3.2. La réflexion métalinguistique pour secondariser la langue.

A. Trévise qualifie de « métalinguistique » ce qui a pour fonction de marquer une « intervention de l’énonciateur sur son propre dire ou sur les dires d’autrui » 388 .Il n’est pas indifférent de préciser quelle est la nature de l’intervention que nous analysons ici. L’énonciateur, c’est-à-dire l’apprenant d’espagnol est amené à créer du sens, à se créer du savoir sur le dire d’autrui et, ce faisant, à accéder à un savoir sur son propre dire, sur le « déjà-là ». V. Castellotti 389 distingue « activité métalinguistique » et «  réflexion métalinguistique ». Pour l’auteure, l’ « activité métalinguistique »est ce processus « supposé conscient » de contrôle que développe quiconque dans l’acquisition et l’utilisation d’une langue. En revanche « la réflexion métalinguistique » est « un ensemble organisé de description et d’analyse de faits de langue ». Le contrôle conscient est ici requis permettant une explicitation en vue de développer une utilisation de manière raisonnée. L’exemple que nous fournissons est à classer dans cette dernière catégorie.

Certes la « réflexion métalinguistique » n’est pas une nouveauté pour l’enfant ou l’adolescent scolarisé en France puisqu’il aura été amené dès l’école primaire à effectuer des activités d’observation, de manipulation, de production, visant à lui faire prendre conscience du fonctionnement du système linguistique du français. Cependant les recherches dont nous avons fait état, notamment de E.S.CO.L., viennent rappeler que le rapport au langage reste, jusque dans les études universitaires, un élément déterminant de différenciation sociale, que l’incapacité à constituer le langage comme outil symbolique entre soi et le monde compromet rien moins que l’avènement du sujet.

La réflexion métalinguistique construit la langue comme objet. Nous ne distinguons pas ici « langue première » et « langue étrangère » car, dès lors qu’elle met la langue à distance pour en observer le fonctionnement, la « réflexion métalinguistique » tend à intégrer toutes les langues concernées par l’apprentissage. A l’instar des auteurs du Cadre européen de référence pour les langues, on parlera alors de « variétés linguistiques », affirmant ainsi que ce qui est générique du langage humain l’emporte sur ce qui relève des spécificités de chaque variété et que de multiples compétences acquises dans l’apprentissage de l’une sont transférables dans l’apprentissage de l’autre. V. Castellotti affirme que l’individu dispose donc d’un « répertoire linguistique » dans lequel les différentes variétés disponibles ne sont pas additionnées mais combinées les unes avec les autres.

La réflexion métalinguistique contribue à relier entre elles les variétés, à identifier des fonctionnements qui réunissent ou qui opposent, des caractéristiques qui fédèrent. Cette composante de l’enseignement – apprentissage de langue prend dès lors une importance décisive dans la prise de distance d’avec le langage et peut contribuer grandement à l’émergence du sujet en lui donnant prise sur l’objet langage constitué.

Puisqu’il s’agit donc de développer une compétence métalinguistique générale, un certain nombre de débats oiseux propres à l’enseignement scolaire des langues se trouvent tranchés. C’est le cas par exemple de l’utilisation du français en cours de langue dans le cadre de commentaires métalinguistiques. Les arguments en faveur d’une métalangue en langue étrangère tombent d’eux-mêmes dès lors qu’il s’agit moins de produire de la métalangue que de se constituer une conscience de langue par l’intermédiaire de la réflexion métalinguistique. Or toute réflexion qui vise une conceptualisation exige d’avoir recours à l’outil de conceptualisation naturel qu’est la langue première, avec laquelle l’apprenant va constituer les réseaux de sens dont on a parlé, les combinaisons, en un mot, les liens entre les objets. Ces activités cognitives qui constituent le langage en objet, exclues des pratiques préconisées traditionnellement dans l’enseignement de l’espagnol, semblent bien être irremplaçables pour faire accéder l’apprenant au statut de sujet parlant, tant dans sa langue première que dans la ou les langues cibles. Dans l’ouvrage cité plus haut, V. Castellotti fait d’ailleurs remarquer en citant nombre de recherches que nombreux sont les enseignants de langue qui, passant outre les recommandations officielles, ont recours, le plus souvent avec un fort sentiment de culpabilité, au français pour mener les réflexions métalinguistiques. Face à ces tendances centrifuges lourdes héritées d’un passé marqué par le cloisonnement scolaire qui ont conduit à opposer les langues et même leurs modes d’acquisition s’oppose un enseignement – apprentissage de langues (langue première incluse) qui vise à doter le sujet parlant en formation du répertoire linguistique le plus riche possible établissant des concordances et des convergences dans une perspective intégrative. Pour illustrer notre propos, nous prendrons deux exemples des propositions que font les rédacteurs du Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe :

‘«- Intégrer à tous les enseignements de langues des éléments d’éveil aux langues, de manière à faire percevoir l’unicité du fonctionnement du langage à travers la pluralité des langues naturelles. Cet enseignement tirerait avantage à être proposé dans le cadre des enseignements pré primaires ou primaires, comme forme d’initiation à l’apprentissage des langues, comme moyen de faire prendre conscience aux apprenants de la nature de leur répertoire linguistique, de valoriser toutes les langues premières des enfants et de contrecarrer les préjugés linguistiques.
(…)
- Privilégier des méthodologies communes, définies par compétences (en particulier les compétences de communication) transversales aux variétés linguistiques : stratégies d’enseignement des systèmes graphiques, enseignement/apprentissage de compréhension de textes en langue nationale et en langue d’origine, activités analytiques sur la langue première et les variétés autres, démarches de compréhension orale à partir, par exemple, d’émissions de télévision en langue nationale et régionale… Ces rapprochements des méthodologies d’enseignement constituent le noyau dur de l’enseignement plurilingue. » 390

La réflexion métalinguistique, loin d’opposer les variétés linguistiques entre elles, loin d’opposer la langue première aux langues étrangères peut ouvrir la voie à la construction d’une compétence métalinguistique globale. Qu’elle s’appuie sur une compétence de communication déjà installée pour l’améliorer (en langue première) ou qu’elle vise à la construire (en langue étrangère), c’est le va-et-vient entre les deux pôles qui activera le plus sûrement la fonction cognitive du langage de l’apprenant et débouchera sur une conscience de l’objet langue.

Notes
388.

Op. cit.

389.

Op. cit.p. 78

390.

Beacco, J.C. & Byram, M. Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe, de la diversité linguistique à l’éducation plurilingue [en ligne].