5.2. Reproduire ou répéter ? Leçon : qu’est-ce qu’il faut savoir ?

L’évaluation qui s’organise à l’issue d’une séquence d’apprentissage est un bon indice des visées de la séquence elle-même. En déterminant, en fin de cours, le contenu de la leçon, et en procédant en début de cours à la séance de leçon, les professeurs que nous avons observés et les documents d’accompagnement nous fournissent de précieuses informations sur le sens même des apprentissages. Nous donnons ici au mot de leçon sa signification traditionnelle, c’est-à-dire, à l’issue de la séance de cours : ce qu’il y a savoir pour le prochain cours, et au début du cours : rendre compte de ce que l’on sait de nouveau, à la suite du cours antérieur.

A la suite du projet de cours « Primera clase », les documents d’accompagnement proposent la leçon suivante 222  :

On remarquera que la leçon ainsi conçue comporte deux dimensions, une dimension interprétative et une dimension imitative.

La dimension interprétative apparaît dans les introductions en français. On y a recours à la métalangue, on y parle du texte. La dimension imitative apparaît dans la partie en espagnol que l’élève doit être en mesure de produire et qui, en fait, ne sont que des passages copiés du texte d’appui, on y parle le texte. On se souviendra que, selon les Instructions, le choix du texte doit être fait d’abord pour sa capacité à créer une situation susceptible d’intéresser, d’interroger, d’émouvoir l’élève. Une fois passé le moment de l’émotion, c’est-à-dire le moment du cours, c’est la lettre du texte qui semble devoir rester. Ici la dimension interprétative n’est qu’une manière d’introduction, ou de réintroduction du texte, ou des parties sélectionnées du texte. En d’autres termes, s’il ne s’agit pas d’une mémorisation pure et simple du texte, on s’en approche et les consignes « savoir présenter …la situation »(2), « savoir redire les raisons objectives de l’embarras momentané de la maîtresse »(3), « savoir retrouver les réactions de l’institutrice »(4) ne sont que des cadres pour organiser la matière à mémoriser ; s’il en était besoin, le verbe « redire » que nous avons souligné en administrerait la preuve. Pourquoi ne pas exiger alors purement et simplement de mémoriser le texte en l’état ? L’emploi du verbe « retrouver », fournit une explication. S’il n’est pas demandé à l’élève d’« apprendre par cœur » le texte, ce qui serait irréaliste et (peut-être aux yeux mêmes des partisans de la méthode, de peu de profit), on semble faire le pari que la situation a été si intensément vécue, le texte si profondément compris pendant le cours et lors du travail personnel que sa langue peut resurgir pourvu qu’on en trouve la clef qui n’est autre que le souvenir du contexte. Une fois le contexte recréé, en quoi consiste la tâche de l’élève ? Il n’a pas à produire de sens, puisque il a été donné par le texte au moment du cours grâce au travail de guidage du professeur, il n’a pas à reproduire au sens de faire exister à nouveau puisque les conditions de production existent en dehors de lui (elles sont inscrites dans le document lui-même), il ne lui reste donc qu’à répéter.

Lycée 2’ et les prestations aux épreuves orales du baccalauréat nous enseignent que la situation n’est pas radicalement différente à la fin des études secondaires d’espagnol. Lors du cours Lycée 2, avec le même souci de donner un cadre pour avoir accès au texte que celui que nous avons observé dans les documents d’accompagnement, le professeur a fait dire l’intention de communication qu’il déduisait du style de Rigoberta Menchú, de l’usage réitéré de l’articulateur « entonces » : Il propose à ses élèves une entrée qui permette de parler du texte, de tenir un discours qui relève de la métalangue.

En valorisant fortement la proposition de l’élève, en jouant de l’emphase, en écrivant au tableau le mot « demostración », donc en le faisant écrire dans le cahier, le professeur dote l’élève, pour la leçon mais aussi pour le baccalauréat, d’une unité d’organisation de la matière verbale à reprendre. Il lui offre une catégorie de classement où il pourra ranger, en revivant par le souvenir la situation proposée par le support, tous les éléments s’y rapportant.

Lors de la leçon, dans Lycée 2’, l’élève interrogé montre qu’il a appris la catégorie abstraite de « démonstration » mais son projet n’est pas la métalangue pour laquelle ce tiroir avait été initialement ouvert.

On remarquera que l’élève produit l’idée une première fois à voix basse. Nous ne proposerons pas à cela d’explication définitive car nous n’avons pas suffisamment d’éléments sur la situation socio-affective dans le groupe classe notamment mais nous pouvons peut-être avancer l’idée que l’hésitation de l’élève est due pour une part au débat qui l’habite entre la certitude que ce qui est attendu par le professeur est la fameuse catégorie, et la difficulté qu’il a à concevoir que ce texte étudié soit une démonstration. Autrement dit, il n’a pas encore claire conscience de ce qu’il est possible de ranger sous cette étiquette. Il nous semble que ce qu’il dit ensuite en est la preuve. Il est en mesure de redire des aspects concrets de la vie de Rigoberta Menchú, il va essayer de les évoquer dans ce chapitre de la démonstration. En effet dire que la locutrice « va haciendo una demostración ....de lo que había vivido» [fait une démonstration de ce qu’elle avait vécu] est maladroit sur le plan de la manipulation des temps verbaux mais surtout, vide le mot démonstration de son sens, l’élève semble l’utiliser comme s’il s’agissait du mot « récit », « relato ». Le professeur ne lui en tient pas rigueur, peut-être vient-il de prendre conscience que cette intervention lui offre la possibilité de faire redire par son élève ce que Rigoberta Menchú dit dans le texte. En effet la leçon se poursuit alternant des considérations sur le texte et des reprises du texte lui-même :

Ces quelques exemples de leçon font apparaître que ce qu’il faut savoir à l’issue d’un cours, c’est moins les savoirs et les savoir-faire qu’on y a développés (à l’exception peut-être de la grammaire mais nous y reviendrons) que ce qu’on a dit de l’objet support et ce qu’il disait. L’effort porte sur la réactualisation du commentaire qui conditionne le retour au contexte qui permet de réemployer la langue du document.

Notes
222.

Ibid, p. 25.