4.2. Le cours magistral dialogué à partir de document, un exercice périlleux.

S’il fallait retenir de nos analyses précédentes un point essentiel qui les reliât à ce nouveau chapitre, on évoquerait ce postulat maintes fois pressenti derrière la notion de document « déclencheur de parole » que c’est en parlant l’espagnol en cours d’espagnol qu’on apprend à parler l’espagnol et qu’on peut arriver à une réelle maîtrise de la langue. Nous avons vu que pour être « déclencheur de parole » en classe, il faut que le document soit dépouillé de sa fonction sociale. L’examen des rôles respectifs du professeur et des élèves nous amène à nous interroger sur la parole elle-même. Car s’il est dit dans les Instructions Officielles, comme nous l’avons cité plus haut, qu’en espagnol « on ne parle pas pour ne rien dire », peut-être peut-on se demander ce qu’on dit quand on est élève et que l’on « parle en langue étrangère » dans le cadre du cours magistral dialogué et pourquoi on le dit, se demander si cela fait progresser la compétence langagière en espagnol, (voire en langue première.) et en quoi. Ces questions ne sont aucunement abordées par les textes officiels et leurs annexes. Elles nous semblent pourtant centrales.

Afin de prendre la mesure des contradictions qui habitent le cours magistral dialogué d’espagnol nous ne prendrons qu’un exemple : l’expression citée ici laisse entendre que la préoccupation linguistique ne peut être première lorsqu’un élève est amené à parler, que le contenu est essentiel. Mais cette question est beaucoup plus complexe que ne le laisse entendre les textes cités et, quoiqu’en disent les textes, les réponses apportées par le cadrage du cours canonique beaucoup moins tranchées.

La situation originale de l’enseignement - apprentissage des langues en milieu institutionnel est l’homologie des fins et des moyens. L’objet de l’apprentissage est en même temps le moyen de l’apprentissage. Cette situation entraîne immanquablement une dichotomie dans l’esprit de l’apprenant que Pierre Bange nomme « bifocalisation » expliquant que l’attention de l’apprenant se focalise alternativement selon le contexte sur le contenu de la communication et sur le code, c'est-à-dire les moyens linguistiques à mettre en œuvre.

‘“le focus de l’attention des élèves se trouve de ce fait porté vers la langue, vers les moyens de la communication et non vers ses buts. La bifocalisation propre à la communication exolingue change de nature: l’objet thématique de la communication n’est plus au centre de l’attention; celle-ci se focalise sur la langue, l’objet thématique de la communication est rejeté à la périférie, il n’est plus qu’un prétexte.” 179

Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question mais d’ores et déjà on voit que l’intégration didactique de tous les apprentissages sur un seul objet support et dans une seule activité de commentaire conduit à mêler l’objectif d’apprentissage linguistique et l’enjeu communicationnel dans un exercice où ils semblent exclusifs l’un de l’autre. Mais qu’à cela ne tienne, le cours magistral dialogué d’espagnol relève le défi et va exiger de ceux qui le mettent en oeuvre d’agir en conséquence. C’est cet exercice de corde raide qu’il nous revient d’examiner. Dans cet exercice périlleux parce qu’opaque dans ses objectifs, périlleux parce qu’il tend à conférer au professeur un rôle complexe et démesuré, se joue un apprentissage que nous tenterons de décrire et d’analyser.

Notes
179.

Bange, P. Á propos de la communication et de l’apprentissage de L2, p. 73.