8.3.3. Bifocalisation.

P. Bange 313 a attiré l’attention sur cette caractéristique du cours de langue qu’il a appelé « bifocalisation », montrant que l’attention des apprenants se focalise tantôt sur le code et tantôt sur le sens. Rien là que de très normal dans la mesure où le cadre scolaire, parce que les enjeux de communication peuvent être différés, rend possible cette alternance, mais on observera que le cours magistral dialogué d’espagnol s’ingénie à brouiller les cartes : quand le professeur fait naître une envie de comprendre une image, de percer le mystère qu’enferme un texte énigmatique, de percevoir les ressorts d’une scène de cinéma, il donne à l’élève l’impression d’une focalisation sur le sens mais son plan est ourdi de telle façon qu’immanquablement, l’élève va avoir à se saisir des moyens linguistiques que le professeur a assignés à la leçon, sans le lui dire le plus souvent, comme « objectif linguistique ». Le cours oscille donc d’une focalisation à l’autre, la focalisation sur le sens conduisant le plus souvent à la focalisation sur le code, et chaque déplacement de l’une à l’autre pouvant être individuel, délibéré ou contraint. Lorsque, comme le recommandent à maintes reprises les documents d’accompagnement, le professeur fait répéter par un second élève ce qu’un premier a dit, l’attention de celui-ci peut être focalisée sur le sens tandis que celle de celui-là sera inévitablement focalisée sur le code. L’importance accordée à l’apprentissage linguistique « qui reste absolument prioritaire » 314 liée à l’obligation d’y satisfaire par l’étude de document qui « reste un moment essentiel de l’apprentissage » 315 institutionnalise l’ambiguïté voire la duperie.

P. Bange explique :

‘« Le focus de l’attention des élèves se trouve de ce fait porté vers la langue, vers les moyens de la communication et non vers ses buts. La bifocalisation propre à la communication exolingue change de nature : l’objet thématique de la communication n’est plus au centre de l’attention ; celle-ci se focalise sur la langue, l’objet thématique de la communication est rejeté à la périphérie, il n’est plus qu’un prétexte. » 316

On se souviendra de la proposition de corrigé de l’épreuve d’expression du baccalauréat que nous avons citée en 6.4.2. et qui pousse à son paroxysme l’ambiguïté de cet apprentissage et donc de son évaluation. A une question portant sur le personnage du texte, l’élève est invité à répondre en enfilant les tournures idiomatiques, la modestie de la problématique ne laissant aucun doute à l’usager averti de l’École sur la vraie finalité de l’exercice.

Notes
313.

Bange, P. Á propos de la communication et de l’apprentissage de L 2, p. 73.

314.

France, M.E.N., B.O. n° 7, oct. 2002. p. 51

315.

Ibid. p. 5.

316.

Op. cit.