6.4. Quelle langue ?

6.4.1. Reproduire une langue hiératique.

Dans la partie que nous avons intitulée « Reproduire ou répéter ? Leçon : qu’est-ce qu’il faut savoir ? » (5.2.) nous avons vu que l’essentiel du travail de l’élève consiste à se préparer à réutiliser la langue du document et la langue de commentaire que le professeur a mises en exergue. Les exemples des documents d’accompagnement du collège et d’ un cours de notre corpus ont confirmé cette analyse : l’élève a fait son travail, a appris sa leçon si, au cours qui suit, il se souvient de ce que l’on a dit du document d’appui et de ce que disait ce dernier, non de tout ce qu’on a dit, ni de tout ce qu’il disait mais de ce que le professeur, par des techniques diverses, a su isoler comme digne d’être retenu. On peut y trouver pêle-mêle des savoirs de langue (formes verbales, structures syntaxiques, tournures idiomatiques etc.) mais aussi des savoirs savants (connaissances civilisationnelles ou de culture savante) ou des savoirs anecdotiques (par exemple liés aux personnages du texte étudié). Le meilleur moyen de cerner précisément la nature des connaissances nouvelles que l’élève doit avoir acquises entre deux cours consécutifs est d’examiner en quoi consiste l’évaluation qui en est faite. Dans Document ZEP, l’inspecteur général qui fait la synthèse des travaux commence, à ce sujet, par déplorer l’aspect routinier de cette phase du cours et, ce faisant, dit assez, en creux, le schéma type du « contrôle de la leçon » :

‘« Je suis toujours surpris, pour ma part, par le déroulement de ce rituel, trop souvent le même, au cours duquel des élèves volontaires prennent la parole pour redire… peu ou prou ce qu’ils ont dit au cours précédent, les autres se taisant. Et comme par hasard, les consignes qu’on leur donne en fin de cours sont tellement vagues –vous reverrez ce qu’on a dit, vous relirez le cahier, etc.– qu’il ne peut en être autrement. » 250

Il ne s’agit en aucune façon de remettre en cause le principe de la leçon qui consiste essentiellement en une reproduction orale des faits de langue nouveaux rencontrés précédemment mais de l’encadrer plus vigoureusement :

‘« … ce contrôle doit viser le réemploi des acquis, lesquels doivent être clairement identifiés. On ne peut à chaque début de cours, redire intégralement ce qui a été dit pendant le cours précédent : il faut opérer des choix. » 251

On ne redira pas intégralement ce qui a été dit au cours précédent mais il s’agit bien de « redire ». Afin de clarifier encore le propos, l’auteur cite l’un des participants, prend ses propositions à son compte et invite les professeurs d’espagnol à « insister sur la mémorisation »« du lexique, des tournures idiomatiques, de phrases clés, de textes courts. » 252 . Le terme de « mémorisation » ne doit pas faire illusion, cette concession lexicale à une approche plus cognitive n’est que de pure forme. En effet, il n’est à aucun moment question de méthodes ou de stratégies de conservation de certains savoirs ou savoir-faire. Pas plus que précédemment, on ne se préoccupe de ce qui conditionne la production ou la reproduction de forme pour ne retenir comme marqueur unique que la manifestation comportementale de la production ou la reproduction d’objets linguistiques. Faire la preuve que l’on a appris c’est montrer en les parlant que l’on se souvient de ces objets. Tout le cursus scolaire du secondaire est imprégné de cette logique qui trouve son aboutissement dans l’épreuve du baccalauréat, qu’elle soit écrite ou orale. Il nous semble que les corrigés et autres outils de préparation aux épreuves du baccalauréat sont de bons témoins de ce vers quoi les tenants de la tradition didactique de l’espagnol souhaiteraient que tendent les candidats. Dans un ouvrage de ce type destiné aux élèves de toutes les classes terminales, le chapitre qui présente la partie « production écrite » traditionnellement désignée « expression personnelle » (sic) comporte les recommandations suivantes :

‘« Ecrire une langue claire et agréable à lire passe par le respect de la grammaire de base de la langue, par un emploi correct des temps, et par l’emploi d’un certain nombre de tournures propres à cette langue, c'est-à-dire “idiomatiques”. » 253

Nous reproduisons ici les arguments que fait valoir l’auteur pour justifier cette attention particulière aux tournures idiomatiques :

‘« Elles contribuent à enrichir notre réponse. Elles sont la preuve d’une bonne connaissance de la langue. Elles montrent aussi que le candidat sait prendre des risques et ne se contente pas d’une langue correcte mais plate, qu’il sait mettre un peu de “piment” et de vie à ses réponses. Il n’est évidemment pas question de truffer notre réponse de ces tournures idiomatiques, mais de les employer ça et là pour lui donner un petit plus ». 254 [C’est nous qui soulignons]’

On mesure, à la lecture de ces quelques phrases l’aspect formel de l’exercice. La tâche essentielle de l’élève candidat va être de se demander, quand il aura pris connaissance de la question et imaginé le contenu de sa réponse, quelles expressions et autres tournures il a en magasin 255 pour agrémenter sa copie. Ainsi pourra-t-il par exemple écrire cette phrase que suggère le même auteur lorsqu’il propose un corrigé :

‘« A lo largo del texto, el lector se entera de que el narrador va cambiando. »’ ‘[Tout au long du texte, le lecteur se rend compte que le narrateur est en train de changer]’

Cette phrase ouvre la partie « expression personnelle ». En la proposant on semble vouloir inviter l’élève candidat à avoir recours dès le début de son exposé au maximum de tournures idiomatiques : elles sont ici au nombre de trois dans une phrase d’une ligne. Mais cette préoccupation est satisfaite au prix d’un certain inconfort conceptuel du lecteur car l’aspect lexical de « enterarse de » [apprendre une nouvelle, se rendre compte de] suggère une action plutôt ponctuelle tandis que, comme en français l’expression, «  a lo largo de » [tout au long de] et la forme progressive « va cambiando » [est en train de changer (mais l’expression est plus regardante que la traduction proposée)] réfèrent à une action inscrite dans la durée. La focalisation sur la forme l’emporte sur d’autres considérations car il importe de montrer, comme au collège au début du cours, que l’on se souvient d’expressions propres à la langue espagnole, il importe de faire miroiter quelques signes extérieurs de richesse.

Notes
250.

Corpus, journées ZEP, p. 47.

251.

Ibid. On notera que l’expression « réemploi des acquis » laisse entendre que cette production n’a pas beaucoup d’utilité. Puisqu’il s’agit d’acquis, que gagne-t-on à les produire à nouveau ?

252.

Ibid.

253.

Chignac, B. Mémobac, préparation à l’examen, Espagnol, p. 40.

254.

Ibid.

255.

Nous reviendrons plus bas sur la représentation de la langue à apprendre que suggère l’expression triviale que nous utilisons ici.