2.2. Pratique sociale de référence / émergence du sujet.

Si la pratique sociale de référence, ce sont les usages du langage dans une société hispanophone, la modalité linguistique, pour essentielle qu’elle soit, n’en est pas moins soumise aux usages du langage en vigueur dans tels ou tels rapports sociaux, dans tel ou tel type d’activité etc. Se construire, en tant que sujet, dans la langue de l’autre, des usages du langage qui soient adaptés à l’action désirée et à la situation donnée exige une conscience des enjeux de la communication, une conscience de soi et de son pouvoir d’action dans le rapport à l’autre. Cette conscience n’est pas propre au passage à la langue étrangère, elle est nécessaire dès que les interactants ne sont pas mus par une connivence qui autorise à s’affranchir des ressources de la langue. Elle est donc nécessaire dès lors qu’on sort des rapports de connivence, le changement de variété linguistique n’étant qu’un degré d’écart supplémentaire. En ce sens, la pratique de référence de l’enseignement - apprentissage de langue étrangère est l’activité langagière de l’individu qui apprend une nouvelle variété linguistique mais qui possède déjà une façon de faire avec le langage même s’il se réalise dans sa seule langue maternelle. Il en résulte que le rapport au monde qu’il s’est élaboré ou, selon le stade de développement, qu’il est en train de s’élaborer conditionnera d’une façon décisive sa capacité à user du langage en langue étrangère. Evoquant le sujet adulte, c’est-à-dire parvenu à un stade avancé dans sa maîtrise du monde par le langage informé par sa langue maternelle, A. Trévise affirme :

‘« Une des raisons pour lesquelles l’étranger adulte arrive si rarement à la perfection est qu’il “possède” (est possédé par ?) un système préalable par lequel sa représentation du monde, de lui-même et du langage, et donc son identité, notamment inconsciente, affective et sociale, se sont forgées. L’étrangeté de la langue “étrangère” sera le plus souvent irréductible, non pas tant dans ses règles que dans ses modes de représentations préférentiels, ou ses jeux de mots, ses homophonies et polyphonies particulières. La langue étrangère n’aura jamais le statut de la langue“maternelle”, celle qui a grandi avec nous, et avec laquelle nous avons grandi. » 369

Sa maîtrise du monde s’est réalisée par le langage investi dans une langue, cette langue maternelle reçue de la communauté linguistique qui elle-même informe le monde et, ce faisant, institue l’étrangeté des autres langues. Utilisant la langue étrangère comme contrepoint, A. Trévise met en évidence combien l’avènement du sujet est lié à la construction de son rapport au monde elle-même rendue possible par le langage qui se réalise dans la langue maternelle.

Or la période de scolarisation et donc d’apprentissage scolaire des langues, coïncide avec la période d’émergence du sujet qu’est l’adolescence, donc à la construction d’un rapport au langage qui conditionnera sa capacité à se saisir du monde. La pratique sociale qu’il conviendrait de retenir comme pratique sociale de référence pour l’enseignement – apprentissage de l’espagnol, ou de toute autre langue, ne se réduit peut-être pas alors aux usages et aux fonctions de la langue espagnole dans une société hispanophone donnée. Préconiser dans l’institution scolaire des apprentissages qui conduisent à des pratiques langagières en langue étrangère, comme le font les nouvelles instructions, exige de prendre en compte le lien consubstantiel qui existe entre cet apprentissage et la construction d’un rapport au langage et donc au monde chez l’individu en formation. La pratique sociale de référence ? Les pratiques langagières au-delà des systèmes linguistiques dans lesquels elles se réalisent.

Notes
369.

Trévise, A. Réflexion, réflexivité et acquisition des langues, AILE, n° 8, 1996, p. 5-39. Cité par V. Castellotti, La langue maternelle en classe de langue étrangère.