6.2. Un professeur hyperactif.

Tentons une synthèse du rôle du professeur d’espagnol dans la préparation et la mise en œuvre du cours canonique d’espagnol. Puisque l'activité de commentaire est l'activité de base, l'acte essentiel, fondateur, est celui que réalise le professeur quand il procède au choix de l'objet du commentaire. Il n'est qu'à regarder les manuels, anciens et récents qui rivalisent dans la diversité, l'esthétique, l'originalité des supports d'apprentissage pour se convaincre que là se trouve, pour le maître, l'une des clefs essentielles de la réussite. Et si nombreux sont les documents iconographiques, le texte d'auteur est le support idéal vers lequel il faut tendre parce que c'est là qu'est en dépôt la quintessence même de la culture et de la langue espagnoles. Dès lors toute activité de classe fondée sur un choix de ce type ne peut que consister, pour les élèves, à "parler de" et pour le maître, à se demander avant d'arrêter son choix, ce qu'il a à "dire sur". L’activité centrale est donc une activité de production d’énoncés sur le monde ou sur des parcelles du monde rassemblées par les programmes et / ou les concepteurs de manuels.

Mais là n'est pas la seule contrainte. Il en est une seconde tout aussi difficile à prendre en compte. C'est celle qui consiste à anticiper sur les caractéristiques lexicales, morpho-syntaxiques, grammaticales de la langue dont on va avoir besoin pour "parler de" afin de juger de leur adéquation au stade d'apprentissage de la classe. Enfin, il faudra se demander si le commentaire permettra ou non de réutiliser dans le discours le lexique, la grammaire, la syntaxe, en dépôt dans le texte.

Le document d’appui est donc le cadre proposé, le guide d'apprentissage, il est lui-même la situation d'apprentissage et le "parler de " l'activité. Le commentaire, qui n’est que l’une des innombrables macro-fonctions du langage se trouve érigé en pierre angulaire du système et il convient de préciser que son rôle fonctionnel est ici très relatif dans la mesure où il n’est pas à l’initiative du locuteur, en l’occurrence l’apprenant. Maître et élèves reçoivent donc de la situation ainsi créée des rôles déterminés par une relation triangulaire :

Pour amener l'élève à produire du discours sur le document d’appui, le professeur selon son degré d'habileté va mettre en œuvre un questionnement plus ou moins directif, plus ou moins adapté aux réactions antérieures des élèves. Souvent, pour soulager l'élève d'une part du travail interprétatif, ou pour rendre la recherche de sens plus attractive, il aura recours à des stratagèmes mais la configuration ne s'en trouve pas changée et l'apprenant est amené à dire (ou à penser) dans un exercice public et collectif (selon l'art et les choix du professeur) dans un discours de commentaire ce que dit l’objet choisi. Il est amené à re-produire dans la langue que le professeur juge convenable ce que le document dit dans son langage propre (littéraire, iconique etc.) et à commenter les moyens mis en œuvre et, ce faisant, il maniera des faits de langue dont les documents sont porteurs ou potentiellement porteurs.

Mais la tâche du maître ne s'arrête pas là. En effet, si l'espace d'expression de l'élève est limité au document d’appui, le maître doit veiller à la cohérence du parcours global d'apprentissage et donc veiller à faire réemployer des savoir découverts antérieurement quand l'occasion se présente. Il doit assurer le lien entre cette production en situation et un savoir linguistico-culturel global dont il est le détenteur et le garant. Immergé dans l'interrelation (professeur - situation - élève) créée par son choix de document, il doit rester en vigilance à un autre niveau, celui d'une hypothétique maîtrise d'un savoir savant total de langue et de culture pour y opérer des choix qui permettront à l'élève d'établir des liens avec des savoirs linguistiques et / ou culturels rencontrés antérieurement : une spirale dynamique naît de l'angle d'attaque que propose le professeur sur le document, ce dernier ainsi sollicité stimule l'apprenant qui avec ou sans l'aide du professeur en enrichit son propre savoir. Le professeur, soucieux d'entretenir ce mouvement, est sans cesse amené à faire des choix en fonction de la situation ; il doit faire progresser les savoirs au-delà du document en faisant produire une langue conforme aux canons, et en gardant une oreille attentive au sens que la classe donne au document. Les textes de référence, les injonctions institutionnelles tendent à faire du professeur d’espagnol, dans le cadre du cours canonique, un véritable démiurge.

Le cours magistral dialogué.
Le cours magistral dialogué.

Le maître sait tout, voit tout, entend tout, est partout.

Les multiples compétences auxquelles va faire appel l'élève vont s'autodévelopper parce qu'elles seront régulièrement sollicitées et parce qu'à l'occasion de telle ou telle erreur, il y aura un étayage du maître (ou au moins organisé par lui). On renforcera donc ses compétences de compréhension orale, de compréhension écrite, d' expression orale, on développera sa compétence culturelle, l'interculturelle, la grammaticale, la lexicale, la phonétique, l'orthographique, la discursive, et on s'appropriera des méthodes d'apprentissage (comment expliquer un poème, comment commenter un tableau, etc.).