3.2.7. Conclusion.

Le texte littéraire n’est pas intrinsèquement déclencheur de parole. A celui qui en accepte l’investissement (parce qu’il sait ce qu’il peut en retirer), il donne accès à la création de représentations inédites qui lui sont propres parce qu’il en est le créateur et cependant étrangères car elles s’inscrivent dans une logique dont il n’est pas maître et qu’il n’a jamais fini d’appréhender. Il est donc bien dans les attributions de l’institution scolaire que d’ouvrir aux élèves – pour que ceux qui ne sont pas lecteurs le deviennent, et qu’elle accompagne le cheminement des autres – cet espace de liberté et de construction. Pour que la classe les y conduise, il faut, selon J. Bruner, qu’elle soit un lieu où :

‘«l’on objective dans le langage ce qu’on a pensé », où « l’on se penche sur ce qu’on a ainsi produit pour le considérer sous un jour nouveau » 115

et C. Tauveron ajoute que c’est un :

‘« lieu de négociation de sens, un lieu d’écoute de soi et de l’autre, un lieu de tolérance mais aussi d’esprit critique toujours en éveil : un lieu d’intersubjectivité. » 116

Les auteurs posent bien comme préalables d’abord que la lecture littéraire ne peut rester extérieure à l’élève, deuxièmement, qu’elle n’est possible que si le lecteur a la conviction qu’il lui revient de construire le sens.

L’utilisation intensive du texte littéraire dans la méthode active qui prévaut dans l’enseignement de l’espagnol et qui vise essentiellement à susciter et entretenir la parole de l’élève, conduit les enseignants, les manuels, à fournir des outils variés pour faciliter l’accès au sens mais, ce faisant, le rapport au lecteur que la littérature exige pour exister vraiment s’en trouve considérablement dénaturé. La littérature du cours d’espagnol n’est plus qu’un si pâle reflet de la littérature que l’élève lecteur ne peut y trouver le plaisir qu’il éprouve hors de l’école et que celui qui n’a pas accédé à cette dimension de l’activité humaine risque fort d’en être éloigné un peu plus. Et c’est peu dire que cette question n’intéresse pas seulement l’espagnol. L’évolution récente de l’enseignement du français, la mise en place de nouvelles pratiques de lecture montrent que le souci est de donner à l’élève lecteur « le sens de la lecture » mais « les progrès sont lents », selon A. Rouxel, auteure d’une enquête auprès de lycéens et qui affirme :

‘« Une majorité d’élèves ne se situent pas en tant que lecteurs actifs » 117 .’

Il est à craindre que l’approche du texte littéraire déclencheur de parole en espagnol, ne favorise pas l’évolution du lecteur scolaire que tente d’impulser l’enseignement de la littérature.

Notes
115.

Bruner, J. Culture et mode de pensée. L’esprit humain dans ses œuvres.

116.

Tauveron, C. Lire la littérature à l’école, p. 21.

117.

Rouxel, A. Enseigner la lecture littéraire.