8.4. Et les nouveaux programmes ?

8.4.1. Les nouveaux programmes et les savoir-faire langagiers.

Nous avons à plusieurs reprises évoqué les nouveaux programmes de langues vivantes des classes de seconde générale et technologique et leur volet « espagnol » entrés en vigueur en septembre 2003. Nous nous y arrêtons plus longuement ici pour tenter de déceler à travers les préconisations institutionnelles les choix qui sont faits dans ce débat que nous avons mis à jour : L’École doit-elle être le lieu de l’apprentissage des activités langagières en langue vivante étrangère? Comment doit s’articuler l’apprentissage des formes linguistiques et leur mise en œuvre dans des activités langagières ? Quels rapports entre les savoirs linguistiques et les savoirs culturels ? Quelle part du sujet dans ces apprentissages ? Nous disposons, pour répondre à ces questions, de quatre documents interdépendants dont la datation a une grande importance.

Le premier est la lettre de cadrage ministérielle de 1999 qui fixait les grandes orientations auxquelles devait se conformer la commission des programmes. Le deuxième est le « Préambule commun aux programmes de langue vivantes des classes de seconde générale et technologique » du 3 octobre 2002. Le troisième est le volet « espagnol » du même texte du 3 octobre 2002. Le quatrième document est le livret Accompagnement des programmes qui se présente à la fois comme une glose des mêmes programmes du volet « espagnol » et comme un recueil de propositions de mises en œuvres des dits programmes.

L’observation de ces quatre pièces fait apparaître un double processus aux mouvements contradictoires : englobement et émancipation. Chaque texte est en quelque sorte englobé dans celui qui le précède qui constitue le cadre dans lequel il doit se développer mais en même temps on observe des forces centrifuges qui tendent à l’en libérer. L’interdépendance dont nous avons fait état se révèle donc très complexe, nous n’en retiendrons que les aspects qui nous permettront de situer les dernières orientations institutionnelles de l’espagnol par rapport aux orientations générales de l’enseignement des langues et dans le cadre des questions que nous avons posées.

Contrairement au sens qui lui est communément attribué, le « préambule » commun aux programmes de langues vivantes n’est pas qu’un exposé des motifs et encore moins une simple entrée en matière : il fixe pour les années lycée des objectifs à faire atteindre à l’élève qui sont clairement des savoir-faire langagiers :

‘« L’élève doit, en fin de scolarité au lycée, du moins en langue 1 et en langue 2, parvenir à un niveau lui permettant de :
- participer à une situation de dialogue à deux ou plusieurs personnes ;
- comprendre l’essentiel de messages oraux élaborés (notamment : débats, exposés, émissions radiophoniques ou télévisées, films de fiction ou documentaires) et écrits, dans une langue contemporaine ;
- effectuer un travail interprétatif qui, au-delà de l’explicite, visera une compréhension de l’implicite ;
- présenter, reformuler, expliquer ou commenter, de façon construite, par écrit ou par oral, des opinions et points de vue, des documents écrits ou oraux comportant une information ou un ensemble d’informations ;
- défendre différents points de vue et opinions, conduire une argumentation. » 320

Ces orientations s’imposent donc à toutes les langues vivantes enseignées dans le second cycle du secondaire et elles orientent également les enseignements en amont, c'est-à-dire dans le premier cycle du secondaire, voire dans le primaire. Mais le caractère généralisateur et quelque peu anonyme de la formule « toutes les langues » ne doit pas abuser. Si théoriquement, parmi les pays d’Europe, la France est de ceux qui présentent l’offre la plus large en matière de choix des langues enseignées 321 , cela ne saurait faire illusion. Non seulement le rapport du Sénat du 12 novembre 2003 constate l’échec patent de la diversification réelle de l’enseignement des langues mais fait apparaître que rien ne semble devoir arrêter la consolidation du couple anglais - espagnol qui se partage l’essentiel du « marché scolaire » puisque l’anglais représente 90 % des effectifs de LV1 et l’espagnol 70 % des effectifs de LV2. Ces précisions chiffrées font apparaître l’immense responsabilité de ces deux disciplines scolaires au moment de définir les orientations de l’enseignement des langues vivantes en France. Aussi est-on en droit de se demander : est-ce que réellement, compte tenu de ce que nous avons montré des pratiques dominantes de l’enseignement de l’espagnol et des représentations qui les informent, les injonctions institutionnelles spécifiques de l’espagnol s’inscrivent dans le prolongement des injonctions institutionnelles toutes langues confondues du préambule dont nous avons fait état plus haut ? Il semble bien au contraire que les objectifs d’apprentissage des savoir-faire langagiers ne soient pas assumés totalement par les recommandations qui apparaissent dans le volet « espagnol » des nouveaux programmes et dans les documents émanant de l’inspection générale et qui les accompagnent. Si l’on parvenait à montrer cette disjonction, on pourrait mesurer le désarroi des maîtres soumis alors à des injonctions contradictoires, voire clairement exclusives l’une de l’autre.

Notes
320.

Op. cit p. 4.

321.

L’enquête Eurydice sur « l’enseignement des langues étrangères en milieu scolaire en Europe », réalisée en 2001, révèle que dans la majorité des pays, l’éventail des langues proposées en LV1 ou LV2 se limite à six en général. En France 44 langues peuvent être présentées au baccalauréat.