3.4.3. La culture dont est porteur le texte littéraire se réduirait-elle à sa réalité de référence ?

Considérer que l’apport culturel d’un texte littéraire se réduit à la réalité de référence dont fait usage l’auteur est un choix dont il nous faut préciser les conséquences car la situation de dialogue qui se noue, dans une situation « normale » extrascolaire, entre le scripteur et son lecteur est en quelque sorte détournée de son objet. Pour entrer en empathie avec le personnage de Quevedo je dois partager pour une part avec le scripteur un savoir de référence. Utiliser ce texte pour accéder à ce savoir, c’est instrumentaliser l’objet littéraire qui se trouve subordonné à un savoir qui ne prétendait pas à l’universalité. Si la lecture littéraire est une co-construction de sens entre le lecteur et le scripteur, que dire de cette page dont le sens non seulement préexiste à la lecture mais est en quelque sorte rigidifié pour servir de passerelle vers un savoir civilisationnel qui y serait en dépôt ? Ce savoir civilisationnel entre-aperçu dans les interstices de la fiction et que tout lecteur natif informé lirait comme une interprétation de l’histoire prend ici un statut singulier : il devient dans la terminologie traditionnelle de la pédagogie de l’espagnol : l’objectif culturel 144 . En d’autres termes, lorsqu’on veut voir dans l’oeuvre littéraire un savoir civilisationnel à faire acquérir, non seulement on nie sa littératuralité mais de surcroît, l’image que donne l’auteur de la réalité de référence devient la réalité de référence. La confusion ainsi créée nous paraît des plus graves dans la mesure où l’institution scolaire amalgame de la sorte des ordres d’activités mentales qui sont de natures différentes et qui ne sont constructrices que dans la mesure où elles sont complémentaires. Cette question du détournement à des fins didactiques du document d’appui du cours déborde largement le cas du texte littéraire. Le rabotage qui est à l’œuvre dans le traitement du texte littéraire pourrait être démontré dans l’utilisation de nombreux autres documents d’appui. Nous nous contenterons de dire ici que leur simple présentation en est déjà le signe. Si certains manuels récents 145 , et il faut certainement voir là l’indice que la question n’est pas secondaire, introduisent leurs chapitres thématiques par des dossiers d’informations sur des réalités objectives clairement distincts des pages consacrées à l’utilisation de reproductions de créations artistiques, d’autres s’emploient à faire établir par leur lecteur élève mille liens sans se préoccuper de la nature des objets reliés et de leur fonctionnalité sociale : tel texte poétique voisine avec une photo qui surmonte un tableau statistique lui-même accompagné d’un dessin inédit créé pour la circonstance. Parce qu’ils sont organisés dans l’espace page, parce que cet espace est nécessairement structurant – ou déstructurant mais toujours créateur de rapports de sens – les multiples documents, de nature et de qualité inégales sont, comme le texte littéraire, recréés par leur traitement. Le voisinage dans le même espace de textes écrits de types différents (poétiques, narratifs, prescriptifs etc.), de documents iconiques de types différents (reproductions, elles-mêmes très différentes, d’oeuvres picturales, de dessins, de photos etc.), de documents scripto-iconiques de types différents, tend à prouver qu’on se préoccupe davantage du savoir savant visé que des moyens pour y accéder. En effet, dans l’hypothèse où le lecteur résisterait à la tentation de les assimiler tous, il n’est pas douteux pour lui qu’ils se donnent comme des démarches différentes pour accéder à un savoir objectif. Les modes d’expression semblent retenus davantage pour la zone du savoir qu’ils éclairent que pour le type d’éclairage qu’ils offrent, davantage pour acquérir un savoir que pour maîtriser un savoir-faire.

L’observation de quelques manuels ne saurait permettre de conclure qu’il s’agit là de préconisations officielles. En revanche les utilisations que proposent les textesd’accompagnement des Instructions Officielles du collège de documents autres que les textes littéraires, les savoirs qui sont visés, fournissent de nombreuses informations.

Notes
144.

L’occurrence, à notre sens la plus frappante, de l’emploi de cette terminologie est offerte par les recommandations du jury de Capes d’espagnol qui invite les candidats à dégager d’un dossier habituellement composé de documents textuels et iconiques « les objectifs linguistiques, culturels, cognitifs (sic.) et civiques ».

145.

Le manuel de Première de la série «¿ Qué pasa ? », sous la direction de C. Puren, Nathan, Paris, 1994, s’organise en quatorze dossiers de civilisation dans lesquels se distinguent clairement ce que les auteurs appellent les «  documents-amorces », les « documents-informations », les « documents-témoignages ».