3.5.2. Exemple d’un texte non littéraire.

Parmi les propositions de cours que font les rédacteurs des documents d’accompagnement des Instructions Officielles, il en est qui prennent appui sur des documents qui n’ont aucune prétention culturelle. Si l’exemple qui suit illustre le rôle que l’on entend faire jouer à un document textuel non littéraire, il permet, en modifiant la perspective de jeter un autre éclairage sur la conception du rôle du texte littéraire dans l’apprentissage de l’espagnol.

Para viajar a dedo 158 Pour voyager en autostop
Conviene tener en cuenta algunos detalles :
Escoger siempre sitios con buena visibilidad y horas con tráfico fluido (lo importante es ser visto).
Evitar apearse en autopistas (es prácticamente imposible que os cojan ahí).
En general a los conductores les gusta ir acompañados. Conviene ser gratos y dar una conversación amena (1) al conductor, si es posible.
Viajar chico y chica, siempre es lo mejor. ¡La pareja sigue inspirando confianza ! Las chicas solas lo tenéis bastante fácil pero conviene que miréis bien antes de entrar en un coche : a veces es mejor esperar unos minutos más que ‘meterse’(2) en cualquier sitio.
Cuidaros de llevar equipajes pequeños y adaptables a cualquier coche.
Las gasolineras y restaurantes de carretera son lugares ideales para contactar con los conductores sobre todo con los camioneros, que acostumbrados a viajar solos, siempre suelen agradecer la compañía (bueno… hay de todo ).
Cuidar la presentación personal, ‘la pinta’(3), antes de poneros en la carretera. Os puede ahorrar unas horas el ir un poco arreglados y limpios.
Guía útil para viajar, Comunidad de Madrid, 1986.
amena : agradable
meterse : se fourrer
la pinta : l’allure, la tenue
Il convient de prendre en compte quelques détails :
Toujours choisir des endroits avec une bonne visibilité et des heures où la circulation est fluide (ce qui est important c’est d’être vu).
Eviter de se mettre sur des autoroutes (c’est pratiquement impossible de vous y prendre).
En général les conducteurs aiment bien être accompagnés. Il convient d’être agréable et de maintenir avec le conducteur une conversation plaisante, si c’est possible.
Voyager en couple, c’est toujours mieux. Le couple inspire encore confiance ! Pour vous les filles seules c’est plus facile mais il faut que vous fassiez très attention avant d’entrer dans une voiture : il vaut mieux quelquefois attendre quelques minutes de plus que de se fourrer n’importe où.
Ayez soin d’emporter des bagages petits et adaptables à n’importe quelle voiture.
Les stations service et les restaurants qui sont en bordure de route sont les endroits idéaux pour entrer en contact avec les conducteurs et surtout avec les camionneurs qui, habitués à voyager seuls, sont toujours heureux d’avoir de la compagnie (Bon enfin…il y a de tout).
Soigner sa présentation personnelle, son allure avant de s’installer sur la route. Etre à peu près bien habillé et propre peut vous faire économiser quelques heures.
Guide utile pour voyager, Comunidad de Madrid.

Ce texte est proposé en classe de troisième, LV1, donc dans le courant de la quatrième année d’étude de la langue. Il nous est dit qu’il est extrait d’une revue pour jeunes. Les rédacteurs éprouvent le besoin de préciser qu’il ne se prête pas à une « approche littéraire » ni à des « commentaires développés ». La précision nous paraît d’autant plus intéressante qu’elle est argumentée :

‘« …il [le texte] est en effet, très explicite ». 159

Ce texte est donc un mauvais déclencheur de parole parce qu’il est univoque, parce qu’il ne résiste pas à la compréhension. Et le texte officiel d’en conclure :

‘« C’est pourquoi le professeur doit adopter une approche différente de celle mise en œuvre pour d’autres types de documents ». 160

Or si l’on examine les recommandations d’utilisation qui sont faites de ce texte, on remarque que rien ne les différencie fondamentalement de celles qui s’appliquaient aux textes littéraires si ce n’est qu’il est conseillé de ne pas faire durer trop longtemps le travail. En effet la première phase est une lecture magistrale, la seconde phase un exercice de compréhension générale dont on rend compte à l’oral et la troisième sert à expliciter, toujours à l’oral, ce que le texte recommande, voire à apporter des justifications. En fin d’heure on procède à des manipulations linguistiques. Le commentaire est certes beaucoup plus bref mais il reste un commentaire. Aussi est-il légitime de se demander pourquoi ce texte est maintenu alors qu’il ne permet pas de satisfaire les ambitions didactiques et pédagogiques des auteurs. Ces derniers fournissent la réponse dans le bilan qu’ils dressent de la leçon :

‘«-  Réemploi et / ou acquisition d’un lexique pratique : viajar a dedo, cuidar la pinta, llevar equipajes, escoger, ir arreglados y limpios, etc. [voyager en stop, soigner son allure, porter des bagages, choisir, être bien mis etc.]
Emploi des relateurs : primero [d’abord], luego [ensuite], además [de plus], también [aussi], etc.
Construction de l’infinitif : régime des verbes (conviene + infinitif).
Formation et emploi de l’impératif et de la défense (tutoiement, singulier et pluriel). » 161

Outre qu’il aborde un thème susceptible d’intéresser des adolescents, la réponse est donc que ce texte apporte un contenu linguistique d’un registre peu exploité dans les textes littéraires. Ce nouveau substitut n’est pas déclencheur de parole mais maître de langue et cependant, bien qu’il soit en effet à mille lieues du maître de langue qu’est le texte littéraire, sa spécificité n’est pas prise en compte au moment d’en exploiter l’expression. Ce texte a en effet une claire fonctionnalité sociale, il crée entre son lecteur et son scripteur une interaction forte, il est clairement prescriptif or les rédacteurs lui reconnaissent tout au plus un caractère informatif :

‘« Ce texte rapidement écrit pour donner quelques conseils pratiques, est d’un accès d’apparence facile…il est en effet très explicite…Ces caractéristiques sont communes à la plupart des textes “informatifs” ». 162

A aucun moment la situation d’énonciation n’est prise en considération au point même que l’objectif linguistique est tellement décontextualisé que le savoir à acquérir n’est pas celui qui est en dépôt dans le texte. La traduction que nous avons proposée des infinitifs espagnols n’est pas satisfaisante car nous avons tantôt fait appel à l’infinitif français (éviter) tantôt à l’impératif (ayez soin). C’est que comme le dit sans ambages M. Benaben :

‘« …l’infinitif espagnol n’est pas de même nature que l’infinitif français. » 163

D’une part, il est donc impossible de rendre compte de la spécificité de cet infinitif personnel qu’est : « cuidaros »[ayez soin], d’autre part les infinitifs impersonnels ont comme en français valeur d’impératif. Aussi lorsque le texte préconise comme consigne en fin de cours de « transformer les infinitifs en impératifs », il met en évidence que le choix qui s’est porté sur ce texte est davantage dû aux caractéristiques formelles des unités linguistiques qui s’y trouvent qu’au sens qu’elles prennent dans le contexte créé par la revue qui le publie. Le rôle que doit jouer le texte dans le cadre du cours canonique d’espagnol n’est possible que s’il se départit de sa fonctionnalité sociale. Le paradoxe est fort qui fait apparaître que le sens du texte importe peu mais qu’il est essentiel que les connaissances linguistiques à acquérir soient découvertes dans un texte. Ce texte est un bon substitut du texte littéraire dans la mesure où l’on peut s’affranchir plus librement encore qu’on ne l’a fait dans l’utilisation des documents précédemment étudiés des contingences propres au genre pour poursuivre un objectif précis (ici lexical et de morphologie verbale) d’apprentissage linguistique via l’expression orale.

Notes
158.

France, M.E.N. Accompagnement des programmes de 5° et 4°, p. 33.

159.

Ibid. p. 34.

160.

Ibid.

161.

Ibid.

162.

Ibid.

163.

Benaben, M. Manuel de linguistique espagnole, p. 150.