4.4.4. Produire des idées ?

Dans un raccourci saisissant à l’intérieur même d’une parenthèse qui se veut explicative on trouve sous la plume d’un inspecteur la loi selon laquelle « l’idée induit la langue » 204 . La formulation exclut que le verbe « induire » signifie ici : trouver par induction ; il signifie plus probablement « amener ». Puisque l’idée est une représentation que l’on élabore par la pensée et que selon la loi édictée cette représentation produit ipso facto chez l’apprenant le désir de la verbaliser, et que c’est cette matière verbale qui constitue l’objet du cours, il suffit de provoquer cette étincelle (nous avons vu que la mise en scène y participait) qui fait jaillir l’idée. Peut-être le simplisme de l’affirmation est-il à mettre sur le compte d’une stratégie pédagogique quelque peu expéditive mais, outre que le rapport entre langue et pensée ne semble pas être interrogé, on peut en déduire deux enseignements :

‘« Que dire de cette feuille rébarbative, tirée d’on ne sait où » 205

Ici le concept d’idée s’oppose à la vulgarité du pratique, du fonctionnel. Si toute interaction langagière est d’abord une transaction, nombre d’écrits officiels d’espagnol ne veulent voir que l’objet de la transaction langagière. Mais est-ce que le contenu du support est toujours l’objet de la transaction ?

  • La focalisation sur la seule verbalisation d’une représentation fait l’impasse sur tous les processus internes et externes qui conduisent l’individu élève à user de la langue dans le contexte de classe pour réaliser un acte de parole. Que surgisse une idée, les motivations qui président à la décision de la verbaliser en contexte de classe, les procédures mises en œuvre dans l’exécution sont ce qui va conditionner l’apprentissage et non la seule manifestation sonore de cette idée.

Il n’en reste pas moins que si la représentation que se fait l’apprenant au contact, médiatisé par le professeur, du document est ce qui assure la dynamique de la séquence d’apprentissage, elle n’est pas sans rapport avec la composante socio-affective de la situation didactique dont parlait P. Meirieu dans le texte cité plus haut. Car, que l’apprenant soit séduit par le thème proposé et n’est-ce pas toute la dynamique qui se met en place ? Si l’on observe le cours Lycée 1, on constate que les propositions interprétatives des élèves se suivent à un rythme soutenu :

E 36

P 37
E 38

P 39
E 40
P 41
E 42



P 43
E 44
P 45
E 46
P 47
E 48
P 49
E 50
P 51

También hay un contraste entre las formas↓ ₪heu₪+ en efecto ₪heu₪+ el ₪heu₪+.
la parte oscura ↑
la parte oscura está rectang es rectangular, rectangular↑ rectangular ₪heu₪ mientras que la parte
[la pelota
la pelota + está re es redonda
Muy bien muy bien o sea doble contraste sí ↓
₪heu₪ el contraste mostra . ₪heu₪.que el ₪heu₪ este document este documento parece mucho a un ₪heu₪ publicidad que ₪heu₪ había ₪passé↑₪ pasado↑ pasado↓₪heu₪ en la televisión ₪heu₪ es la publicidad de Volkswaguen
ah sí sí es es verdad
y ₪heu₪ talvez se ₪heu₪
sea
sea ₪j’voulais dire muestre 
ha muestre bien
muestre ₪heu₪ un ₪heu₪ un cambio ↑
ha ha bien bien bien
cambio ₪heu₪ en la vida \
bien..la idea de cambio es interesante + o de cambio o quizá de oposición también que has dicho tú bien interesante sí..alguien quiere intervenir también ↑ de manera general ↑ Sí ↑ sigues ↑

La production des élèves est réelle et elle est encouragée en permanence par le professeur qui ne cesse de porter des jugements positifs sur les idées émises :

41 : « Muy bien muy bien o sea doble contraste + sí ↓» [très bien, très bien, donc double contraste, oui ↓] , 43 : « ah sí sí es es verdad »[Ah oui, oui, c’est vrai], 51 : «bien..la idea de cambio es interesante o de cambio o quizá de oposición también que has dicho bien interesante sí..alguien quiere intervenir también de manera general↑ Sí ↑» [bien..l’idée de changement est intéressante, de changement, ou peut-être d’opposition comme tu as dit, bien, intéressant, oui, quelqu’un veut intervenir aussi, de façon générale↑ + oui↑].

Il n’est pas douteux dans le cas qui nous occupe que sur le plan socio-affectif le professeur soit parvenu à mobiliser les élèves et l’enjeu est d’importance car comme le laissent entendre les textes prescriptifs que nous avons cités, le travail d’apprentissage linguistique, voire langagier, ne peut se faire que dans le sillage de ce bateau amiral et selon qu’il y aura adhésion ou non au contenu, les conditions seront réunies ou pas pour l’apprentissage. On mesure alors la responsabilité du professeur dont le but premier, au moins chronologiquement, n’est pas, aux yeux des élèves, de les aider à maîtriser l’espagnol mais de les conduire à se laisser habiter par le document d’appui :

‘« L’habileté du professeur à intéresser les élèves à une analyse minutieuse et pertinente du texte est tout à fait remarquable. » 206

Mais lorsque P. Meirieu évoque les conditions à remplir pour qu’il y ait « situation didactique » et qu’il aborde le « champ socio-affectif », il recommande de s’assurer que la « consigne-but est effectivement susceptible de mobiliser le sujet. » or, dans le cas décrit, s’il y a tentative de mobilisation du sujet, elle n’est pas préalable à l’activité d’apprentissage, elle est mêlée à elle. D’autre part, la mobilisation socio-affective ne porte pas sur la modalité d’action ( consigne-but)mais sur le cadre (la situation proposée par le document) dans lequel se déroulera une action de commentaire. Cette dernière n’est pas questionnée, elle semble constitutive du contrat didactique qui lie les apprenants et le professeur d’espagnol.

Voilà qui réduit considérablement les domaines où peuvent surgir les idées et qui en conditionne passablement l’expression. On peut se demander par exemple quelle est la part de spontanéité, de surgissement soudain de l’idée et quelle est la part du savoir-faire routinier du commentaire dans les unités 36, 37, 38 que nous avons reproduites ci-dessus :

‘« También hay un contraste entre las formas↓ ₪heu₪+ en efecto ₪heu₪+ el ₪heu₪+».[il y a également un contraste entre les formes, en effet, le ]
« la parte oscura ↑» [la partie sombre]»
«la parte oscura está rectang es rectangular, rectangular↑ rectangular ₪heu₪ mientras que la parte»[la partie sombre est rectang- est rectangulaire, rectangulaire ou-en français- rectangle rectangulaire tandis que la partie...]’

Cultiver l’idée dans le cadre d’une activité collective de commentaire en milieu scolaire, ce n’est peut-être pas libérer l’adolescent comme le prétendent, à notre avis ingénument les Instructions Officielles de 5° et 4°. On ne se laissera pas abuser par le terme de communication qui apparaît dans le texte puisqu’il s’agit bien de l’inscrire dans le cadre du commentaire de document, les exemples qui suivent la citation reprise par les documents d’accompagnement en attestent :

‘« … le plaisir de comprendre et de s’exprimer, lié à la découverte de réalités nouvelles est, pour les adolescents, une motivation déterminante. C’est pourquoi il est important de les impliquer dans des situations de communication qui les motivent et les incitent à communiquer en leur proposant des documents de qualité et de toute nature adaptés à leur maturité. » 207

Et si ce n’est pas libérer l’adolescent, c’est à coup sûr exiger de lui une métalangue en langue étrangère qui risque fort de ramener sur l’exercice scolaire sa propre finalité. Nous reviendrons à cet aspect lorsqu’au terme de cette analyse nous tenterons de caractériser la langue produite dans le cadre du cours canonique d’espagnol. Car c’est bien de production de langue dont il s’agit. Les auteurs de Un regard sur la pédagogie de l’espagnol le disent crûment : les activités de commentaire sont le socle même de la pédagogie de l’espagnol mais elles n’en sont pas le but, l’objectif primordial est: « l’enseignement de la langue ».

Nous allons donc analyser cette « langue », les conditions de sa production, les actions réalisées par le professeur et celles qu’elles induisent chez l’élève.

Notes
204.

Rapport d’inspection n° 5.

205.

Rapport d’inspection n° 3.

206.

Rapport d’inspection n° 1.

207.

Op. cit. p. 23.