8. Vers la rupture

8.1. Et si l’interlangue n’était pas une vue de l’esprit…

W. Klein écrit :

‘« Toute langue d’apprenant, aussi élémentaire et insuffisante qu’elle puisse être, constitue un système linguistique en soi, qui peut remplir certaines fonctions de communication. Le degré de réussite dans la communication ne dépend pas seulement de la richesse en formes et en constructions, mais également de l’habileté avec laquelle l’apprenant utilise ces moyens. » 282

Ce faisant l’auteur opte clairement pour la théorie de l’ « interlangue » élaborée par L. Selinker 283 à la suite de P. Corder qui voyait dans les stades d’apprentissage de langue étrangère autant de transitions entre un système rudimentaire que l’on se crée, et où la langue maternelle joue un rôle déterminant, et le système de la langue cible. L’immense majorité des chercheurs dans le domaine de l’acquisition de langue étrangère s’accordent désormais sur ce point : l’apprenant développe un système évolutif qui lui est propre. Et L. Selinker, en établissant que la forme de cette « interlangue » dépend des types de transfert et des stratégies d’acquisition que l’apprenant met en œuvre, donne comme allant de soi la part active de l’apprenant dans le processus, ce qui revient à accorder aux facteurs d’ordre psycholinguistiques et sociolinguistiques une très grande importance. S’il confère à l’« interlangue » les propriétés essentielles à tout système linguistique : systématicité, variabilité, autonomie, B. Py module considérablement en précisant :

‘« Ces propriétés n’existent toutefois que de manière atténuée. La systématicité est éclatée en microsystèmes, la variabilité ressemble beaucoup à de l’instabilité, l’autonomie est soumise à des pressions efficaces de la part des normes natives » 284

On mesure à la lecture de ce descriptif l’insécurité du sujet apprenant qui peine à construire une cohérence entre les microsystèmes qu’il a établis, qui court le risque de perdre ses repères chaque fois qu’il veut jouer de la variabilité, qui doit combattre ou plutôt composer avec la forte prégnance de son système linguistique de référence. Lorsqu’il définit l’« interlangue », Vogel confirme l’imbrication de tous les paramètres évoqués et la forte implication du sujet apprenant mais il ajoute un élément que nous soulignons :

‘« Dans la constitution de l’interlangue entrent la langue maternelle, éventuellement d’autres langues étrangères préalablement acquises, et la langue cible. Son impact, son stade de développement, ses aspects idiosyncrasiques dépendent notamment de variables individuelles, sociales, en rapport avec la situation d’apprentissage ainsi que, le cas échéant, de variables didactiques (méthodologiques). » 285

Si nous mettons en exergue la dernière partie de la citation de K. Vogel c’est qu’elle nous invite à examiner si les conditions requises pour que naisse et évolue l’«interlangue » sont réunies dans le cours canonique d’espagnol. Or beaucoup de ses caractéristiques que nous avons mises à jour plus haut semblent en totale contradiction avec cette logique d’apprentissage évolutif et éminemment individuel sur laquelle repose la thèse de l’«interlangue ».

Notes
282.

Op. cit. p. 81.

283.

Selinker, L. Interlanguage, p. 209-231.

284.

Py, B. Les stratégies d’acquisition en situation d’interaction, p. 82.

285.

Vogel, K. L’Interlangue. Cité par V. Castellotti dans La langue maternelle…, p. 71.