3.2.2. Scolarisation du texte littéraire et conséquences.

Ce n’est donc pas le discours littéraire qui est central mais la situation qu’il évoque où l’élève reconnaît une image du réel et on fait le pari que l’originalité de l’image, sa complexité sont de nature à susciter durablement la parole parce que c’est en parlant de l’image que l’élève s’exercera à la manipulation de la langue espagnole tout de suite. Pour ne pas différer l’objectif d’expression, et donc l’objectif linguistique, on est contraint de ne retenir que ce que le texte littéraire a prélevé du réel pour élaborer sa construction symbolique.

Les documents d’accompagnement des programmes de la classe de sixième apportent des précisions qui confirment :

‘« Dans telle classe de niveau modeste, et / ou avec tels élèves en difficulté, il est possible que dans un premier temps, on en reste au stade de la simple description ou du compte rendu et qu’il ne soit pas aisé de dépasser le niveau du constat… » 97

Un autre texte, un autre objet, une situation d’une autre nature aurait peut-être, tout aussi bien fait l’affaire et aurait épargné au professeur et aux élèves de dévirtualiser le texte littéraire. Dans un article de 1994, C. Puren dénonçait ce risque de banalisation qu’il voyait comme la conséquence des nombreux rôles qui sont attribués au texte littéraire et qui « ne peuvent qu’occulter ou ‘aplatir’ sa dimension esthétique aux yeux des élèves » 98 . Le danger est bien réel, et il nous semble qu’il ne se limite pas à la dimension esthétique ou il faut reconnaître à cette dimension un voisinage étroit avec l’éthique voire l’axiologie. La réflexion sur le rôle de l’apprenant nous fournira l’occasion de revenir à cette notion. En effet l’objet littéraire, comme nous l’avons vu, n’est pas un objet de contemplation, il est un lieu d’action du lecteur, lieu d’engagement, lieu de confrontation. L’investissement qu’il requiert n’est pas sans retombées en termes de construction du sujet dans son contact à l’autre par la médiation du récit littéraire. Evoquant les travaux de J. Bruner, M. De Carlo écrit :

‘«  C’est en partant du « principe narratif » - à savoir la capacité d’inventer des histoires, de raconter - que le psychologue américain J. Bruner circonscrit une forme particulière de la pensée, qui aide les individus à imaginer une version du monde à l’intérieur de laquelle ils peuvent trouver une place. (…) La narration – d’histoires réelles et d’histoires inventées – possède donc la vertu de garantir une unité dans le changement : les personnages gardent leur physionomie malgré les vicissitudes qu’ils traversent ; pour cette raison, elle nous aide à la fois en tant que sujets cohérents et à accepter les modifications ». 99

L’occasion qu’offre le récit, selon Bruner, d’une appropriation cognitive, et plus généralement la potentialité éducative du rapport au texte littéraire que l’on entrevoit ici contrastent fort avec le rôle de « souteneurs de parole » que leur attribuent les documents d’accompagnement des Instructions Officielles dans le premier cycle. Et rien ne permet d’affirmer qu’il en va autrement dans le second.

Notes
97.

France, M.E.N. Espagnol.Documents d’accompagnement6°, 1996, p. 6.

98.

Puren, C. Cahiers du CRIAR, 1994, p. 188

99.

De Carlo, M. L’interculturel, p. 94.