3.2.6. A la recherche de substituts.

Le texte littéraire est donc le document privilégié des manuels 110 mais le traitement qui en est fait tend à gommer son caractère spécifique. Il n’est pas étonnant dès lors de le voir en concurrence avec des textes d’un autre type. Il n’est que de voir les listes de baccalauréat présentées par les professeurs qui font apparaître une proportion non négligeable de textes non littéraires, ce qui tendrait à prouver que les professeurs s’affranchissent volontiers des recommandations. En revanche, le mode de traitement que font les candidats des textes non littéraires qu’ils présentent est le plus souvent identique. Peut-être peut-on en conclure que, pour beaucoup d’élèves et de professeurs, les difficultés de l’exercice peuvent être moins lourdes si le texte est moins complexe, moins lacunaire, plus transparent, offrant une situation préhensible immédiatement. La tendance est parfaitement compréhensible puisque, quand on utilise en classe un texte littéraire, on s’ingénie dès le premier contact à ménager des accès à un sens donné comme préexistant avec l’obsession constante de faire parler, au point que l’élaboration individuelle d’une pensée qui déboucherait sur une volonté d’expression est le plus souvent escamotée. L’ouvrage produit par le C.R.D.P. des Pays de Loire est à cet égard, sans ambiguïté, qui annonce tout de go, certes en parlant de ce que doit dire l’élève de ce qu’il a retenu du cours dans la séance suivante que

‘«C’est la langue qui est une fin, les idées ne sont qu’un moyen, important, certes, et même primordial –point de langue sans idées – ; mais elles restent un moyen pour parvenir à cette fin.» 111

En invitant les élèves à s’attacher aux situations, aux personnages, on prétend suggérer des idées qui provoqueront une production linguistique. Si tout se réduit à cette simple équation, il n’est pas surprenant que, dans la classe, le texte littéraire ayant le même rôle que tous les autres textes, le traitement de ceux-ci et de celui-là ait tendance à s’homogénéiser et que le document iconique soit massivement sollicité puisqu’il livre d’emblée la situation. Il apparaît donc souvent comme un substitut efficace du texte littéraire 112 , ce que freinent les Instructions Officielles qui considèrent, en 1994, que les textes littéraires

‘« …occupent une place privilégiée en raison de l’authenticité d’une langue d’auteur… »  113

ou en 1997, que

‘«  le texte authentique, non fabriqué à des fins didactiques, est un document privilégié car il est (…) un exemple linguistique ». 114

La situation est très paradoxale car l’art d’écrire devient secondaire mais l’appropriation de la langue utilisée reste l’objectif fondamental : Le rôle de maître de langue du texte littéraire est constamment réaffirmé.

Notes
110.

Pour leur grande majorité, ce sont des collections dirigées par des inspecteurs d’espagnol.

111.

Bedel, J.M. & al. Un regard sur… la pédagogie de l’espagnol, p. 56.

112.

Nous ne traiterons pas ici du document iconique du point de vue de son rôle car on serait amené à répéter souvent ce que nous avons dit du texte dont il est un substitut. C'est-à-dire que le traitement se fait sur le modèle du texte à la seule différence qu’il n’est pas porteur de langue écrite et qu’il reviendra au professeur de compenser. C’est la raison pour laquelle nous le traiterons plus longuement lorsque nous examinerons le rôle du professeur.

113.

Op. cit. p. 32.

114.

Op. cit. p. 27.