7.5.1. Hypercorrection.

Nous empruntons au champ de la sociolinguistique la notion d’hypercorrection qu’il nous revient de redéfinir pour l’appliquer à notre sujet. L.-J. Calvet explique :

‘« Croire qu’il y a une façon prestigieuse de parler sa langue implique, si l’on ne pense pas posséder cette façon de parler, qu’on tente de l’acquérir. »’

et il précise au paragraphe suivant :

‘« Or ce mouvement tendanciel vers la norme peut engendrer une restitution exagérée des formes prestigieuses : l’hypercorrection. » 280

Il nous semble que, transportée dans le domaine de l’enseignement-apprentissage de l’espagnol en milieu scolaire dans les conditions du cours magistral dialogué, la problématique de l’hypercorrection peut permettre d’éclairer certains aspects. Telle qu’elle est définie par L.-J. Calvet, l’hypercorrection est moins un phénomène linguistique qu’une stratégie sociale inscrite dans un réseau d’enjeux de pouvoirs, l’accès à une certaine légitimité sociale exigeant de l’impétrant qu’il s’ajuste à la norme, lui faisant courir le risque « d’en faire trop ». Pierre Bourdieu présente l’hypercorrection de la façon suivante :

‘« L’hypercorrection petite bourgeoise qui trouve ses modèles et ses instruments de correction auprès des arbitres les plus consacrés de l’usage légitime, académiciens, grammairiens, professeurs, se définit dans la relation subjective et objective à la “vulgarité” populaire et à la “distinction” bourgeoise ». 281

Nous avons, au début de ce travail, évoqué l’histoire singulière de l’enseignement de l’espagnol en France qui pour des raisons à la fois sociales, économiques et politiques se réclame davantage de la tradition des belles lettres que des savoirs pratiques considérés comme indignes de l’enseignement scolaire : les citations des Instructions Officielles, des documents d’accompagnement, des rapports d’inspection que nous avons produites en font foi. Cette constante prétention à faire en espagnol ce que l’on fait dans les enseignements français de commentaire littéraire, (voire de documents d’histoire, de géographie ou d’art) ne peut être sans conséquences au moment de déterminer ce qui est constitutif du savoir linguistique que l’école doit faire apprendre par ce biais. Exiger des professeurs, comme le fait le cours magistral dialogué, d’ériger en modèle les objets linguistiques dont sont porteurs les productions à ce point socialement situées, c’est le conduire à intégrer un groupe qui partage les mêmes normes quant à la langue. La tendance à l’hypercorrection est inscrite dans la logique même du choix et de l’exploitation du document d’appui que nous avons abondamment commentés plus haut. Si un certain sociocentrisme préside à ces choix, la pratique assidue du cours canonique d’espagnol et les liens qu’il tisse ainsi avec des pratiques scolaires reconnues sont de nature à l’entretenir, à le pérenniser. Le choix de l’hypercorrection linguistique se combine avec le caractère « noble » de l’activité scolaire d’analyse et commentaire.

Dans les exemples de leçon que nous avons cités, ce sont les faits de langue et pas leur usage qui sont l’objet de l’attention. Le plus souvent, il est demandé aux élèves de les restaurer dans leur contexte d’origine. Au mieux le travail consistera à prolonger un texte, à adopter le point de vue d’un des personnages ; jamais, dans les documents d’accompagnement du cycle central du collège ou de seconde, il n’est proposé à l’élève de déplacer d’une façon réfléchie et systématique un savoir-faire linguistique découvert et exploité en classe dans un acte langagier dont il serait le sujet. Le savoir à acquérir est maintenu à distance, la langue du document et / ou celle qu’aura sélectionnée le maître sont érigées en modèle. Dès lors, pour satisfaire aux exigences scolaires, il conviendra de s’entraîner à reproduire des formes présélectionnées pour leur « représentativité » au regard du sociocentrisme dont nous avons parlé, voire de l’ethnocentrisme des professeurs d’espagnol. Ce faisant, le travail de mémorisation de formes reçues installe une représentation diamétralement opposée à ce qu’a mis à jour la recherche constructiviste en matière d’acquisition.

Notes
280.

Calvet, L.-J. La sociolinguistique, p. 55.

281.

Bourdieu, P. Ce que parler veut dire, p. 55.