3.3.4. Conclusions provisoires sur l’acquisition linguistique par le texte littéraire.
Puisque les Instructions Officielles d’espagnol, les documents d’accompagnements, les textes qui se réclament de la tradition didactique de l’espagnol, font du commentaire du texte d’auteur littéraire l’exercice clef de l’apprentissage scolaire de l’espagnol, on peut lire dans le mode d’acquisition du système linguistique qui y est préconisé un certain nombre de principes que d’autres préconisations nuanceront peut-être, que nous regarderons à l’œuvre du point de vue de l’apprenant et du point de vue du professeur mais qui peuvent pour l’instant se résumer ainsi :
-
L’apprentissage de la langue en classe serait, au moins initialement, essentiellement « exogène ». Dans le souci de ne pas enseigner artificiellement des unités linguistiques (la réaction à la première génération de la méthodologie audio-visuelle fortement influencée par un structuralisme étroit, est ici aussi évidente qu’étonnamment pérenne), on les fait appréhender par l’élève dans leur contexte écrit. Une fois le tri opéré, la spécificité de la situation portée par le texte est le seul lien de sens possible entre les « apports ». Puisqu’il est recommandé d’ « aplanir les difficultés linguistiques »et que ce sont « les apports » du texte que l’élève devra prioritairement mémoriser, l’apprentissage linguistique par le texte tel qu’il est recommandé accélère, voire réduit ou interdit l’investissement par l’apprenant de l’espace textuel, la construction individuelle du sens, non seulement du sens global du texte, mais de la construction linguistique.
- L’apprentissage serait « cumulatif ». La langue serait un inventaire de formes qu’il faudrait débusquer dans des situations où elles sont sémantiquement très chargées puis mémoriser selon une progression décidée de l’extérieur par le maître. Le choix en serait d’autant plus délicat qu’il y aurait, dans le système linguistique des « structures de base », une espèce de noyau dur. Ces principes sont en totale contradiction avec nombre de recherches menées sur l’observation de l’acquisition de langue étrangère qui sont à l’origine du concept d’ « interlangue »
135
, phase évolutive dans le développement de la compétence linguistique sur laquelle nous reviendrons longuement. Certes la plupart de ces recherches porte sur l’acquisition linguistique en situation exolingue, or dans la classe de langue l’alloglotte n’est pas confronté (ou très rarement) à un locuteur natif. Mais l’apprentissage guidé d’une langue étrangère, quelles que soient ses conditions est, selon les mots de W. Klein, « comme une tentative pour domestiquer un processus naturel »
136
, la dynamique du processus ne saurait donc procéder d’une construction préexistante extérieure au sujet. Si de surcroît, on souscrit à l’hypothèse des cognitivistes que l’apprentissage se fait par l’action en langue étrangère autant qu’ailleurs, alors notre réflexion sur le rôle du texte, sur les postulats que l’examen de ce rôle permet de mettre à jour débouche sur le constat que l’apprentissage dans le cours traditionnel d’espagnol avec texte de base relève du courant de pensée behavioriste. Hypothèse surprenante dans la mesure où précisément, l’ellipse méthodologique que nous avons évoquée plus haut, s’expliquait, entre autres raisons, par le refus de l’inspection d’espagnol de souscrire aux principes théoriques de la méthodologie audio-visuelle dont la première génération s’appuyait largement sur la théorie béhavioriste.
-
La langue écrite contiendrait le matériau constitutif de la langue orale. Si cette hypothèse se confirme en classe (nous le vérifierons au chapitre 4 ), il nous faudra nous interroger sur la nature du matériau qui informe la langue orale qui s’y parle, sur le postulat qui apparaît en filigrane dans les Instructions Officielles jusqu’à une date récente que la classe peut, au mieux, oraliser l’écrit or, oraliser l’écrit ne saurait aboutir à une maîtrise de l’oral si l’on entend par là une maîtrise de réception et de production orales dans l’interaction exolingue.
-
La réception du message écrit est négligée au profit de la production orale. Nous avons vu que le texte déclencheur de parole devait livrer son sens pour rendre possible l’activité de production orale et que, s’il le fallait, il revenait au professeur de lever les obstacles. La priorité donnée à l’expression orale à partir de textes écrits que l’on veut complexes mais dont la compréhension ne fait pas l’objet d’un travail spécifique n’aura-t-elle pas pour conséquence de confisquer le sens aux élèves les moins outillés et de les contraindre à s’exprimer non à partir du texte mais à partir de l’écho qui leur en parviendra via le professeur, l’appareil pédagogique mis à sa disposition (illustrations comprises) ou les pairs ? Outre qu’encore une fois les comportements observables soient les seuls pris en compte sans que jamais ne soit suggérée quelque interrogation sur la « boîte noire », l’automaticité compréhension / réception – en dehors des questions de psychologie et de psycho-socio-linguistique qu’elle pose – semble postuler, contrairement aux recherches dont fait état W. Klein, que les connaissances syntaxiques de production sont les mêmes que les connaissances syntaxiques de réception.
Notes
135.
Selinker, L. Interlanguage, p. 209-231.
136.
Klein, W. L’acquisition de langue étrangère.