2.4. Faut-il asseoir l’apprentissage de langue étrangère sur la culture langagière de l’individu ?

Dans la perspective constructiviste, où nous nous situons résolument, la réponse s’impose d’évidence. Le savoir-faire social que représente l’activité langagière en langue étrangère se « construira » immanquablement dans un rapport interactif entre le savoir-faire acquis en langue maternelle et le savoir-faire à acquérir en langue étrangère. Mais de quel savoir-faire acquis en langue maternelle parlons-nous ? Raisonner de la sorte reviendrait à dire que tout individu en âge scolaire a acquis dans la langue de socialisation les savoir-faire nécessaires à l’apprentissage des savoirs scolaires et singulièrement à l’apprentissage de langue étrangère. Raisonner de la sorte reviendrait à dire que tous les usages du langage se valent or, et E. Bautier et J.-Y. Rochex l’affirment avec force tout au long de leur ouvrage L’expérience scolaire des nouveaux lycéens, démocratisation ou massification ? il y a des dispositions nécessaires vis-à-vis du langage sans lesquelles les acquisitions ne sont pas possibles. 

Nous avons montré à la fin de la première partie de ce travail que le cours canonique d’espagnol était à classer parmi les pratiques d’enseignement qui entérinent, voire qui aggravent les inégalités en matière de rapport au langage. Bien que les textes d’accompagnement proclament le contraire, dans sa logique comportementaliste, le cours traditionnel d’espagnol se révèle incapable d’aider l’élève – qui n’y est pas encore parvenu parce que son milieu familial ne le lui a pas permis ou parce que les autres disciplines scolaires n’ont pas su le faire – à faire du langage un outil de médiation pour s’approprier le monde. Pire encore, par de nombreux aspects, il peut même contribuer à lui en fermer la perspective.

Tant que le langage n’est pas institué en outil de médiation, nous dit E. Bautier, il ne peut y avoir de réelle appropriation des savoirs. Nous ajouterons qu’en matière d’apprentissage de langue étrangère, le langage et ses usages étant à la fois la fin et les moyens, cette disposition ne s’impose qu’avec plus de force. L’enseignement de langue étrangère ne peut pas faire comme si cette disposition existait quand elle n’a pas été créée ou qu’elle n’est pas en voie de création pour deux raisons : parce que, d’une part, en agissant de la sorte, il s’accommode de l’inefficience de l’apprentissage et lui substitue un parcours d’obstacles scolaires à franchir et, d’autre part, parce qu’il est peut-être l’une des matières d’enseignement les plus adaptées pour la construire si l’on considère qu’un rapport au langage, cela se construit.