8.2.3. Une référence théorique incompatible.

L’analyse comparée des structures de l’une et de l’autre langue devaient amener à faire acquérir aisément celles qui étaient semblables et à faire porter l’effort d’apprentissage sur celles de la langue à acquérir qui n’avaient pas d’équivalent dans la langue maternelle. Si on perçoit très clairement combien cette approche contrastive a pu apporter à l’analyse linguistique des deux systèmes en présence, on ne voit pas quelles aides elle pouvait apporter en matière d’apprentissage de l’usage des systèmes, toutes structures confondues. Analysant les raisons de l’échec de l’hypothèse contrastive, W. Klein écrit :

‘« Une raison majeure de cet échec relatif est que les similarités et différences entre deux systèmes linguistiques et le traitement des moyens linguistiques dans la production et la compréhension réelles sont deux choses très différentes. La linguistique contrastive s’occupait des premières, tandis que l’acquisition est concernée par le second. Ce n’est pas l’existence d’une structure telle que les linguistes l’ont décrite qui importe, mais la façon dont l’apprenant l’appréhende dans la compréhension et la production. » 287

Or force est de constater à ce stade de notre analyse que les préoccupations que nous avons mises à jour dans les textes informant les pratiques des enseignants d’espagnol et qui se réfèrent constamment au nécessaire « enrichissement de la langue », à l’exigence d’une « langue authentique », à la découverte et au réemploi de « tournures idiomatiques », restent adossées à la théorie de l’hypothèse contrastive refusant par là même la perspective dynamique du lecte d’apprenant. La partie consacrée à l’espagnol des dernières Instructions Officielles qui réforment les programmes de seconde et qui sont entrées en vigueur en septembre 2003 confirment cet ancrage en incitant le professeur à maintenir l’élève dans une perspective de différenciation linguistique au détriment de tentatives personnelles d’agir sur son système intermédiaire pour le faire approcher progressivement de la langue cible :

‘«  A tout instant, le professeur s’efforcera de corriger les interférences inévitables entre le français et l’espagnol (génératrices de gallicismes et d’hispanismes) susceptibles de se manifester lors de la pratique orale de la langue, en ayant recours à une langue authentique et en faisant prendre conscience aux élèves, au moyen d’exemples empruntés à la langue usuelle, qu’une langue n’est jamais la traduction d’une autre langue et que l’expression en langue étrangère ne peut en aucun cas se satisfaire d’une traduction par calque. » 288 [C’est nous qui soulignons]’

La notion même d’interférence que nous avons soulignée et qui est emblématique de l’approche contrastive, suggère que la langue maternelle peut constituer un obstacle à l’apprentissage de la langue seconde. On comprend dès lors que le français ait été déclaré « persona non grata » dans les cours d’espagnol, quelle que soit la fonction qui lui était dévolue, ce qui constitue d’ailleurs un thème récurrent dans les rapports d’inspection de notre corpus :

‘« Ce professeur veille, avec un sourire engageant et bienveillant à la fois, à la correction de la langue pratiquée (espagnole bien sûr) avec intelligence. » 289 ’ ‘« Trop souvent aussi, les élèves sont interpellés en français. Pendant l’entretien, M….. expliquera qu’elle a recouru au français pour mieux cadrer les élèves un jour d’inspection, mais l’objet linguistique du cours porte sur la langue espagnole, quoi qu’il en soit. » 290

Nous voilà bien loin de la fonction heuristique que V. Castellotti attribue aux relations entre la langue maternelle et la langue cible « par le biais des transferts d’un processus à l’autre et d’un système à l’autre » 291 Si, chez cette auteure, la langue maternelle reçoit un statut de pôle de référence dans le processus d’acquisition d’une autre langue, les Instructions Officielles, toutes langues confondues, prorogent l’exil du français du cours de langue, ignorant pudiquement une réalité quotidienne. Tout au plus, elle pourra être utilisée comme repoussoir (approche contrastive) ou pour ouvrir l’accès au sens en langue étrangère, par la traduction mais ponctuellement et « rapidement ».

Certes la relation que V. Castellotti établit entre la langue maternelle et la langue cible ne signifie pas qu’il faille apprendre celle-ci en parlant celle-là, c’est pourtant à cette caricature que semble se résumer l’alternative au « tout en langue étrangère ». Le débat périodiquement relancé, dans le rapport entre praticiens et autorités académiques, sur la légitimité de l’usage du français dans le cours de langue et singulièrement dans le cours d’espagnol se limite à un phénomène de surface et, ce faisant, occulte une question cruciale. Si l’argument selon lequel, un cours de langue étrangère a pour objectif de faire apprendre la langue étrangère ne peut suffire à justifier qu’il se déroule intégralement (ou même partiellement) en langue étrangère, le caractère monolithique du cours magistral dialogué d’espagnol conduit immanquablement à poser le problème en termes simplistes : le cours doit-il se dérouler en français ou en espagnol ? A aborder la question par ce biais, on fait l’économie d’une confrontation des deux thèses en présence : l’hypothèse contrastive d’une part et les théories des lectes d’apprenants d’autre part. Si le débat est tranché depuis des lustres dans la communauté scientifique et chez les praticiens du français langue étrangère et de l’espagnol langue étrangère, il ne semble pas exister dans l’enseignement - apprentissage scolaire de l’espagnol 292 . Il convient donc de réinterroger le rapport qui s’établit chez un sujet lambda entre la langue première (qui ne saurait dans le système scolaire se réduire au seul français) et la langue cible, pour mesurer les effets que peut produire sur ce rapport le dispositif d’apprentissage que constitue le cours canonique d’espagnol.

Notes
287.

Op. cit. p. 41.

288.

France, M.E.N. Espagnol, classe de seconde générale et technologique, 2002, p. 51.

289.

Rapport d’inspection n° 8.

290.

Rapport d’inspection n° 10.

291.

Ibid.

292.

Ou plus précisément, il y est ignoré au point que les injonctions institutionnelles sont parfaitement contradictoires parce qu’elles font appel à l’une et l’autre approches qui sont pourtant pour l’essentiel exclusives l’une de l’autre. Nous y reviendrons lorsque nous traiterons de la « stratégie compensatoire » des nouvelles Instructions.