3.3. Le texte d’auteur littéraire maître de langue.

3.3.1. Exemplaire.

S’il est une notion récurrente dans les Instructions Officielles d’espagnol dès lors qu’il s’agit d’acquisition de la compétence linguistique : c’est celle d’exemple. Il ne s’agit aucunement de l’exemple au sens d’occurrence, le texte proposé serait alors exposé comme un échantillon pour faire appréhender un savoir ou un savoir-faire dont il serait une objectivation. Les Instructions Officielles entendent proposer à l’élève un exemple à suivre, un modèle à imiter, on trouve d’ailleurs indifféremment les deux termes et s’il persistait quelque doute quant au sens que prend l’exemple dans ces textes il suffirait de souligner l’omniprésence des adjectifs « exemplaire » et « modélisant » qui, eux, renvoient sans ambiguïté au sens de modèle à suivre. Et en matière de compétence linguistique, le texte d’auteur, littéraire de préférence, est un parangon. Dans les textes définissant les objectifs de lycée, on parle de « l’espagnol modélisant des auteurs » 118 et dans les documents d’accompagnement des programmes de 5° et de 4°, c'est-à-dire un document beaucoup plus récent, le premier argument qui plaide en faveur de l’emploi des « textes authentiques » c’est qu’ils sont d’abord : « un exemple linguistique » et, entre parenthèses, il est précisé qu’ «  aucun professeur ne peut ici avoir la prétention d’être en tout point exemplaire. » 119

Les auteurs de Regard sur …la pédagogie de l’espagnol, explicitent encore les Instructions Officielles en précisant que le texte doit être le « support » 120 privilégié parce qu’il est le seul type de document porteur de langue, parce que l’élève a besoin d’un référent modélisant et parce que c’est un garde fou contre la « dénaturation », l’espagnol « frelaté » 121 .

Si aucune théorie de l’apprentissage n’est explicitement invoquée, il n’est pas douteux que les rédacteurs des trois textes fondent leurs recommandations sur un modèle transmissif qui n’est – ou n’était – pas propre aux langues vivantes étrangères. Nous reviendrons sur les modalités de la transmission mais il convient de s’interroger préalablement sur la nature du savoir à enseigner.

Empruntant le terme de pratique sociale de référence à J.L. Martinand 122 , M. Develay, dans son ouvrage De l’apprentissage à l’enseignement invite son lecteur à se demander :

‘« Quel est le domaine empirique qui constitue le fond d’expérience réelle ou symbolique sur lequel viendra s’ancrer l’enseignement ? » 123

Les activités sociales qui semblent servir de référence aux auteurs des textes officiels régissant l’enseignement de l’espagnol ne sont pas celles auxquelles se réfèrent les élèves et leurs familles pour qui naturellement la finalité première de l’apprentissage en milieu scolaire est la maîtrise d’une langue usuelle, maîtrise dont ils perçoivent confusément les contours mais dont le noyau est l’efficacité minimale de l’acte communicationnel.

‘« Ainsi le savoir à enseigner dans la plupart des disciplines a-t-il comme ascendants des savoirs savants et des pratiques sociales de référence. » 124

Certes il serait excessif de prétendre que selon les textes officiels l’écriture littéraire est la pratique sociale de référence de l’enseignement de l’espagnol, en effet si le texte d’auteur littéraire est privilégié, il n’est nullement exclusif. Cependant force est de constater qu’en filigrane, l’enseignement que préconisent les textes renvoie à une pratique sociale de référence qui n’est pas désignée, dont on peut dire qu’elle a de forts liens avec l’écrit, qu’elle n’est pas l’écrit en espagnol mais que le savoir à enseigner y est en action plus qu’ailleurs, qu’il y prend une forme d’excellence, et que c’est dans l’écrit qu’on peut dégager la norme à laquelle il doit être rattaché. Nous avons écrit « en action », car ce serait bien d’abord un savoir-faire. Ce sont en quelque sorte les gestes que la langue fait dans un contexte écrit qu’il revient à l’élève d’imiter.

Les professeurs eux-mêmes ne sont pas habilités à proposer aux élèves un exemple aussi indiscutable que celui que propose le texte. Situation paradoxale d’un mode de transmission du savoir vertical qui dénie au professeur la possibilité d’en être possesseur. On admettra, quand le document sera iconique, qu’il revienne au professeur de produire lui l’exemple à suivre. De quelle pratique de référence cette langue orale procèdera-t-elle ? De l’écrit ? D’une pratique orale socialement située ? La réponse qu’apporte le texte officiel est qu’ « elle doit être modélisante, ce qui signifie qu’elle doit être correcte… » 125

Il n’est pas écrit que la langue du professeur doive être modélisante comme celle du texte, mais dans un système qui repose sur l’imitation, il semble difficile que l’on donne à imiter des modèles différents. Le raisonnement s’épuise alors à proposer une imitation d’un objet qui n’est pas fini. Certes le modèle indiscutable est le texte mais bien évidemment, ce n’est pas le texte qu’il faut imiter. Il faut donc y débusquer, pour les mettre en contact avec l’élève, ce que les auteurs de Un regard sur… appellent les « mécanismes élémentaires » :

‘« Admettons donc, en restant réalistes, que notre but scientifique ne peut que difficilement, dans la plupart des cas, viser au-delà d’une appréhension des mécanismes linguistiques élémentaires. C’est déjà une base non négligeable qui pourra servir de tremplin pour un approfondissement ultérieur, si le besoin s’en fait sentir (…) mais dans un tel système d’apprentissage, la richesse du texte est indispensable, et c’est cette nécessité qui impose, souvent, la langue littéraire. » 126
Notes
118.

Op. cit., 1994. p. 49.

119.

Op. cit. p. 23.

120.

Nous respectons la terminologie des auteurs.

121.

Bedel, J.M. & al. Un regard sur… la pédagogie de l’espagnol, p. 35.

122.

Martinand, J.L. Connaître et transformer la matière.

123.

Develay, M. De l’apprentissage à l’enseignement, p. 23.

124.

Ibid. p. 24.

125.

France, M.E.N. Accompagnement des programmes de 5° et 4°, p. 19.

126.

Op. cit. p. 36.