analyse des processus de contrôle qui sont à l’œuvre lors de la réalisation. Mais force est de constater que les textes que nous avons cités font également l’économie de cette réflexion en réduisant à la seule notion de prise de parole l’ensemble de l’activité de l’élève. Or les activités de réception sont des activités à part entière qui, à l’insu ou non du professeur, se développent pendant le cours et conditionnent certainement de manière décisive les futures activités de réception en situation exolingue, les activités de production ou les refus d’activités de production en classe.

Même s’il est précisé que la reprise de tel ou tel savoir-faire de langue en conditionne la mémorisation, le principe semble acquis que l’activité de parler est une activité d’apprentissage, ce que résume sans équivoque cette phrase du rapport d’inspection déjà cité :

Il est demandé au professeur de

‘« permettre au sein de la classe discussions, échanges, communications, et en un mot apprentissage. » [C’est nous qui soulignons]’

En assimilant de la sorte des comportements – discussions, échanges, communications – et l’activité cognitive considérée dans sa globalité – apprentissage – , cette phrase met en évidence le refus net d’identifier les activités cognitives nécessaires pour accéder à la maîtrise de telle ou telle compétence linguistique et / ou langagière. Il semblerait que pour l’auteur de cette phrase ne peut être pris en compte que ce qui est de l’ordre du sensible et qu’en travaillant sur les symptômes, on provoque l’évolution. Lorsque nous examinerons la parole de l’élève dans le cours magistral dialogué, il nous faudra examiner l’extrême complexité des symptômes dans la production langagière et a fortiori dans la réception et donc leur douteuse fiabilité.

Le primat accordé à la manifestation sur les moyens à mettre en œuvre pour la produire réduit considérablement la notion même d’activité en classe. S’il est un indice de cette simplification c’est « l’homologie de la fin et des moyens » que l’on donne pour caractéristique du cours de langue vivante étrangère. Dire que dans le cours de langue les moyens sont homologues aux fins revient à affirmer que la langue cible, qui est l’objectif de l’apprentissage est le moyen utilisé pour le poursuivre. Si l’on ne prend en compte que la manifestation, on peut, peut-être, dire que c’est effectivement ce qui se passe en cours de langue, mais si l’on se penche sur les activités cognitives mises en œuvre par l’apprenant, on peut raisonnablement penser qu’elles n’ont que peu de points communs avec celles que le locuteur natif met en œuvre. Force est de constater que cette « homologie » ne semble pas questionnée or, si l’on reprend la distinction de Kraschen 64 , il nous faudra nous interroger sur la nature de l’appropriation de la langue étrangère qui s’opère dans le cours canonique d’espagnol. On pourrait très sommairement réduire l’alternative à la question : s’agit-il d’acquisition (l’appropriation se ferait alors inconsciemment, sans y prendre garde) ou d’apprentissage (l’appropriation se ferait alors consciemment, explicitement) ? Les textes semblent trancher le débat qui plaident pour « un apprentissage raisonné de la langue espagnole » mais les propositions qui sont faites dans les documents d’accompagnement et les principes de la méthodologie active qui sont conservés semblent contredire les intentions.

Notes
64.

Kraschen S. Second language acquisition and learning.